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La révolution tunisienne doit une grande partie de sa rapidité à l'émergence de Facebook et des réseaux sociaux auprès des jeunes et moins jeunes générations. Reportage à Tunis.

Un drapeau de l'indépendance flottant sur un bâtiment de Benghazi, des images insoutenables de soldats calcinés après avoir refusé de tirer sur la foule, des mercenaires africains lynchés… Les dernières vidéos de Libye, qui circulent sur la Toile et nourrissent les chaînes d'information, ont parfois une origine commune: «les Observateurs», le programme de France 24 qui donne la parole à des citoyens relatant les événements dont ils sont témoins.

Pour la Libye, les contributeurs sont installés à Londres ou en Suisse, mais ils se chargent de coordonner l'information en provenance de leur pays. Le système est bien rodé: le 17 février, la première page Facebook a été créée par Hassan Al-Djahmi, un exilé libyen, appelant à une «journée de colère». Les images amateurs filmés par les minicaméras numériques intégrés aux téléphones sont reprises sur des chaînes internationales, comme Al Jazeera, et avivent le mécontentement du peuple. Au point de transformer de simples soulèvements populaires en «e-révolutions».

C'est en tout cas le scénario qui s'est élaboré lors des renversements des chefs d'Etat tunisien et égyptien. A l'origine, l'internaute Slimane Rouissi, un agriculteur de Sidi Bouzid, ville située au Sud de Tunis, d'où est partie la contestation tunisienne, le 17 décembre, après l'immolation d'un vendeur ambulant. Cet homme d'une bonne cinquantaine d'années qui porte moustache et djellaba et suit l'actualité agricole sur Internet, avait déjà fait parler de lui, en juin, en dénonçant à visage découvert la corruption locale.

France 24 lui doit d'avoir été aux prémisses du mouvement de protestation. Dès le premier soir de la révolte, il expédie ses vidéos et livre des commentaires engagés: «Les autorités ont opté pour une politique de répression et ont dépêché leurs agents de sécurité au lieu d'envoyer sur place les responsables des politiques de développement que nous souhaitions voir.»

Deux mois plus tard, jeudi 17 février, il est l'invité de France 24 pour une rencontre à Tunis avec d'autres «observateurs» qui ont joué un rôle dans cette «e-révolution». «Si on n'avait pas reçu les images, on n'aurait pas su ce qu'il se passait en Tunisie, rappelle Julien Pain, le responsable du programme à France 24. Les gens apportent des témoignages ou des images souvent uniques et transmettent des émotions. Autant parler avec un paysan sur le terrain plutôt qu'avec un expert ou à des dissidents officiels qui sont interviewés par tous les médias.»

La petite équipe de cinq personnes des Observateurs, parmi lesquelles deux arabophones, Sarra Grira et Tatiana El-Khoury, se chargent de vérifier les témoignages et d'établir une relation dans la durée avec leurs contributeurs. L'équipe, qui cosigne depuis peu les articles, met aussi en perspective les éléments rapportés. «La voix et l'image ont plus d'impact sur l'opinion publique qu'un article écrit», estime Slimane Rouissi.

A l'hôtel de la Maison blanche, à Tunis, chacun apporte son expérience de cette fameuse révolution 2.0. «Sans Facebook et Internet, jamais la révolution n'aurait été aussi rapide», poursuit l'agriculteur-internaute.

Le question revient, lancinante, de la censure pour qui a vécu au pays du «404», ce fameux code indiquant qu'une page Web est inaccessible parce que, en l'espèce, censurée. Comment la contourner? Slimane Rouissi explique qu'il demandait aux étudiants comment accéder à son compte. Sofiene Chourabi, qui était avec sa caméra dans les manifestations de la capitale et a vu ses vidéos rediffusées sur France 2 ou France 24, était de ceux qui pouvaient lui répondre: «Pour donner l'accès aux pages censurées, il suffisait de changer les codes URL de http en https. On a fait tout un travail pour informer sur ces codes Facebook.»

Surtout, grande nouveauté des soulèvements populaires dans les pays arabes, les scènes de rue peuvent être aujourd'hui montrées en direct depuis un smartphone. You Tube, qui était censuré en Tunisie, nécessitait de poster sa vidéo sur une plate-forme. Là, c'est en temps réel que les communautés Facebook ou Twitter pouvaient suivre le déroulement des manifestations, via le site Bambuser, par exemple.

«Virtuellement, nous préparions le terrain de la lutte dans la réalité», souligne Slimane Rouissi, qui insiste sur le fait que les réseaux virtuels amènent des regroupements physiques dans la vraie vie. Non seulement Internet permet donc de contourner la censure des médias traditionnels officiels, mais il est un facteur de mobilisation.

Internationale e-révolutionnaire

Avec son collectif Takriz («en colère»), Nejib Adibi, vingt-six ans, qui cite Michel Foucault ou Noam Chomsky, fait partie des plus connus des groupes de Facebook en Tunisie. Début janvier, il décide avec ses quelques camarades d'échafauder une véritable «stratégie de communication» en deux temps: organisation d'événements et gestion du groupe sur les réseaux sociaux.

Des actions sont planifiées, comme un «flash mob la main sur la bouche» qui vise à «encourager les gens», des tags ou des scènes de provocations de policiers, destinées à être filmées pour emporter le soutien de l'opinion. A l'arrivée, une «communauté j'aime» (sic) de quelque 30 000 fans de Takriz. «Nous avions au départ un groupe fermé, lâche Nejib Adibi. Seuls les “amis” qui participaient aux rassemblements étaient accepté sur Facebook.»

Stratégie de communication ou mode d'action révolutionnaire? «Nous partageons les séquences vidéos avec les Libyens et nous participons aux appels à la mobilisation des jeunes Algériens», confie le cyber-activiste de Takriz. D'autres témoignages font état de tweets venus d'Egypte et redirigés vers l'Algérie après leur traduction en français par des Tunisiens.

Mais, au-delà de cette internationale e-révolutionnaire, il importe aussi de triompher de la peur qui fait le lit de toutes les dictatures. D'où l'importance, selon plusieurs «observateurs», de ne pas rester anonyme: «Comment voulez-vous inciter les gens à sortir dans la rue si vous-même ne prenez pas la responsabilité d'apparaître à visage découvert?», interroge Nejib.

«A quoi ça servait de me cacher, j'étais suivie tout le temps, complète Lina Ben Mhenni, blogueuse de Tunis. L'expérience a montré que la police qui veut trouver quelqu'un le peut, même avec un pseudonyme.» La jeune femme, qui s'est fait saisir par la police politique de Ben Ali toutes ses caméras numériques au domicile de ses parents, affirme qu'elle est passée maître dans l'art de prendre des films et des photos discrètement.

En passant devant le siège de l'ancien parti unique RCD, Zyad, photographe, est aujourd'hui fier d'arborer son téléobjectif devant des militaires en faction. Sans autorisation écrite officielle, l'appareil lui aurait valu, avant la chute de Ben Ali le 14 janvier, un détour par les caves du ministère de l'Intérieur, où furent torturés de nombreux opposants.

Depuis le refus du général Rachid Ammar, chef d'Etat major de l'armée de terre (8 000 fans sur Facebook), de réprimer son peuple, les soldats sont célébrés quand la police est honnie. «Arrête de photographier ou je te tire dessus», indique pourtant le soldat à l'adresse de Zyad.

Les réseaux sociaux n'ont pas modifié les habitudes de vingt-trois ans de régime autoritaire. Mais Boris Boillon, notre nouvel ambassadeur «sarko boy» à Tunis, a pu le mesurer: il ne suffit pas d'être torse nu sur Copains d'avant, d'avoir de «l'e-révolution tunisienne» plein la bouche et d'être actif sur Twitter pour avoir des amis en Tunisie. Il y a aussi la manière de s'adresser aux journalistes… Boris Boillon, qui a eu droit à sa page «dégage» (effacée) sur Facebook et à une manifestation lancée depuis le réseau social, n'avait pas pensé qu'il pouvait être aussi victime de la révolution arabe en mode 2.0.

 

 

Voyez ci-dessous l'interview de Béchir Bouraoui, "observateur" de France 24, qui répond à la question:"La révolution tunisienne est-elle le produit d'Internet ?"

Il a participé, après la chute de Ben Ali, aux caravanes de remerciements qui se sont rendues à Sidi Bouzid et Kasserine, deux des régions les plus touchées par la répression.

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