Avec « Dis-moi ce que tu vois : quand l’art nous ouvre les yeux », Les Darons et l’association Valentin Haüy piègent les visiteurs du musée d’Orsay pour les sensibiliser aux déficiences visuelles. Un dispositif récompensé par le Grand Prix Stratégies de la communication santé.
D’après les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé, d’ici deux à trois ans, la malvoyance va devenir un véritable enjeu de santé publique, avec une arrivée exponentielle de nouveaux cas de maladies comme la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA). Forte de ces projections, l’association Valentin Haüy, qui soutient depuis plus de 130 ans les personnes non voyantes et malvoyantes en leur apportant les moyens de mener une vie normale, a voulu lancer une campagne à destination du grand public.
« Notre objectif, explique Émilie Lèbre, responsable communication de l’association, c’était de sensibiliser et surtout de faire en sorte que ceux qui sont au contact d’une personne malvoyante aillent à la discussion avec elle. C’est très dur de vivre avec le handicap, il faut parfois plusieurs années avant d’oser en parler et donc on voulait aussi inciter l’entourage d’une personne âgée, par exemple, à entrer en discussion avec elle sur ses perceptions au quotidien pour peut-être aussi détecter une difficulté. »
Le choix du contre-pied
L’association fait alors appel aux Darons, agence de communication santé avec laquelle elle avait travaillé sur une première campagne en 2021. Elle lui propose, pour sensibiliser à la malvoyance, de toucher les gens là où la vue est cruciale : dans l’art, au musée. Un contre-pied qui séduit immédiatement chez Valentin Haüy.
L’idée – un peu folle – des créatifs : installer, lors de la Journée mondiale de la vue, le 12 octobre 2022, à la place de l’autoportrait de Vincent Van Gogh exposé au musée d’Orsay, une copie numérique sur laquelle sont projetés par intermittence quatre effets visuels (apparition d’une tache noire pour la DMLA, diffusion d’un effet trouble pour le glaucome...) afin de montrer les différents types de déficience. Dans l’encadrement dans lequel est enchâssé l’écran rétroéclairé, sont ajoutées deux mini-caméras pour enregistrer les réactions du public.
Van Gogh n’a pas été choisi au hasard. « C’est un peintre qui est difficilement classable, il a été inspiré par l’impressionnisme, et le principe de l’impressionnisme, c’est de traduire des sensations visuelles et de travailler sur l’expression instantanée de lumière. C’est exactement notre opération », indique Franck Leroux, coprésident des Darons.
Un timing très précis
Le dispositif constitue un véritable défi à plusieurs niveaux. « Tout devait être impressionnant, et en un temps record, précise Alex Bruère, l’autre coprésident de l’agence. C’était une opération commando. On ne peut pas monopoliser le musée d’Orsay très longtemps, il a donc fallu que toutes les parties prenantes jouent le jeu en même temps : l’association bien sûr, mais il fallait aussi avoir les autorisations pour s’installer dans un grand musée et rentrer dans un budget qui est quand même nonprofit. Et tout ça devait concorder avec la Journée mondiale de la vue. Le timing était très précis. »
« Il y avait un gros travail en amont, ajoute Franck Leroux. Cette opération a nécessité une base médicale et scientifique. On a cherché à représenter ce que voyaient réellement les personnes malvoyantes. Côté technique, il a fallu dupliquer le portrait de Vincent Van Gogh dans un écran mat, dans un cadre qui puisse donner le change et piéger les spectateurs, afin qu’ils aient vraiment l’impression d’être face au tableau qu’ils étaient venus admirer. »
Et les témoignages des visiteurs sont édifiants : s’ils sont déroutés par le dispositif, s’opère également une vraie prise de conscience de ce que vivent les malvoyants. « L’idée n’était pas de les laisser partir avec leurs doutes mais bien de leur expliquer la démarche, souligne Olivier Loock, directeur du développement de l’association Valentin Haüy, à savoir de sensibiliser les personnes à un handicap qui n’est pas visible, parce qu’une personne malvoyante n’est pas forcément identifiée. »
« Dans le corps d’une personne handicapée »
Olivier Loock, directeur du développement de l’association Valentin Haüy
« Cette opération, c’est exactement ça qu’on voulait faire : permettre au grand public d’entrer dans le corps d’une personne handicapée et de voir avec ses difficultés. On constate dans les réactions des gens qui ont été piégés que l’objectif est atteint. Nous avons en outre eu de belles retombées, très qualitatives. Et c’est même allé au-delà de la communication, puisque cette campagne nous a permis de recruter de nouveaux mécènes qui ont compris l’intérêt du travail de l’association. »