La biscuiterie finistérienne centenaire a connu une expansion continue, notamment grâce à sa proximité culturelle avec les peintres de l’Ecole de Pont-Aven. Partie d’une petite boulangerie, elle s’est fortement développée à l’international et sur le haut de gamme.
Dès l’entrée, les effluves sont chauds, enveloppants, onctueux et presque envoûtants. Familiers, aussi. Dans l’usine de la biscuiterie Traou Mad, à Pont-Aven, l’odeur de beurre saisit le visiteur. Tout comme la vision de blocs de beurre, imposants et omniprésents, parfois estampillés d’une simple marque circulaire – chez Traou Mad, on vérifie la juste température de l’or jaune à l’ancienne, en y plongeant le doigt. «Notre trésor, c’est le beurre, résume Estelle Le Coz, responsable de production de la biscuiterie Traou Mad. Nous consommons 1,5 tonne de beurre doux par jour que nous salons nous-mêmes au Sel de Guérande.» La composition des fameux palets n’a guère bougé depuis la création de cette institution gastronomique bretonne, il y a plus d’un siècle, en 1920 : 33% de beurre, du sucre, du lait et de la farine. Venelle de Rosmadec, à Pont-Aven (Finistère), les boulangers Francine et Alexis Le Villain ont l’idée du généreux biscuit, qui fait notamment le bonheur des marins : emmailloté dans un torchon, il se conserve bien lors des virées en mer. On le vend sur les marchés locaux, Concarneau, Quimperlé, Quimper…
Le bien nommé Traou Mad, «bonne chose» en breton, sera suivi dans les années 1950 par les fameuses Galettes de Pont-Aven, sous la houlette de Marguerite Le Villain qui reprend l’entreprise familiale et lui donne un nouvel essor. La galette détrône le palet : aujourd’hui, il constitue le produit phare de la biscuiterie avec deux tiers de galettes vendues pour un tiers de palets. Le gaulois film de Joël Séria de 1974, Les Galettes de Pont-Aven, avec un Jean-Pierre Marielle égrillard, donne un rayonnement inattendu à la marque. «Marguerite Le Villain, qui avait donné son accord pour l’utilisation du nom des galettes, était plutôt choquée et déçue, raconte Marc Cadiou, directeur commercial MDD, boutiques et épicerie fine de Loc Maria Biscuits, qui a côtoyé la fille des fondateurs. Dans le film, à aucun moment il n’est question des galettes de Pont-Aven… Le point positif, c’est qu’on l’on y parle de Pont-Aven, avec de belles images, notamment du Bois d’Amour qui a tant inspiré les peintres. Et comme il repasse très souvent à la télé, à chaque fois, ça fait un coup de projecteur sur la marque.»
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En 1985, Marguerite Le Villain cède son affaire à Jean Mentheour, industriel de Carhaix-Plouguer. «C’est à ce moment qu’ont démarré les Trente Glorieuses de Traou Mad, résume Marc Cadiou. Nous avons connu un fort développement commercial en sortant de nos bases : le produit était encore très régional.» Coup de génie de Jean Mentheour : «Marguerite Le Villain avait eu l’idée marketing d’une boîte dessinée à la manière de Gauguin, afin de faire référence à la fameuse école de Pont-Aven. Jean Mentheour a décidé d’aller plus loin : il savait que la peinture de Gauguin était tombée dans le domaine public… De la même manière, il a remplacé le logo du petit Breton qui mange un biscuit par La Ronde des petites Bretonnes de Paul Gauguin», relate Marc Cadiou.
Les œuvres de Gauguin, figure de proue de l’école de Pont-Aven, aux côtés de Paul Sérusier ou Émile Bernard, ornent les boîtes en fer blanc de la marque qui sont déclinées dans tous les formats : boîtes à bonbons, boîtes à thé, boîtes à sucre… Celles-ci plaisent au-delà des espérances. «Cette innovation avait vertu de collection, souligne Marc Cadiou. Chacun garde nos boîtes dans la cuisine, nous sommes donc toujours présents chez les gens…» Les boîtes continuent encore aujourd’hui à se renouveler, avec des collaborations avec des artistes de Pont-Aven ou des acteurs locaux comme Armor Lux, qui lance les opérations de co-branding au début des années 2000.
En vingt ans, la marque passe d’un chiffre d'affaires de 16 millions de francs (2,5 millions d’euros) en 1985-1986 à 20 millions d’euros. «Notre leitmotiv n’a jamais été de faire du volume», explique Marc Cadiou. La marque privilégie un positionnement premium et a pour clients les palaces parisiens (Ritz, Plaza Athénée…) qui garnissent de biscuits Traou Mad les corbeilles d’accueil de leurs clients, mais aussi le groupe Accor avec Sofitel, qui permet à la marque d’être présente dans 65 hôtels dans le monde, tout comme au Bon Marché ou chez Lafayette Gourmet, très prisés par les étrangers, ou chez Air France, qui offre les produits salés et sucrés de la marque sur ses premières classes ou ses classes business.
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En 2006, les enfants de Jean Mentheour ne souhaitant pas reprendre Traou Mad SAS. Un fonds d’investissement reprend l’entreprise pendant six ans, et accroît son développement international. Nouveauté : les collaborations avec les MDD. Monoprix Gourmet, Reflets de France (Carrefour), Saveurs de vos Régions (Lidl), Patrimoine Gourmand (Cora), Nos Régions ont du Talent (E.Leclerc), Casino Délices. Aujourd’hui, cette activité représente 25% du CA, tandis que l’export en représente 20%. Puis, en 2012, arrive un mariage en grande pompe entre deux fleurons bretons : les Gavottes et les Galettes de Pont-Aven, via un rachat par Christian Tacquard, patron du groupe Loc Maria Biscuits. «C’était une belle chose à faire que de réunir des marques bretonnes authentiques mais pas vraiment concurrentes. La synergie entre les équipes commerciales joue à plein, avec une politique de distribution renforcée», commente Marc Cadiou.
Prochaines orientations : un infléchissement vers la RSE plus prononcé. «Au sein de Loc Maria Biscuits, nous avons enlevé les barquettes des étuis, ce qui représente déjà 27 tonnes de plastique…», explique Marc Cadiou. «Actuellement, par exemple, nous utilisons 3 tonnes de farine par jour, ce qui équivaut à un silo, précise Estelle Le Coz. La prochaine étape, ce sont des silos plus grands pour moins de flux camions.» Le développement des boutiques est également en chantier, avec l’agrandissement du magasin historique de Pont-Aven, inauguré en juillet, et la future ouverture dans «une ville côtière très renommée», annonce, sybillin, Marc Cadiou. Saint-Malo ? Voilà qui ancrerait les «bonnes choses» sur la Manche, au nord de Pont-Aven, « cette petite ville aimable, jolie, si jolie dans sa vallée ronde qui tourne comme un manège de fête foraine entre les maisons et les arbres», écrivait l’enfant du pays, le poète Xavier Grall.
Chiffres clés
84 millions d’euros Chiffre d'affaires Loc Maria Biscuits et MDD en 2022.
1 851 tonnes Quantité de biscuits Traou Mad vendus.
120 millions Nombre de Galettes de Pont-Aven Traou Mad vendues, contre 30 millions de Palets de Pont-Aven.