Géant des spiritueux avec 12 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 20 600 collaborateurs, le groupe Pernod Ricard est très lié aux matières premières agricoles. Noémie Bauer, directrice du business durable, détaille les grands points de sa stratégie RSE.
D’où vient votre prise de conscience environnementale ?
Noémie Bauer. J’ai toujours eu une conscience très sociale, je détestais les injustices, c’est pourquoi j’ai étudié le droit. Au cours de mes études, j’ai compris que les injustices pouvaient être aussi environnementales, j’ai donc fait du droit de l’environnement en master. Lorsque je suis entrée chez Pernod Ricard au juridique, la question de créer une équipe RSE s’est posée et j’ai aussitôt postulé.
Vous avez d’ailleurs contribué à la réalisation de la feuille de route RSE du groupe.
Tout à fait. C'était en 2019 avec la chief sustainability officer, Vanessa Wright, et en sollicitant plus de 400 parties prenantes internes et externes. La RSE a la particularité d’être une matière très collaborative, on ne peut pas travailler en silo si l’on veut transformer l’ensemble des métiers. Notre ambition est d’arriver au net zéro carbone en 2050 avec une étape en 2030 de réduction de 54% de nos émissions de CO2 en valeur absolue sur les scopes 1 et 2, qui dépendent de nos activités, et de 50% en intensité sur le scope 3, qui concerne les émissions indirectes, par rapport à 2018.
Comment agissez-vous sur vos différents impacts ?
Notre stratégie RSE s’intitule « Du terroir au comptoir », car elle s’attache à nos impacts tout au long de notre chaîne de valeur : l’agriculture, l’humain, la production, l’emballage, l’eau et les consommateurs, avec des actions de prévention pour une consommation saine d’alcool.
En termes de gaz à effet de serre, l’agriculture représente la moitié de nos émissions. Nous dépendons énormément des matières premières agricoles et nous menons des programmes avec plus de 10 500 agriculteurs pour améliorer leurs pratiques : réduction des produits phytosanitaires, mise en place d’une démarche d’agriculture régénératrice qui permet de restaurer le sol, d’absorber l’eau et de capturer le carbone.
Le deuxième poste d’émissions, à 25%, est l’emballage. On vise 100% de produits recyclables, réutilisables ou compostables mis sur le marché en 2025. On est déjà à 98%. Pour diminuer notre empreinte, nous pratiquons l’écoconception afin de réduire le poids de l’emballage ainsi que l’intégration au maximum de matière recyclée, notamment le verre. Ensuite, il faut faire en sorte que les bouteilles soient réutilisées puis recyclées en fin de vie. Selon les pays, nous collaborons avec d’autres acteurs de la boisson et des municipalités pour améliorer les infrastructures de recyclage. Nous menons aussi de plus en plus de collaborations avec les verriers pour décarboner leur production en testant le passage à des fours électriques, à hydrogène ou aux biocarburants.
Les autres postes principaux sont les biens d’équipement (9%), c’est-à-dire la construction et la location de sites pour laquelle on cherche les meilleures normes, et les transports amont et aval (6%), où l’on s’efforce de développer le rail et les biocarburants, en plus de remplir au maximum les camions.
Qu’en est-il de l’eau ?
Nous avons déjà réduit notre consommation d’eau de 20% entre 2015 et 2020, et nous avons un autre objectif de -20% d’ici 2030. Nous sommes actuellement à -8 %. On s’engage à recharger l’eau utilisée par nos sites de production en zones de stress hydrique élevé, en Inde, en Arménie et en Espagne, qui représentent 20% de nos sites. Nous sommes à 60% de recharge d’eau dans ces zones grâce à des travaux d’infrastructures.
Et la pollution plastique ?
Le plastique représente seulement 1% de nos emballages mais il existe et il n’est parfois pas recyclable. Nous avons pris des engagements auprès de la Fondation Ellen McArthur pour créer une économie vertueuse du plastique en réduisant l’usage unique, en favorisant le réemploi, en limitant le plastique vierge et en repensant nos packagings. D’ici 2025, nous voulons nous assurer que le peu de plastique restant dans nos emballages soit à 25% du plastique recyclé.
Comment le réchauffement climatique affecte-t-il vos activités ?
Nous avons réalisé différents scénarios de réchauffement à horizon 2030, 2040 et 2050 en anticipant les effets sur les matières premières agricoles, sur nos sites et sur ceux de nos fournisseurs. Les grandes zones à risque à court terme sont le Brésil et le Mexique pour la canne à sucre, l’Inde pour le riz, utilisé dans la fabrication du whisky, et la France pour la betterave sucrière et le raisin. Ces données basées sur des sources scientifiques nous permettent de sensibiliser le comité exécutif et de l’aider à prendre les bonnes décisions pour la transition vers l’agriculture régénératrice. Par exemple, nous accompagnons nos agriculteurs d’orge en Irlande ou nos viticulteurs en France pour la mise en place de pratiques telles que des couverts végétaux, des couloirs de biodiversité ou encore l’agroforesterie.
Comment faire descendre les objectifs de la feuille de route au niveau des équipes ?
Les données scientifiques peuvent être anxiogènes. Il y a un vrai besoin d’éducation et d’accompagnement des employés quelle que soit leur fonction, sans utiliser un langage d’expert. Depuis 2019, nous avons créé beaucoup de modules de formation en ligne sur des sujets comme le climat, le packaging responsable… Nous organisons régulièrement des journées de sensibilisation du top management afin qu’ils aient bien en tête nos objectifs. C’est essentiel si l’on veut que toute l’entreprise soit impliquée dans la stratégie. Ensuite, nous organisons des temps forts dans l’année pour tous les collaborateurs comme le Responsib’all Day et The Good Mission, des journées de bénévolat pour des causes et des associations. Il faut varier les formats pour toucher le plus de monde possible.
À titre personnel, qu’avez-vous changé dans votre quotidien ?
J’ai grandi dans un foyer où l’anti-gaspi était la norme. Depuis deux ans, je suis bénévole dans une association de mon arrondissement pour promouvoir le compost en ville. On participe à un jardin partagé qui cultive des fruits, des légumes et même du houblon dont on fait don à une brasserie locale. Même à Paris, il est possible de se connecter à la nature.
Parcours
2011. Diplômée en droit de UCLA (Université de Californie, Los Angeles).
Mai 2011. Entrée chez Pernod-Ricard aux États-Unis au service juridique, en charge de la RSE et des affaires publiques.
Décembre 2015. Rejoint la direction RSE au siège.
Depuis juillet 2021. Directrice du business durable du groupe Pernod Ricard.