Mardi 22 mars, dans le cadre la Journée mondiale de l'eau, Arte diffusera en première partie de soirée un documentaire, Water makes money, qui aurait pu s'appeler «Le Monde selon Suez et Veolia». Ce film, très à charge contre ces deux multinationales, se situe dans la lignée de celui de Marie-Monique Robin Le Monde selon Monsanto. Il nous fait plonger – sans nous noyer sous les concepts techniques ou juridiques – dans la gestion privatisée de l'eau par les municipalités depuis une vingtaine d'années. Une enquête de terrain très minutieuse, un vrai cas d'école en matière d'investigation.
Si Leslie Franke et Herdolor Lorenz, les deux réalisateurs de ce film sont allemands, ce n'est pas du tout un hasard! «Quand j'évoquais avec des Français l'idée de tourner un film traitant de l'eau, ils bottaient en touche, car ils avaient peur de ne plus avoir de commandes de chaînes de télévision», souligne Reinhart Lohmann, chargé de programmes à la ZDF et coproducteur du film. Ces obstacles se sont confirmés à chaque étape de la conception de ce documentaire.
Première étape, le financement. «Au départ, en 2008, personne ne voulait nous aider, rappelle Jean-Luc Touly, militant de la remunicipalisation de la gestion de l'eau et cadre chez Veolia, associé au projet depuis le début. Du coup, nous avons lancé une souscription publique sur Internet qui a permis de récolter 120 000 euros grâce à des dons d'associations ou de particuliers.» En tout 1000 donateurs se sont manifestés. Et, en septembre dernier, ce n'est pas un hasard si le film a été à l'affiche dans 130 salles en Europe. «Si Water makes money est sorti au cinéma en premier c'est parce que c'était important pour eux en termes de financement», reconnaît Reinhart Lohmann.
Ruses et compromis
Deuxième étape, les pressions. «À la première diffusion, le 23 septembre, il y avait beaucoup de représentants de Suez dans la salle», confie Jean-Luc Touly en souriant. Mi-décembre, Veolia a déposé une plainte contre X. Dans la foulée, le producteur, le diffuseur français et Jean-Luc Touly ont été convoqués par la police judiciaire. L'affaire, si elle n'est pas classée, devrait être jugée en 2012. En cause, quatre passages du documentaire dans lesquels le cadre de Veolia tiendrait des propos jugés diffamatoires. «Je dis notamment que Veolia m'a proposé 1 million d'euros pour ne pas sortir mon livre, L'Eau des multinationales», précise Jean-Luc Touly.
Licencié par son entreprise où il a été cadre pendant trente ans, l'auteur-salarié a été réintégré en septembre dernier, suite à une décision de la cour d'appel. Il occupe actuellement le poste de responsable des fontaines de la ville de Paris, alors même que la distribution de l'eau a été remunicipalisée dans la capitale.
Enfin, ultime étape, les concessions. Pour éviter d'être accusés de propagande, à un an de l'élection présidentielle en France, les documentaristes ne citent jamais les partis politiques des nombreux élus interviewés. Un choix qui peut poser question, d'autant que le film prend en exemple la décision de la mairie de Paris, effective en janvier 2010, de se réapproprier le marché de l'eau. Herdolor Lorenz, l'un des réalisateurs, se défend de tout compromis: «Il y a des maires de droite qui sont pour la remunicipalisation et des Verts ou des communistes qui militent pour la gestion privée. Cela dépasse les visions partisanes.»
Quant au service après diffusion, il implique de ruser. «Avant ou après la programmation de sujets chocs de ce type, comme Le Monde selon Monsanto, Arte reçoit des coups de fil des entreprises à son siège français, à Issy-les-Moulineaux, admet Reinhart Lohmann. Mais, en général, on leur dit qu'il faut appeler Strasbourg ou la ZDF. Ça les dissuade, car ils ont peur de devoir parler allemand», conclut-il. En ne plaisantant qu'à moitié.