Le 21 février, les salariés du Monde interactif ont protesté contre votre refus de titulariser huit rédacteurs. Comprenez-vous leur inquiétude ?
Louis Dreyfus. Nous avons l'entendue et tâchons d'y apporter des réponses concrètes. Parmi les sites du groupe, Lepost.fr est le plus jeune. Il n'est donc pas illogique qu'il soit aujourd'hui encore loin d'avoir trouvé son modèle économique. L'objectif est de réaliser un chiffre d'affaires à la hauteur de son audience exceptionnelle [3,1 millions de visiteurs uniques, selon Nielsen]. Néanmoins, aucun engagement n'a été pris par la direction pour embaucher un titulaire à la rédaction. De nouveaux renforts ont été apportés sur la partie commerciale du site. Car nous souhaitons d'abord arbitrer sur la stratégie de développement, avec des points d'étapes trimestriels fixés par la direction. Nous sommes au tout début de la monétisation de l'audience. Aujourd'hui, les chiffres ne sont pas suffisamment importants en termes de revenus pour établir des certitudes.
Votre conviction est pourtant bien qu'il faut investir sur le numérique ?
L.D. Nos investissements numériques seront présentés au cours du premier semestre. L'objectif est de poursuivre la croissance du Monde.fr mais aussi d'accélérer le développement des sites de la branche magazine du groupe, et en premier lieu, de Télérama.fr. Grâce au renouvellement de l'actionnariat [le trio Bergé, Niel et Pigasse], nous avons la capacité d'investir autant dans l'enrichissement de l'offre éditoriale que dans le numérique. Ce n'est plus seulement un discours incantatoire, c'est une stratégie à moyen et long terme. Dans le même temps, l'étape cruciale pour le groupe est de préparer, à terme, la fusion des rédactions [Le Monde et Lemonde.fr] que nous souhaitons mener à bien avec Erik Izraelewicz. En toute logique, la direction de la rédaction sera l'autorité commune aux deux rédactions. Les journalistes du Monde et du Monde.fr partagent la conviction que leur destin est lié autour d'une même exigence. Il reste à construire avec eux les articulations, sans perdre l'identité et la vitalité de l'un et de l'autre.
Les salariés du groupe devront-ils se serrer la ceinture ?
L.D. Depuis quelques mois, nous avons mis en place des mesures d'économies classiques. Ainsi, quand 1 200 exemplaires du journal étaient distribués en interne chaque jour pour un total de 600 salariés, il était normal de réduire cet écart - même si le calendrier et la méthode adoptée auraient pu être mieux choisis. Ma priorité est de préserver la rédaction. Elle ne sera donc que marginalement touchée par des mesures d'économies. Nous allons surtout réduire les coûts de structure et les frais de holding, aujourd'hui encore disproportionnés dans cette économie de guerre.
Les 35 heures sont-elles menacées ?
L.D. Si nous ne reviendrons pas sur leur principe, nous souhaitons toutefois, en concertation avec les syndicats, remettre à plat les accords signés à l'époque, afin de mieux tenir compte de la réalité des évolutions de la presse et d'améliorer le fonctionnement des rédactions. Depuis dix ans, le monde des médias est confronté à des transformations considérables auxquelles il faut faire face. Les récentes nominations à la tête des rédactions [Nicolas Demorand à Libération ou Etienne Gernelle au Point en 2010] démontrent la conviction partagée par beaucoup de la nécessité de renouveler les organisations et les managements. A Erik Izraelewicz et à moi de faire vivre cet enthousiasme et de le décliner dans les titres du groupe.
L'offre éditoriale du Monde va-t-elle évoluer ?
L.D. Erik Izraelewicz présentera les premières évolutions éditoriales courant mars. Dans l'immédiat, un recrutement de dix journalistes est prévu, en priorité pour les services politique, économie et investigation. Les deux autres chantiers prioritaires sont les questions liées à la situation du Monde Imprimerie et le développement d'une offre du week end enrichie, dès la rentrée 2011. La parution du quotidien le matin est également un chantier sur lequel nous allons travailler.
Erik Izraelewicz fait référence au Huffington Post dans son projet. Quel serait votre modèle ?
L.D. Pour leur organisation, leur dynamisme et l'excellence de leurs productions, je garde en tête les modèles du Guardian ou du Daily Telegraph en Grande-Bretagne. En France, le groupe Le Monde a su, avant et mieux que les autres, s'imposer sur le numérique. Regardez les chiffres d'audience, nous sommes bien plus en avance que certains. Nous abordons aujourd'hui une nouvelle étape avec l'organisation d'une rédaction bimédia. La réussite de notre modèle de développement se jugera dans la durée.
Où en êtes-vous de la fusion des différentes régies du groupe ?
L.D. J'ai présenté mardi 22 février, devant le comité d'entreprise, notre projet de rapprochement de l'ensemble des régies du Monde sur lequel nous travaillons depuis plusieurs semaines avec nos partenaires de Publicis. C'est l'aboutissement de la collaboration et du soutien constant de Maurice Lévy, dont les efforts continus ont permis au Monde de traverser bien des tempêtes. Concrètement, cela devrait déboucher sur la fusion des régies internet (I-régie), quotidien (Le Monde Publicité) et magazine (Publicat), si les consultations auprès des différents comités d'entreprises aboutissent. Pour mener à bien ce projet, Corinne Mrejen quitte la direction générale du Figaro Média pour nous rejoindre dès le 1er mars. C'est un renfort de poids, une belle marque de confiance de la part d'une professionnelle reconnue et un gage de réussite pour nous tous. Ce rapprochement correspond, lui, aux attentes de nombreux annonceurs à qui nous proposerons des offres plurisupports sur des marques leaders dans chacun de leur secteur. Ce sera pour eux un vrai plus.
