Hélène Valade est directrice Développement Environnement de LVMH, un groupe représentant 64,2 milliards d’euros de ventes et qui vise 100% de produits éco-conçus en 2030. Elle défend un changement de modèle d’entreprise fondé sur la circularité.
De quand date votre prise de conscience écologique ?
J’étais étudiante lors du Sommet de Rio de 1992 et cela a été un moment déterminant dans ma vie. La question du climat était alors très neuve et cela a guidé mes choix professionnels. Lorsque je dirigeais le département des études politiques de l’Ifop, j’ai vu émerger les préoccupations environnementales. J’ai voulu être actrice de ce sujet, et c’est grâce à Gérard Mestrallet que je suis devenue directrice du développement durable de Lyonnaise des Eaux puis de Suez. Quand j’ai créé le Collège des directeurs du développement durable en 2007, nous étions quattre, ils sont aujourd’hui 200. La progression a été très tangible en 15 ans.
En quoi l’entreprise est-elle le bon cadre pour porter ces sujets ?
J’ai toujours prôné le partenariat entre public et privé sur les enjeux environnementaux. Au moment de la Cop 21 de 2015, j’ai œuvré à la création de l’Alliance des entreprises pour le climat, un engagement des 15 plus grandes entreprises françaises, qui a recueilli l’adhésion des organisateurs de la conférence. A titre personnel, je crois à un capitalisme responsable et à une entreprise de la contribution, qui sert des enjeux supérieurs à ses intérêts, comme le climat et la biodiversité.
Comment transforme-t-on un groupe comme LVMH ?
D’abord, il faut bien connaître son empreinte sur le climat, la biodiversité et l’eau. En 2021, nous avons présenté une nouvelle feuille de route baptisée Life 360, qui fixe des objectifs pour 2023, 2026 et 2030, avec une trajectoire Carbone alignée sur le 1,5 degré de réchauffement défini par l’Accord de Paris. Ces objectifs prennent en compte non seulement les scopes 1 et 2, qui concernent les émissions de CO2 liées à la consommation énergétique de nos sites de production et de nos boutiques, mais aussi le scope 3, lié à l’amont, le sourcing des matières premières, et à l’aval, les transports et les usages de nos produits. Le scope 3 est beaucoup plus difficile à maîtriser, il suppose de travailler en collaboration avec nos fournisseurs pour trouver des solutions moins émettrices, dans la logistique, le packaging ou les matières alternatives. Par exemple, le cachemire recyclé émet 455 % de CO2 en moins que le cachemire vierge. Au total, nous visons 50 % de réduction des émissions sur les scopes 1 et 2 d’ici 2026 et 55 % de réduction en 2030 pour le scope 3.
Vous pouvez donc concilier climat et croissance ?
Il faut arriver à croître sans consommer davantage de ressources naturelles, et donc modifier notre modèle économique pour entrer dans l’économie circulaire. Ce qui me rend très optimiste, c’est que nos designers se sont emparés de l’enjeu climat et biodiversité pour inventer de nouveaux produits. Ils arrivent à créer du désir à partir de matières recyclées qui n’étaient pas perçues comme nobles auparavant. Le beau n’est plus automatiquement assimilé à une matière neuve. Nous avons présenté récemment en Assemblée générale des sneakers upcyclées de Virgil Abloh pour Louis Vuitton et un sac à main Loewe fabriqué à partir de chutes de cuir. Notre objectif pour 2030 est d’atteindre 100 % de produits éco-conçus.
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Quelles sont vos actions pour la biodiversité ?
Il n’existe pas d’unité de mesure simple pour la biodiversité, comme la tonne carbone pour le climat. Elle concerne les sols, la pollution et les espèces, difficiles à ramasser en un seul indicateur. Nous travaillons avec la Caisse des Dépôts Biodiversité, qui produit le Global Biodiversity Score, mesurant l’impact d’une activité sur des unités de surface. C’est ainsi que l’on a pu se fixer un objectif de réhabilitation de 5 millions d’hectares en faune et flore en 2030, avec deux moyens d’action : l’agriculture régénératrice dans nos vignobles et l’accompagnement des éleveurs et des agriculteurs dans la mode et la maroquinerie. On arrive à des résultats assez rapides en replantant des haies et des arbres fruitiers, et en améliorant la qualité des sols.
Quelles sont les conditions pour réussir sa transformation ?
Il faut d’abord être visionnaire et s’inscrire dans le temps long. Bernard Arnault |PDG de LVMH] a créé une direction de l’environnement dès 1992, initiant très tôt des partenariats avec l’Ademe et la Fondation pour la recherche sur la biodiversité. Il faut ensuite une boussole, comme Life 360, qui embarque les 76 maisons du groupe, et un plan d’action très concret. Il faut enfin des personnalités leaders avec une capacité d’entraînement, rôle joué par nos designers et Antoine Arnault, qui représente le sujet environnement dans toutes les instances de gouvernance du groupe.
En mai, vous êtes intervenue lors d’un Tribunal pour les générations futures et au salon ChangeNow. Pourquoi est-ce important de participer à ces événements ?
Les enjeux de biodiversité sont complexes et souvent réduits à des alternatives binaires. Pour sensibiliser nos publics internes et externes, nous cherchons des formats de communication originaux. Le Tribunal pour les générations futures, proposé par Usbek & Rica, emprunte aux codes du procès pour mettre sur la table l’ensemble des points de vue sur un sujet donné. Nous avons posé la question : peut-on rendre au vivant ce qu’on lui a pris ? Je suis intervenue en tant que témoin aux côtés d’ONG, de chercheurs, d’agriculteurs… Cela me tient à cœur de sortir des discours manichéens pour aller vers la nuance, afin de trouver des solutions pragmatiques et efficaces. A ChangeNow, nous avons parlé de circularité et des nouvelles méthodes de mesure de la biodiversité. Nous tenons à témoigner de nos bonnes pratiques et de nos avancées, pour faciliter les partenariats et l’intelligence collective.
Quelles actions quotidiennes menez-vous pour diminuer votre impact ?
Je m’astreins depuis un an à réduire de deux degrés la température chez moi et dans mon bureau. C’est très efficace et je me récompense en achetant de jolis pulls. Il faut se débarrasser d’habitudes qui datent d’une autre époque.
1991. Diplômée de Sciences Po Paris.
2000. Directrice du département des études politiques de l’Ifop.
2005. Directrice du développement durable de Lyonnaise des Eaux.
2007. Cofondatrice et présidente du Collège des directeurs du développement durable (C3D).
2014. Directrice du développement durable de Suez.
2018. Présidente de l’ORSE, l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises.
Depuis 2020. Directrice développement environnement du groupe LVMH.