Jusqu’alors très en retrait dans le débat public, le géant agroalimentaire Lactalis structure désormais sa parole corporate, accompagné de l’agence Babel.
Boire un café au lait le matin, déguster des tomates mozzarella à midi et se délecter d’un camembert rôti au four le soir. Avec des produits Lactel, Galbani ou Président. Autant de marques qui appartiennent au groupe Lactalis, passé depuis peu devant Danone comme premier acteur français de l’agroalimentaire au niveau mondial, avec 28,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires réalisé en 2022 (dont 17 % en France). Un champion jusqu’alors plutôt bien caché derrière ses marques, mais qui entend désormais sortir du bois en faisant émerger un discours corporate. « Nous nous sommes longtemps appuyés sur ces marques commerciales sans faire attention à la marque Lactalis, pose Emmanuel Besnier, PDG de l’entreprise fondée il y a 90 ans par son grand-père, dans un film présenté en interne en octobre. Aujourd’hui, compte tenu de notre importance, de l’évolution du groupe et de notre rôle, nous avons besoin de renforcer l’image de la marque Lactalis. »
Pour cela, la multinationale a fait appel à l’agence Babel. « Nous avons démarré notre collaboration il y a bientôt deux ans autour d’une convention interne de présentation du plan stratégique », retrace Juliette Mutel, sa directrice générale, qui a ensuite remporté un appel d’offres dédié, orchestré par VTscan en 2022. Longtemps baptisé Besnier, du nom de son fondateur, et renommé Lactalis en 1999 pour se renforcer à l’international, le groupe part de (très) loin. Jusqu’à récemment, sa communication auprès des mondes politique, économique et médiatique était très maigre pour ne pas dire absente. Mais son succès grandissant a attisé la curiosité : « Des questions se sont posées sur qui nous étions. D’où la nécessité d’expliquer ce qu’était le groupe dans son ensemble au-delà de ses marques, dessine Christophe Piednoël, directeur général de la communication et des relations extérieures, recruté dans cet objectif. Cela s’est accéléré avec deux crises successives, en 2016 sur le prix du lait payé au producteur et en 2017 sur le lait infantile. »
En six ans – un temps qui peut paraître long –, il a fallu évangéliser en interne, convaincre de l’utilité de ce tournant. Pas une sinécure : « La discrétion était vécue comme un des éléments de la réussite. Il a fallu déconstruire ce courant de pensée », note Christophe Piednoël. « Un vrai changement culturel », appuie Valérie Le Chevillier, directrice de la communication. Même si « nous restons loin de l’hypercommunication », témoigne le DG. En parallèle, ces six années servent à recruter, structurer, dégager les budgets. Aujourd’hui, la direction de la communication corporate compte une douzaine de personnes et les dix pays les plus stratégiques ont également été pourvus des compétences nécessaires. La publicité reste gérée par les équipes marketing.
Pour avancer, le groupe s’est penché sur l’élaboration d’une raison d’être, ou plutôt, préfère-t-il dire, d’une « raison d’agir », pour « donner du sens » et fédérer ses 85 500 collaborateurs sous une même « bannière ». Pour la première fois, son plan stratégique (2022-2033) se détache d’ailleurs d’objectifs purement financiers et inclut aussi cette dimension. Cette raison d’agir s’appuie sur sept piliers (servir les populations du monde, partager les saveurs, dynamiser les territoires…) recouvrant chacun des actions concrètes et déclinables localement. « Chaque pilier d’action va vivre différemment selon les pays, par exemple, le sujet de l’évolution des exploitations agricoles ne sera pas le même en Inde ou en France », illustre Juliette Mutel.
Mais au-delà de l’interne, l’émergence de la marque corporate permet à Lactalis de s’inviter dans le débat public sur la filière laitière ou encore sur les grands sujets de société, comme l’inflation. « Cette étape permet à Lactalis, jusqu’alors focalisé sur son développement et son propre écosystème, de basculer dans une posture de leader de la filière », analyse Christophe Piednoël. Ce qui implique de repenser ses relations avec le monde agricole ainsi qu’avec les acteurs politiques et les médias. Tout un symbole : le groupe dispose d’un stand au Salon de l’Agriculture depuis 2020. « Pour les relations avec le monde agricole, cela se fait pays par pays. Globalement, un travail partenarial est engagé sur la réduction du carbone », explique-t-on. L’idée : trouver ensemble, avec les acteurs impliqués, des moyens de réduire les émissions.
Autre exemple, sur le volet RP, Lactalis assure répondre davantage aux interviews. Des rencontres entre son PDG et plusieurs dizaines de journalistes ont été organisées. Des porte-paroles ont été choisis et formés, selon les sujets. Pour le grand public, pas de film publicitaire corporate prévu à date. S’ajoutent des enjeux d’attractivité (recruter) et de réputation. « Construire une image corporate positive constitue un vrai bouclier pour vos futures gestions de crise », fait remarquer le communicant. Une crise, le groupe en avait traversé une en 2017 lorsqu’il avait été accusé d’avoir mis sur le marché du lait infantile contaminé aux salmonelles, ce qui lui a valu une mise en examen en février dernier.
Unification graphique
Si le périmètre de la marque corporate est claire, il faudra l’articuler avec celui des marques. « Nous avons une culture de marque très forte chez Lactalis depuis longtemps », indiquait Emmanuel Besnier dans le film. Pas de recouvrement entre les deux : d’un côté, la vision, les sujets de filière, la « fierté d’appartenance » selon une expression de Juliette Mutel (c’est le côté Lactalis), de l’autre, le discours produit (les marques). « Chaque marque a son territoire d’expression. Par exemple, pour Président, c’est le plaisir », rappelle Valérie Le Chevillier. Jusque-là pas de surprise, mais la démarche pour Lactalis se doublait d’une autre problématique : il a fallu optimiser le portefeuille de marques dans le sens où, dans certains pays, « des marques Lactalis quelque chose » (sic) avaient pu être développées. Il a donc fallu tout unifier sur le plan visuel et graphique, selon un principe : un même logo par pays, ce qui n’était pas forcément le cas avant. Un travail toujours en cours.
Reste que « cette étape est une reconnaissance de la fonction communication et du fait qu’elle est un atout stratégique vs un mal nécessaire avant », estiment Valérie Le Chevillier et Christophe Piednoël, aujourd’hui « au pied de la montagne » pour mettre en œuvre à grande échelle le changement.
Chiffres clés
85 500 Nombre de collaborateurs, dont 15 000 en France.
28,3 milliards d’euros Chiffre d’affaires 2022, dont 17 % est réalisé sur le marché français.
51 Nombre de pays où Lactalis dispose de sites de production, près de 270 au total.