Fin avril, le Ponant, compagnie de croisière haut de gamme, ouvrait à Brest les portes du Commandant Charcot, premier navire hybride d’exploration polaire au gaz liquéfié. Le bâtiment d’ultra-luxe incarne les défis environnementaux auxquels sont soumis les armateurs, contraints à repenser d’urgence leurs flottes.
Pourquoi pas ? Telle est l’effrontée réponse que Jean-Baptiste Charcot servait à son éminent neurologue de père, lorsque celui-ci exprimait sa défiance quant au désir filial de prendre la mer plutôt que la blouse blanche. Devenu marin, le commandant Charcot s’illustrera dans l’exploration polaire, à bord de bateaux tous baptisés Pourquoi pas ?, notamment le Pourquoi pas ? II, qui, en 1902, franchira pour la première fois le cercle polaire arctique. «Pourquoi pas ?» semblent s’être dits, à leur tour, les équipes de la compagnie du Ponant au moment de construire Le Commandant Charcot. Le navire de croisière battant pavillon français, de 150 mètres de long et 28 mètres de large, constitue depuis sa livraison à l’armateur en 2021 le premier paquebot brise-glace hexagonal, avec une capacité de 245 passagers. Pendant l’été boréal, il met le cap sur l’Arctique ; lors de de l'été austral, sur l’Antarctique. Autre spécificité, et pas des moindres : le bâtiment est le premier navire d’exploration polaire hybride électrique propulsé au gaz naturel liquéfié (GNL).
Comme un symbole : le jeudi 27 avril 2023 au matin, Le Commandant Charcot arrivait au quai des Énergies marines renouvelables de Brest. Quelques jours non loin d’imposants gaziers ou d’éoliennes démontées, pour effectuer des travaux notamment sur ses stabilisateurs, avant un appareillage le 2 mai cette fois-ci à destination de l’Islande, plus précisément Reykjavik. En attendant de regagner le large, le bateau ouvrait ses portes à quelques passagers, agents de voyage, clients VIP ou journalistes. Couleurs organiques – sable, grège, bleu profond –, volumes aux délicatesses de coquillages, les espaces intérieurs, pensés par le Studio Jean-Philippe Nuel et Wilmotte & Associés, ont été conçus pour se marier aux paysages traversés par le navire, donnés à contempler par de larges baies.
Un raffinement qui a son prix pour voguer sur le bateau, propriété depuis 2015 – comme la compagnie du Ponant – d’Artémis, holding de François Pinault : les prix démarrent à 18 920 euros pour 14 nuits à bord et peuvent monter à une addition à trois chiffres pour une croisière au long cours dans les plus belles cabines du bateau. Telle la suite de l’Armateur, 115 m2 de calme et de volupté avec sa terrasse privative de 186 m2, jacuzzi inclus. À bord, 45% de clientèle française puis, pour les étrangers, 70% d’Américains ; mais aussi des Allemands, des Australiens, des Britanniques, des Chinois et, avant la guerre en Ukraine, des Russes. Un profil de palace d’ultra-luxe au royaume des glaces.
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«À l’origine du Commandant Charcot, il y avait le désir de repartir sur les traces des explorateurs polaires, tout en restant cohérent par rapport à ce que représentait l’explorateur», résume Mathieu Petiteau, directeur des nouvelles constructions, de la R&D et du RSE chez Ponant. Sur les Pourquoi pas de Charcot, l’on pouvait trouver des labos de recherche. De même, sur le Commandant Charcot, dès les premières phases de sa conception, ont été inclus des espaces consacrés aux activités scientifiques : un laboratoire «humide» avec un accès direct à la mer et un laboratoire «sec». Une soixantaine de chercheurs (50% français, 50% étrangers), biologistes, climatologues, océanologues, ornithologues, spécialistes des mammifères marins, etc. ont été accueillis depuis la première année d’exploitation du navire. En 2024, la première croisière transarctique du bateau rassemblera une vingtaine de scientifiques. Le navire, qui a attribué 2 millions d’euros à la recherche à son lancement, constitue ce que l’on appelle «un navire d’opportunité» pour les scientifiques. Il leur permet, en marge des missions océanographiques, de réaliser notamment des prélèvements dans des zones difficiles d’accès : le 6 septembre 2021, le Commandant Charcot était le premier navire français à atteindre le pôle Nord géographique – le fameux 90°Nord.
Un aspect pionnier, au sens large, qui a été au cœur des réflexions dès la conception du bateau. En termes d’empreinte carbone, au premier chef. «Lorsque nous avons décidé de développer le Commandant Charcot, notre enjeu principal était d’en limiter la consommation de CO2, résume Patrick Augier, secrétaire général de Ponant. Le sujet qui nous occupe le plus, c’est la décarbonation de la flotte actuelle.» «Toute la journée, nous pensons CO2, CO2, CO2», abonde Mathieu Petiteau, qui évoque «une fébrilité générale» sur l’ensemble du secteur maritime. «Il s’agit d’innover pour continuer à décarboner. Nous sommes à un vrai tournant. C’est LE gros sujet d’actualité sur lequel les armateurs doivent se positionner», poursuit le directeur des nouvelles constructions, du R&D et du RSE.
Depuis le 1er janvier 2023, tous les navires sont soumis à une note énergétique, le Carbon Intensity Index (CII). Et l’an prochain, la taxe carbone concernera, outre le secteur aérien, le secteur maritime, avec des pénalités en jeu. Dans ce cadre, l’utilisation du gaz naturel liquéfié permet déjà 20% d’émissions de moins qu’avec du fuel traditionnel. «Une des premières mesures consiste également à réduire sa vitesse d’exploitation, qui est de 16 nœuds pour nous, souligne Patrick Augier. Nous visons 10 nœuds, ce qui nous permettrait une économie d’énergie de 10%.» Dans le futur, la propulsion vélique pourrait être l’une des pistes de réduction énergétique, qui impliquerait notamment d’augmenter le nombre de membres d’équipage et d’en reformer une partie à la marine à voile.
Dans ce contexte de mutations, la compagnie du Ponant, qui a lancé le 22 mai une campagne corporate conçue par Fred&Farid et signée «Nature is our Guide», garde pour «axe stratégique, précise Patrick Augier, de limiter les émissions carbone. Nous cherchons à développer un navire zéro émission. Sur le futur bateau, nous envisageons déjà d’installer des laboratoires avec pour thème le cycle du carbone et le traitement du CO2.» Le navire, précise Mathieu Petiteau, pourrait être entièrement construit en acier recyclé. «Pourquoi pas ?», aurait sans doute rétorqué Jean-Baptiste Charcot qui écrivait, dans Le Français au pôle Sud : «D’où vient cette étrange attirance pour ces régions polaires, si puissante, si tenace, qu’après en être revenu on ne songe qu’à retourner vers elles ?»
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Chiffres clés
2 500. Nombre d’équipiers du Ponant à bord pour 550 salariés à terre.
10. Nombre de bureaux du Ponant (Marseille, Paris, Bruxelles, Hambourg, Londres, New York, Seattle, Sydney, Shangaï, Mata Utu).
13. Nombre de navires.
430. Nombre de croisières avec 110 itinéraires différents.