Peut-on faire un pneu plus vert ? Tom Adams, directeur général France et Benelux du leader mondial des pneumatiques, présente son plan d’action pour réduire les émissions de CO2 et développer le recyclage.
Dressez-nous le portrait de Bridgestone en quelques chiffres.
Tom Adams. Bridgestone est l'un des leaders mondiaux des pneumatiques et solutions de mobilité, fondé en 1931 au Japon. Son chiffre d’affaires est de 26 milliards d’euros. Il possède environ 140 usines et investit 600 millions d’euros chaque année dans la R&D. Le groupe compte plus de 130 000 collaborateurs dans environ 150 pays, dont la France avec autour de 3 000 collaborateurs et plus de 900 points de vente Speedy et First Stop.
Quels sont vos objectifs en termes de décarbonation ?
Pour mémoire, 13% de nos émissions de CO2 sont liées aux achats, à la production et à la logistique, 87% à la phase d’utilisation. Nous visons la neutralité carbone et 100% de matériaux durables, recyclés ou renouvelables en 2050 sur notre chaîne de valeur, avec une étape en 2030 : la réduction de nos émissions de CO2 de 50% par rapport à 2011 et l'utilisation de 40% de matériaux durables.
En 2022, nous avons déjà atteint 38% de matériaux durables et réalisé une baisse de 30% des émissions de CO2 dans le monde. Nous sommes plus avancés en Europe avec des émissions en baisse de 59% sur nos scopes 1 et 2. La totalité de nos usines en Europe utilise de l’électricité renouvelable. Soit elles sont équipées de panneaux solaires et d’éoliennes, soit elles s’approvisionnent en énergie verte si nous ne pouvons pas produire l'électricité nous-mêmes.
Quelles solutions durables existent pour les pneumatiques ?
Pour la fabrication des pneus, nous utilisons du caoutchouc naturel et synthétique, du noir de carbone, de la silice. Pour remplacer le caoutchouc, nous travaillons sur une plante cultivée dans les régions arides, le guayule. Elle pourrait pousser en Espagne, dans le Sud de la France, dans le Nord de l’Afrique, aux Etats-Unis, à proximité de nos usines, et nous permettrait d’être moins dépendants des approvisionnements des pays d’Asie du Sud-Est. Depuis 2012, nous avons investi 100 millions d’euros dans la recherche sur cette alternative et nous allons mettre 42 millions d’euros supplémentaires pour passer à l’échelle supérieure, dans le but de commencer à commercialiser des produits au guayule à partir de 2030.
Est-il possible de recycler les pneus ?
La fabrication d’un pneu s’appelle la vulcanisation, c’est un processus chimique qui incorpore plusieurs ingrédients à une température et une pression élevées. C’est un peu comme un gâteau, et il est très difficile de transformer un pneu cuit en nouvelles matières premières. En revanche, nous consacrons une R&D importante au recyclage ou à la récupération du noir de carbone. Pour la première fois, nous avons noué un partenariat avec Michelin pour parvenir à une production à grande échelle de noir de carbone recyclé. Nous menons de plus en plus de partenariats avec d’autres acteurs industriels et des start-up car nous n’avons pas toutes les expertises en interne.
Actuellement, la circularité n’est pas optimale dans l’industrie des pneumatiques. Une partie des pneus fait l’objet d’une valorisation énergétique, une autre est recyclée en granulats, mais la proportion réutilisée dans le pneu reste encore trop faible. Il faut trouver des solutions pour arriver à 100 % de matériaux durables en 2050.
Quels sont les autres axes de décarbonation ?
On a développé des jumeaux numériques, un outil virtuel qui permet de prédire la performance des pneus sous différentes conditions sans être obligés de produire tous les prototypes ni de les tester sur circuit. Cela représente une économie de 200 prototypes par dimension, soit 40 000 kilomètres en moins par circuit, 60% de réduction d’émissions de CO2 et 50% de temps gagné sur la phase de développement. Il reste encore quelques prototypes à la fin du processus. On utilise désormais cette technologie pour la plupart de nos programmes.
Est-ce qu’une solution n’est pas de prolonger la vie des pneus ?
Ces quatre dernières années, nous avons amélioré la résistance de roulement et la résistance à l’usure de 10% chacune en moyenne. On souhaite atteindre 30% grâce à des partenariats. Pour les pneus poids lourds nous utilisons la technique du rechapage, le remplacement de la bande roulement qui permet de doubler la vie du pneu et de réduire la consommation de matières premières. Cela concerne 39% des pneus poids lourds mais cela est moins évident pour les pneus tourisme car le modèle économique n’est pas le même.
Qu’est-ce que les véhicules électriques changent pour votre activité ?
Les exigences sont plus élevées que pour un véhicule classique, car ils pèsent plus lourd avec la batterie, le couple moteur est plus puissant avec un impact sur la longévité, la résistance au roulement est importante, et il faut réduire le niveau sonore car on n’entend plus le moteur. Nous avons développé une plateforme technologique, baptisée Enliten, pour travailler sur la réduction du poids du pneu jusqu’à -20 % et sur l’augmentation de sa longévité jusqu’à +30 %. On ne peut pas faire les deux en même temps, tout dépend du choix du constructeur. Actuellement, 5% de nos ventes se font avec cette technologie et nous avons un objectif de 25% en 2024.
La transition, c’est aussi changer de modèle. Développez-vous de nouvelles activités au-delà de votre métier de base ?
On est dans une transformation, on ne veut plus être considérés comme des manufacturiers de pneus classiques mais comme des fournisseurs de solutions de mobilité durable. Nous avons racheté en 2019 la société TomTom Telematics, devenue Webfleet, le numéro un en Europe de la gestion de flottes. Elle utilise les données de plus de 2 millions de véhicules en Europe pour mieux gérer la planification des itinéraires, le comportement de conduite. On a par exemple signé des partenariats avec certaines villes pour identifier les carrefours dangereux ou les zones de bouchons. On organise des formations à l’écoconduite. Les solutions de mobilité autre que les pneus représentent plus de 20% de notre activité et on veut les développer davantage.
Parcours
1995. Master en sciences économiques appliquées à l'université d’Anvers.
1996. Master en management international à l'université d’Uppsala.
1997. Entrée chez Bridgestone Europe comme pricing analyst.
2012-2016. Directeur de la division consumer, Europe de l’Est puis France et Benelux.
2016-2018. Directeur des ventes consumer Europe pour les marchés de remplacement.
Depuis 2018. Directeur général France et Benelux de Bridgestone.