Le sondeur, analyste politique pour l’Ifop et essayiste qui vient de publier La France d’Après - Tableau politique, revient sur les grandes actualités de la semaine.

La sortie de votre essai, La France d’après, Tableau politique (éd. Seuil), où vous pointez « l’archipélisation » de la consommation

La consommation est un bon champ d’observation pour analyser et ressentir les transformations d’une société. Dans la France des années 70 à 80, nous étions dans la standardisation et la moyennisation de la consommation, avec des lieux comme l’hypermarché où toutes les classes sociales différentes convergeaient au même endroit pour faire leur courses. Aujourd’hui, la société se fragmente et cela s’observe aussi dans l’univers de la consommation. L’hypermarché est en crise, et les enseignes de grande distribution tentent d’adapter leurs formats. C’est ainsi qu’on peut parler « d’archipélisation » de la consommation, elle suit l’archipélisation de la société. On voit l’émergence depuis la fin des années 80 du hard discount qui a répondu au décrochage du bas de la classe moyenne en termes de consommation. Et de l’autre il faut aussi adapter les formats pour la montée en gamme d’une partie de la société, des enseignes comme Monoprix, dont la clientèle est CSP + dans les grandes métropoles, ou encore les enseignes bios. En parallèle, on observe le développement d’enseignes ou de linéaires, qui traitent de la consommation hallal. Les marques sont obligées de clusteriser leurs offres, de s’adapter à des sociologies différentes, afin de répondre à une demande qui peut leur échapper.

Le retour de la menace terroriste en Europe après les attentats à Arras et à Bruxelles

C’est un phénomène très marquant, et à l’Ifop nous avons mis en place depuis 15 ans une évaluation de la perception de la menace terroriste. On remarque que le sentiment de menace avait reflué depuis 2017. Comme si on apprenait à vivre avec, même après l’attentat contre Samuel Paty, il y a deux ans, Mais le cadre géopolitique depuis deux semaines, l’attentat contre Dominique Bernard à Arras, ou celui de Bruxelles, ont été des coups de tonnerre qui font réémerger l’intensité de la menace. Peu à peu se diffuse dans notre esprit le fait que même si les attaques peuvent s’espacer dans le temps, le terrorisme n’est plus une vague, et la page n’est pas tournée. La menace est endémique. Il ne s’agit plus forcément d’attaques structurées ou coordonnées, mais un potentiel agresseur solitaire vit parmi nous et peut passer à l’action avec des moyens rudimentaires. L’effroi est très fort dans la société.

L’inflation qui dure et risque de durer encore avec le conflit au Moyen Orient

Elle n’est toujours pas jugulée. Et si elle venait à ralentir, ce ne serait que la fin de la hausse des prix, mais pas la baisse ! Si le gouvernement peut s’enorgueillir un jour de juguler l’inflation, il n’y aura pas de réactions de joie de la part de nos concitoyens : on ne reviendra pas de sitôt aux prix précédents. Avec une inflation de plus de 25 % en deux ans sur les produits alimentaires, les effets sont très concrets au quotidien. Parmi les populations qui vivent avec ou sous le smic, on compte 50 % qui ont réduit les portions alimentaires. Elles sautent un repas ou mangent moins. Idem, la grande distribution observe une baisse des achats en volume. Sans parler des restaurants du cœur qui tirent la sonnette d’alarme…

Les risques de manipulation de l’information, comme lors de l’explosion à l’hôpital de Gaza, résultat d’une frappe d’Israël selon le Hamas, conséquence d’un tir du Djihad islamique selon Israël et plusieurs experts.

Sur un sujet comme celui-ci, nous sommes typiquement dans les premières heures dans ce que von Clausewitz appelait le « brouillard de la guerre ». Il est normal et sain que les médias prennent des précautions, relaient les deux thèses des camps qui s’affrontent et qu’ensuite, au gré de leurs propres enquêtes, ou au regard d’éléments tangibles et objectifs, ils contribuent à dissiper ce brouillard. Il ne faut pas être dupe, la bataille de la communication est partout et chaque camp s’appuie sur des images pour rallier l’opinion internationale à sa cause. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que certains médias y aillent de manière prudente. Alors, certes, il y a aussi la course à l’urgence, ou même le manque de professionnalisme qui peut jouer. Ensuite, on peut aussi avoir des médias qui ont leurs propres grilles de lecture idéologiques et privilégier les explications d’un camp plutôt que de l’autre. Mais on se souvient de l’affaire des faux charniers de Timisoara, en Roumanie. Ou encore les armes de destruction massive en Irak, ou même l’histoire des couveuses lors de la première guerre du Golfe. Dans toute guerre, ou toute révolution, il y a des tentatives de manipulation de chacun des camps, et même aussi parfois le camp en apparence du « bien », ou de nos alliés.

La Commission européenne qui déclenche des enquêtes sur X, TiKTok et Meta, ou la difficile régulation des plateformes.

Aux yeux de l’opinion publique, l’actualité récente - la situation au Proche Orient ou l’assassinat d’un enseignant - pose la question de la régulation des plateformes. Outre le fait que la radicalisation passe aussi par les réseaux sociaux, les deux événements ont donné lieu à la prolifération de fake news, de commentaires, d’informations erronées ou manipulées. Tout cela renforce la nécessité criante de réguler ces plateformes, qui sont manifestement hors de contrôle et dont le caractère débridé a des effets nocifs dans la vraie vie. Tout cela génère des drames. Déjà, il y a quelques semaines, on parlait d’autres drames avec le cyberharcèlement poussant des enfants au suicide. De manière générale, toutes les contrevérités véhiculées tendent à déstabiliser nos sociétés démocratiques, car elles sont jugées crédibles par la population. On sait que les flux échangés sont très nombreux et que les réseaux sociaux vivent de l’économie du clic, domaine économique très juteux, mais il faut en appeler à la responsabilité de ces acteurs économiques. Nous n’atteindrons jamais une régulation parfaite et optimale. Mais on peut espérer au moins ne pas reculer. Rappelons que pour le cas X, Elon Musk a décidé pour des raisons économiques de virer les équipes de modération. Certes, on ne demande pas l’impossible, mais à tout le moins de renforcer les moyens. Nous ne sommes pas sur de petits enjeux. Il faut une démarche européenne vertueuse, et faire bloc ensemble, sans que chacun des pays ne parle de manière dispersée. Car tout cela finira par un rapport de force avec les géants de la tech.

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