Activité intimement liée à un terroir, le cognac doit s’adapter au changement climatique. Sonia Le Masne, directrice RSE de Martell Mumm Perrier-Jouët au sein du groupe Pernod-Ricard, explique les transformations de long terme engagées par la filière.

Martell vient de fêter les dix ans de son soutien à l’Office national des forêts (ONF). Quel est le sens de ce partenariat ?

Sonia Le Masne. Il est de deux ordres. D’une part, nous sommes en pleine crise écologique et les forêts jouent un rôle crucial dans la lutte contre le réchauffement climatique et dans la préservation de la biodiversité. D’autre part, la maison Martell produit depuis 300 ans des cognacs qui vieillissent dans des fûts de chêne sessile à grain fin approvisionnés dans les forêts françaises. C’est ce bois particulier qui donne l’élégance et la subtilité de nos eaux-de-vie. Nous prenons grand soin de cette matière première, au même titre que le raisin.

Comment a évolué ce partenariat en dix ans ?

Nos premiers projets étaient centrés sur des enjeux de préservation des forêts, de remise en état après les tempêtes, d’accessibilité aux personnes à mobilité réduite, de sensibilisation du grand public à travers des parcours pédagogiques ou des partenariats artistiques. Par exemple, les gens ont tendance à vouloir embrasser les arbres exceptionnels mais cela abîme les sols et les racines. En 2019, nous avons mené un projet dans la forêt de Tronçais avec des artistes qui ont créé des œuvres d’art à partir d’anciens fûts pour protéger et valoriser ces arbres remarquables.

Depuis deux ans, le mécénat accompagne en priorité des projets d’adaptation des forêts au changement climatique. Dans l’arboretum de La Jonchère-Saint-Maurice en Haute-Vienne, Martell soutient un projet scientifique de plantation d’espèces d’arbres autochtones ou plus adaptés aux climats chauds afin d’améliorer la résilience des forêts, confrontées à un dépérissement affolant. En France, en dix ans, le taux de mortalité des arbres a augmenté de 80%.

Comment le changement climatique affecte-t-il le travail de la vigne ?

Le cognac est une AOC (Appellation d’origine contrôlée), on ne peut faire du cognac qu’à Cognac. La résilience des vignobles face aux aléas climatiques est vitale pour notre activité. Les événements extrêmes de sécheresse, de gel ou de pluie font peser des risques sur les rendements et la qualité du raisin. En 2016, les équipes de Martell ont entrepris un projet de recherche variétale de longue haleine avec un collectif d’experts de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, du Conservatoire du vignoble charentais, de l’Institut français de la vigne et du vin et du Bureau national interprofessionnel de cognac. L’objectif est d’identifier des variétés de vignes naturellement plus résistantes aux maladies et au changement climatique. D’ici 2029, certaines d’entre elles pourraient être inscrites au catalogue national des variétés et bénéficier à toute la filière.

Votre activité laisse elle-même une empreinte sur l’environnement. Quels sont les postes à plus fort impact, entre la fabrication, le transport, la viticulture… ?

Nos quatre plus gros postes d’émissions carbone sont l’amont agricole, la distillation, les emballages et les transports. 95% de notre empreinte vient du scope 3, ce sont des émissions indirectes liées à nos approvisionnements, principalement les raisins et les eaux-de-vie et le verre. Nous sommes alignés sur la trajectoire de neutralité carbone du groupe Pernod-Ricard validée par la SBTI (Science based target initiative) qui nécessite de réduire drastiquement nos émissions d’ici 2030 et 2050. Cela suppose de changer certaines pratiques.

Sur l’amont agricole, les équipes des Domaines Jean Martell mènent depuis 2021 un programme expérimental de viticulture régénératrice qui prend en compte l’écosystème du vignoble dans sa globalité : la santé des sols, la nutrition de la vigne, les paysages et la biodiversité du territoire. Cela implique en particulier la mise en place de couverts végétaux, l’utilisation de produits bio alternatifs pour nourrir la plante et augmenter sa résistance, l’implantation de haies, de nichoirs… Les Domaines Jean Martell sont des laboratoires à ciel ouvert de 450 hectares au total pour tester, apprendre et montrer qu’on peut changer les pratiques tout en conservant des bons niveaux de rendement et de qualité, afin de partager et de déployer auprès de nos viticulteurs partenaires.

S’agissant du verre, qui représente plus des trois quarts de notre empreinte emballage, nous travaillons sur l’allègement des bouteilles et l’augmentation du pourcentage de recyclé. Une grosse part de la décarbonation va venir de l’amélioration des processus verriers. Notre fournisseur Verallia a inauguré en septembre 2024 à Cognac le premier four 100% électrique, une première mondiale qui permet une réduction de 60% des émissions.

Comment réduisez-vous la consommation énergétique de la distillation ?

Depuis bientôt cinq ans, Martell développe, en collaboration avec le groupe Chalvignac, une technologie de distillation qui utilise d’autres solutions de chauffage que les énergies fossiles et implique la mise en place d’un système de récupération d’énergie. Des essais ont été réalisés avec d’autres maisons pour démontrer qu’il n’y avait pas d’altération organoleptique. C’est un pilote et il faudra l’autorisation de l’Inao (Institut national de l’origine et de la qualité) pour l’intégrer dans le cahier des charges de l’AOC Cognac. Sur les trois dernières années, les tests montrent une réduction de 50% de la consommation énergétique et de plus de 85% des émissions de gaz à effets de serre.

Vous testez aussi l’acheminement par bateau à voile. Où en est cette expérimentation ?

Le premier cargo à voile de la compagnie havraise TOWT transportant à 85% des bouteilles Martell Mumm Perrier-Jouët est arrivé à New York le 3 septembre. Ce bateau réalise plus de 90% du trajet à la voile, les moteurs servant pour les manœuvres dans les ports. Cette solution nous permet d’avoir un temps de transport comparable au traditionnel tout en réduisant 90% de nos émissions. C’est plus qu’une expérimentation, TOWT sera désormais notre moyen de transport privilégié sur cette route. Depuis 2019, Martell a réussi à baisser de 25% les émissions de CO2 sur le transport en favorisant le multimodal fluvial, train et route et en utilisant des biocarburants pour le routier résiduel.

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