Anne Soëtemondt, 25 ans, a travaillé un an à Radio Chine Internationale, un organe d'Etat, comme «experte» au service français, chargée de corriger les dépêches et d'animer des programmes de radio. Une nouvelle forme d'enquête journalistique, dont elle a tiré un livre, J'ai travaillé pour la propagande chinoise (Editions du moment, 248 pages, 17,95 euros).
Début février, Pékin a censuré les informations sur le mouvement de contestation du régime d'Hosni Moubarak en Egypte, dont sur le Web. Est-ce dans les habitudes du régime chinois ?
A.S. CCTV, la télévision d'Etat chinoise, émet en arabe depuis environ un an, mais elle a minimisé, par exemple, ce qui se passe en Egypte, parlant de «troubles», ce qui représente une position proche de la version officielle égyptienne. Ils en parlent, mais de manière positive, en valorisant le pouvoir en place. Parce que le chaos ne plaît pas aux autorités chinoises, et qu'elles ont des intérêts économiques au Proche Orient, où sont implantées beaucoup d'entreprises chinoises de construction. Autre fait, il n'y a sûrement pas un article en Chine sur le rôle clé des réseaux sociaux et des blogs dans les révoltes du Moyen-Orient : cela renverrait les pouvoirs chinois à leurs propres faiblesses, alors qu'en Chine même, une certaine dissidence se développe via les réseaux sociaux.
Justement, vous avez choisi cette expérience professionnelle, un an au sein d'un média officiel chinois...
A.S. Oui, j'ai hésité sur le coup, me disant «Je vais partir travailler pour la propagande». Mais finalement, c'était l'occasion de vivre une expérience en Asie, d'être dans un système médiatique basé sur le contrôle de l'information, au contraire du nôtre, qui repose sur la liberté de la presse. Radio Chine Internationale est intégrée au sein du centre d'information chinois, qui diffuse des dépêches dans une cinquantaine de sections, organisées par langues, destinés à la radio et au site web. J'ai découvert une rédaction désorganisée, où l'impératif d'«harmonie» importe plus que l'efficacité. On n'avait aucune donnée sur l'audience de la radio ou du site. L'objectif du gouvernement était avant tout de dire qu'il a une radio diffusant dans plus de 150 pays : elle accompagne la prise de position chinoise, par exemple sur le continent africain, où elle est sans doute la plus écoutée.
Etiez-vous censurée ?
A.S. Je n'ai jamais été censurée, aussi parce que je m'autocensurais, en essayant de repousser la ligne rouge peu à peu. Il y a de toute façon un contrôle de l'info dès sa source. On se doit de diffuser que de l'info positive : lors de l'exposition internationale de Shanghai, on ne parlait jamais des Chinois mal relogés, mais des Chinois volontaires pour aider la mairie... D'ailleurs, en Chine, on ne parle pas de censure mais d'«harmonisation».
La censure chinoise s'exerce aussi sur les médias étrangers et les réseaux sociaux. Les Chinois en sont-ils conscients ?
A.S. Plusieurs médias étrangers ou sites critiques sont bloqués, comme RFI, la BBC, les sites tibétains, celui de Reporters sans frontières... Du côté des réseaux sociaux, MSN est beaucoup utilisé. You Tube, Twitter et Facebook fonctionnent très difficilement, même s'ils ont été débloqués brièvement lors des JO de Shanghai. Mais les Chinois s'en préoccupent peu, car ils ont leurs propres réseaux sociaux. En Chine, Internet fonctionne, mais avec des filtres mis en place par le gouvernement : un message d'erreur s'affiche lorsqu'on tente d'accéder à des pages «sensibles». Les Chinois sont persuadés que les sites ne fonctionnent pas, même s'ils ne sont pas dupes du système médiatique.
Y a-t-il des débuts de dissidence en Chine ?
A. S. Pour contourner les pare-feux instaurés par le régime, beaucoup de Chinois un peu geeks adoptent des petits programmes comme Little Dragon, par exemple, pour accéder à des blogs. Mais dès qu'ils sont repérés, il leur faut en trouver d'autres. J'ai déjà entendu des Chinois me dire qu'ils ne croyaient pas à l'information officielle, mais beaucoup plus aux blogs, comme A Bad Friend, très critique sur l'Exposition universelle.