Pour les festivals, l’été sera-t-il chaud ? Alors que le covid est (enfin) derrière eux et que la fréquentation est de nouveau au rendez-vous, les grands événements musicaux de cette période doivent faire face à de nouvelles problématiques. Ils ne s’en tirent, pour le moment, pas si mal.
Les basses dans la poitrine et les oreilles bourdonnantes, les bières dans des gobelets en plastique, la folie contagieuse face aux artistes du moment ? Les festivaliers valident. S’il fait bon revenir dans ces manifestations, pas sûr pour les organisateurs que leur bonne tenue soit si évidente, alors que les récentes émeutes un peu partout en France ont entraîné quelques annulations, comme pour Fnac Live Paris ou le Barrière Enghien Jazz Festival – partiellement, dans ces cas. Si les principaux festivals de l’été semblent avoir retrouvé leurs niveaux de fréquentation de 2019, ils font désormais face à d’autres enjeux. « Heureusement, nous pouvons encore faire appel aux assurances pour limiter la casse mais pour combien de temps encore ? Elles sont de plus en plus sollicitées et donc de plus en plus élevées… Les petits producteurs ne peuvent plus les souscrire car impossible à rentabiliser dans le modèle actuel de la production événementielle… », illustre dans un post LinkedIn du 2 juillet Sébastien Perrier, directeur du développement de We Love Art, agence événementielle coproductrice de festivals (We Love Green, Peacock Society, Yardland).
Au-delà de cette actualité, c’est l’inflation, de 10% à 25% selon les cas, qui s’invite dans les plans budgétaires. « C’est la première fois que j’avais dans mon budget une ligne dédiée, à hauteur de 150 000 euros », confie Jean-Paul Roland, directeur général des Eurockéennes de Belfort. S’y ajoute une augmentation des cachets des artistes, jusqu’à 40%. À la fois un effet de la concurrence entre festivals et une tentative de rattrapage post-covid. De quoi mettre à mal un budget et imposer la nécessité de trouver des parades.
Alternatives économiques
L’augmentation des recettes apparaît comme un levier évident. « Les petits et les très grands festivals ont augmenté leur prix au même niveau que l’inflation et les festivals de taille intermédiaire au-dessus de l’inflation », observe une étude du Prodiss, un syndicat du spectacle, sur l’évolution du prix des billets, sortie en juin. Aucun des festivals interrogés par Stratégies n’aurait augmenté ses prix, au nom de l’accessibilité. Les solutions privilégiées sont autres. Pas de quoi pour autant modifier la structure des modèles économiques, fondés à des degrés divers sur plusieurs piliers : billetterie, subventions, partenariats privés. Ce modèle de partenariat se portant bien cette année, même si, de source professionnelle, certaines marques du digital auraient « rationalisé leurs investissements ».
« Nous commençons par programmer des spectacles où l’on intervient dans la production pour maîtriser ces coûts. Nous constituons ce “trésor de production” avec nos recettes actuelles. Nous connaissons en fin de festival nos capacités de production pour la prochaine édition », détaille Dominique Delorme, directeur des Nuits de Fourvière – qui va passer la main. Autres pistes suivies : mutualiser les lieux pour des festivals organisés de façon consécutive pour des communautés distinctes (Peacock Society et Yardland, ce dernier ayant finalement été annulé), construire en dur – c’est le souhait des Vieilles Charrues, afin de diminuer les coûts de matériel ou de transport –, allonger le format pour amortir les coûts de location du site : c’est le cas pour Rock en Seine, passé de trois à quatre jours en 2022. L'inflation se gère aussi par des renégociations ou des signatures de contrats pluriannuels avec les fournisseurs. « Nous pensons les choses de manière écologique et économique. Nous travaillons sur un projet de structures de décors standards avec d’autres acteurs comme l’Opéra de Paris. Le but est aussi de faciliter les tournées en déplaçant des poids moins importants », complète Stéphanie Deporcq, administratrice déléguée du Festival d’Aix-en-Provence.
Côté RH, des questions se posent également. Pendant le covid, des employés du spectacle vivant se sont tournés vers l’audiovisuel, d’autres ont changé de vie, des intermittents ont dû quitter la profession. La concurrence entre événements fait rage, les tournées artistiques se rallongent, les métiers ne sont pas assez valorisés. Mais les festivals ont plus d’une corde à leur arc pour trouver et fidéliser leurs effectifs. Plusieurs misent sur leur image, leur ancrage dans une région, l’attachement qu’ils provoquent. Ils savent aussi que la quantité de travail proposée peut représenter plusieurs mois d’intermittence, soit un rendez-vous incontournable. Ils entendent enfin attirer grâce à leurs valeurs, notamment exprimées dans la programmation (diversité, expression de soi…). De ce point de vue, les tensions sur l’emploi rencontrées ailleurs dans l’événementiel apparaissent pour eux surmontables.
Une organisation sportive
Se pose aussi la question de l’organisation des éditions 2024. L’été prochain, les Jeux olympiques et paralympiques préempteront les lieux, les ressources, l’espace médiatique, l’intérêt des sponsors. Malgré la sortie tonitruante de Gérald Darmanin, fin 2022, sur la nécessité d’annuler les événements concomitants faute de forces de l’ordre disponibles, pas question pour les festivals de servir de variable d’ajustement pour optimiser l’accueil des Jeux. Ils se sont organisés – l’un dit même s’être appuyé, de fait, sur les émeutes, pour tester des dispositifs de sécurité remodelés. Sport et culture ne s’opposent pas. « Avant le sujet sur la sécurité, nous avions déjà acté le fait de nous intégrer au programme l’Olympiade culturelle, développe Matthieu Ducos, directeur de Rock en Seine. Nous nous sommes rapprochés il y a deux ans du Cojo pour faire de Rock en Seine [2024] une caisse de résonance sur ses valeurs, un tremplin culturel, sportif avec de vrais contenus. »
Restent des réflexions sur l’avenir à long terme des festivals. « Parfois, l’inflation a bon dos, estime Jérôme Tréhorel, directeur général des Vieilles Charrues. Un fossé est en train de se creuser avec de nouveaux concerts dont les billets deviennent inaccessibles. Le risque est qu’à terme seuls quelques acteurs privés continuent d’organiser des événements avec des artistes qui marchent. Au détriment des artistes moins bankables et du public. » Autre débat, « les festivals réinterrogent leur modèle sur la course au développement. Où va s’arrêter la croissance des petits festivals en moyens puis en grands ? Qu’est-ce qui est soutenable et souhaitable ? », note Claire Fita, vice-présidente de la Région Occitanie en charge de la culture, tandis que cette collectivité déploie actuellement une campagne valorisant son millier de festivals.