Quand l’économie circulaire explose, son corollaire, la réparation, peine à se faire une place dans le cœur des consommateurs et dans les stratégies des marques. Des pionniers montrent pourtant la possibilité d’un système vertueux.
Les Français n’en sont plus à un paradoxe près, comme lorsqu’ils prônent la défense de la planète mais ne réparent pas leurs biens pour moins produire. « Un réfrigérateur représentait un mois de salaire médian en 1995, contre moins d’un demi aujourd’hui, explique Régis Koenig, directeur réparation et durabilité pour Fnac Darty. Avec des prix tirés vers le bas depuis quatre décennies, notre société a longtemps poussé au remplacement plutôt qu’à la réparation. »
En dégainant la loi Agec, c’est donc l’État qui se charge cette fois de remettre au goût du jour cet usage. Pour préserver nos ressources, le texte impose notamment une responsabilité élargie du producteur à plusieurs filières, avec l’obligation d’œuvrer à la réduction de leurs déchets. Elle demande entre autres aux « pollueurs payeurs » de contribuer financièrement à la réparation des objets qu’ils mettent sur le marché, par l’intermédiaire d’éco-organismes tels que Refashion ou Ecosystem. Autre avancée, celle de la création d’un indice de réparabilité sur certains produits, et la création d’un Fonds réparation, financé par les filières (lire l’encadré), pour subventionner, sous conditions, une partie du coût de la remise en état des vêtements, de l’électroménager et du multimédia.
Diverses initiatives
Tout cela va-t-il être suffisant pour amorcer la pompe ? « Les textes d’application ne vont pas assez loin, répond Bénédicte Kjær Kahlat, responsable des affaires juridiques pour l’association Zero Waste France. Avec huit catégories de produits concernées, l’indice de réparabilité contraint peu, et l’on regrette qu’il soit élaboré par les marques elles-mêmes. Les éco-organismes sont eux administrés par les producteurs et distributeurs, ce qui crée un conflit d’intérêts et permet aux marques de fixer leurs propres règles. »
Il est vrai que peu d’entre elles s’emparent véritablement du sujet, même si les initiatives se multiplient. Fusalp, Lafuma, Seb, Jules, Cristel ou Manolo Blahnik proposent, par exemple, un service d’entretien. Au Japon, Loewe vient d’ouvrir ReCraft, un point de vente dédié. En France, Leboncoin réalise de premiers tests pour intégrer la réparabilité au cœur de son offre.
Deux autres fleurons tricolores innovent avec, fait rare, des démarches déjà déployées à l’échelle. Decathlon d’abord, qui a réparé l’année dernière plus de 1,2 million de produits. Le groupe Fnac Darty ensuite, qui a fait de la durabilité l’un de ses fers de lance. « 90 % de notre empreinte carbone reste liée aux produits que nous vendons, rappelle Géraldine Olivier, directrice RSE du groupe. Allonger leur durée de vie est donc primordial. Notre objectif : réparer 2,5 millions de produits en 2025. »
Un cap a été franchi avec Darty Max, un abonnement mensuel (11,99 euros) qui permet la réparation illimitée et qui a dépassé en octobre le million de souscripteurs. Il s’agit de l’un des premiers modèles économiques qui fonctionnent en capitalisant sur les volumes, et son aspect incitatif reste fort, les abonnés réparant jusqu’à 20 fois plus sur certaines catégories.
Une pratique compliquée
Autre exercice probant, la publication du baromètre annuel du SAV, qui évalue, grâce à un score de durabilité basé sur la fiabilité et la durabilité des appareils, 150 marques. La démarche a fait bouger quelques lignes chez les fournisseurs. « Sur la durée de disponibilité des pièces détachées par exemple, nous sommes passés de huit à treize ans », illustre Régis Koenig. Ce travail de fond peut-il montrer la voie ? Le mode d’emploi semble encore trop complexe. Peu rentable, car coûteux en salaires et en charges pour l’entreprise, psychologiquement cher pour le consommateur, le sujet est de surcroît peu fluide en termes d’expérience, comme le souligne Amandine de Souza, directrice générale du Boncoin : « Réparer reste compliqué, avec des informations peu lisibles et peu visibles. Pour que ça marche, il faut qu’il soit aussi simple de réparer que d’acheter du neuf. »
François-Xavier O’Mahony, responsable sustainability Europe pour l’industrie retail, mode et luxe au sein d’Accenture, donne d’autres pistes : « Réparation intégrée via abonnement, réseau d’indépendants ou autoréparation, chaque marque doit trouver son modèle. Pour optimiser les coûts, une réflexion peut être engagée sur le partage des ressources et actifs entre marques. La piste des pôles d’excellence par catégorie en région peut être un bon exemple. » Autre réponse possible, les nouveaux modèles d’entreprises qui sous-traitent en marque blanche, à l’instar de Tilli, Les Réparables ou encore Prolong.
Pour François-Xavier O’Mahony, il faudra dans tous les cas faire face à une pénurie des ressources. « Il faut réinvestir sur un savoir-faire de la réparation que nous avons perdu avec la délocalisation. L’État a un rôle à y jouer avec des mesures incitatives, estime-t-il. C’est une promesse vertueuse pour le consommateur, la planète et l’emploi. » Ici encore, les pionniers ont pris les devants en créant leurs centres de formation et d’apprentissage, à l’instar de Decathlon ou de Darty, avec sa Tech’Académie, qui forme chaque année 300 techniciens pour un effectif total de 2 500. Mais pour certains, ce n’est pas encore assez. « Nous n’avons plus le temps, martèle Bénédicte Kjær Kahlat. Année après année, les rapports de l’Ademe montrent que le nombre de produits neufs mis sur le marché, toutes filières confondues, ne diminue pas. Les premiers efforts demeurent insuffisants. »
Les débuts décevants du bonus réparation
Ce bonus, valable en électroménager, électronique et textile, prend la forme d’une déduction allant de 15 à 60 euros, selon le produit. Une somme financée par un Fonds réparation doté de 154 millions d’euros et déduite directement de la facture client, l’idée avait de quoi séduire. Résultat : 165 000 réparations d’appareils électriques et électroniques subventionnées l’année dernière, face à 1,2 milliard d’équipements mis sur le marché. Les raisons à ce démarrage timide ? Des formalités administratives jugées trop lourdes, un nombre de réparateurs labellisés trop faible et la notoriété insuffisante du dispositif. Autre écueil, la hausse des prix. Selon une étude de l’association de consommateurs CLCV, le tarif moyen des réparations a augmenté de 10 % à 15 % depuis la mise en place de l’aide.