Est-il vraiment possible de passer d’une économie prédatrice à une économie qui rend au vivant ce qu’elle lui doit ? Le monde des affaires y réfléchit sérieusement mais les exemples concrets sont encore rares.
L’entreprise régénérative ou Regen, c’est le mot qui buzze du moment. Au dernier salon Produrable début octobre, c’était l’un des thèmes de conférences les plus fréquents après la CSRD, la directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises. Pour Éric Duverger, fondateur de la Convention des entreprises pour le climat, « il faut réaliser la bascule de l’économie extractive à l’économie régénérative d’ici 2030 ». Pour Julie Brion, directrice associée de l’agence Mieux, « l’entreprise régénérative, c’est repenser l’entreprise comme un organisme vivant ». On comprend la logique d’agriculture régénérative pour les sociétés exploitant des ressources naturelles comme Pernod-Ricard (voir interview P. 14). Mais comment une organisation qui a une empreinte sur l’environnement par ses bâtiments, les transports de ses salariés, ses processus de fabrication, peut-elle régénérer le vivant ? Quelques pionniers sont cités en exemples, comme Pocheco, fabricant d’enveloppes, qui a transformé son modèle pour s’approvisionner en papier issu de forêts gérées durablement, a rénové ses bâtiments pour les rendre autonomes en énergie. Ou Arcadie, entreprise d’épices et de tisanes qui travaille en partenariat avec les producteurs locaux, mène un projet de transport à voile de Marseille à Madagascar… Ces engagements sont-ils transposables à toutes les entreprises ?
C’est ce que pense le C3D, Collège des directeurs du développement durable regroupant plus de 370 professionnels. Le nouveau module de son Mooc « Comprendre la crise écologique pour réinventer l’entreprise » a pour thème « L’entreprise à visée régénérative » et il est ouvert à tous les publics qui veulent avancer dans cette transformation. Le C3D participe aussi au collectif Regen’ Ecosystem, une vingtaine d’experts qui veulent accélérer l’adoption de cette approche par les organisations. Parmi eux, L’Entreprise symbiotique, Lumia, Permaentreprise, Axa Climate, l’Institut des Futurs Souhaitables, etc. « Il faut commencer par des renoncements, témoigne Daniela Burla, administratrice du C3D et directrice du développement durable du bureau d’études Setec. Dans mon entreprise, nous avons arrêté certains projets néfastes pour la planète. La logique Regen va plus loin que la protection de la nature, elle implique de prendre soin de ses collaborateurs, de développer l’économie circulaire, de s’inspirer de la nature par le biomimétisme. »
Une des clés pour développer l’approche régénérative est de définir un standard de mesure. L’Entreprise symbiotique, cabinet d’ingénierie en économie régénérative, est en train de mettre au point une spécification avec l’Afnor, préalable à une norme. Le principe est d’entraîner les entreprises sur une échelle de progrès, de l’exploitation à la régénération, en passant par la réparation et la préservation. Finalement, le Regen serait-il la nouvelle RSE ? Pour Agnès Rambaud-Paquin, senior advisor du cabinet Des enjeux et des hommes, « la RSE correspond à une politique de petits pas dont on ne peut plus se contenter face au dépassement des limites planétaires. Il faut désormais penser en écosystème, pas en réduction des impacts. »