Alors que la jeune génération s’interroge tout particulièrement sur le sens accordé à son travail, la recherche d’impact économique, environnemental et social, devient transverse à tous les types d’organisation : grands groupes, PME-TPE, entreprises de l’économie sociale et solidaire, associations, acteurs publics… Par Lénaïc Pineau, directrice développement durable et qualité de JCDecaux.
L’open innovation est l’un des puissants leviers à la disposition des entreprises. Consistant à collaborer avec des associations, des start-up et des entreprises de l’économie sociale et solidaire, elle peut faire bouger les lignes et créer de l’impact. Une opportunité à la fois pour les groupes, qui trouvent dans ces structures une agilité et une créativité indispensables à la mise en œuvre de certains projets, mais aussi pour les petites structures, qui peuvent ainsi bénéficier de moyens importants pour croître et passer à l’échelle. Pour s’y engager, il faut cependant accepter de remettre en cause les manières actuelles de penser et de faire. Quelles sont donc les clés de la réussite de la collaboration à impact ? C’est ce que nous avons cherché à savoir, en partant à la rencontre d’acteurs engagés, dans différentes causes.
Partage d'ambition
L’approche collaborative, Justdiggit l’a testée et approuvée. Depuis plus de dix ans, cette ONG internationale intervient auprès de millions d’agriculteurs et éleveurs d’Afrique subsaharienne pour les aider à reverdir naturellement leurs terres. Face à l’ampleur et l’urgence du défi, Justdiggit s’est appuyée dès sa création sur un large réseau de partenaires. Ce n’est plus un don financier, mais le partage d’ambition et des valeurs communes qui motivent ces entreprises à apporter leur expertise et une proposition de valeur complémentaire à la mission de l’ONG. « Ces collaborations forment des synergies parfaites : nous sommes convaincus que 1 + 1 = 3 », résume Stuart Taylor, qui dirige Justdiggit au Royaume-Uni. Une approche que promeut le Fonds Conjoint des Nations Unies pour les ODD (objectifs de développement durable), dont la mission est justement de stimuler le développement de partenariats public-privé en finançant des programmes conjoints destinés à accélérer les transformations économiques, sociales et environnementales. À la tête de son secrétariat, Lisa Kurbiel explique : « Pour atteindre les ODD d’ici à 2030, il faudra mobiliser 2 500 milliards de dollars supplémentaires par an. Toutes les parties prenantes doivent unir leurs forces pour y participer. »
Erwin Faure souscrit également à cette idée. Après une expérience au sein d’un grand groupe français de services à l’environnement, il a fondé Keenat, une entreprise de l’ESS [économie sociale et solidaire] qui développe des solutions pour sensibiliser, collecter et recycler les déchets qui ne sont pas encore dotés de filière de fin de vie (mégots, masques sanitaires, EPI [équipement de protection individuelle], chewing-gums…). Pour lui, les expertises développées dans chacune des organisations se répondent parfaitement et peuvent permettre d’accélérer des projets en alliant le meilleur des deux mondes : agilité et capacité d’innovation d’un côté, organisation et force de frappe de l’autre « Les start-up ont l’avantage de pouvoir tester de nouvelles idées et d’innover plus rapidement grâce à un esprit entrepreneurial, une vitesse de décision et d’action plus flexibles que ceux des grandes entreprises. Cependant, les start-up peuvent parfois manquer de structure, de processus et de compétences expertes pour se développer. Dans une collaboration entre start-up et grandes entreprises, tous les partenaires sont égaux et gagnants », détaille Erwin Faure.
Issu lui aussi du monde de l’entreprise, Charles-Édouard Vincent, président et fondateur de Lulu dans ma rue, conciergerie de quartier engagée, a appliqué des mécanismes économiques à son projet d’impact social. « Mon combat s’appuie sur la performance économique, en tant que support pour créer de l’emploi inclusif », explique-t-il, rappelant que le défi permanent est de conserver l’humain au centre de toutes ses décisions. Les femmes et les hommes justement : tous s’accordent à dire que rien n’est possible sans leur engagement. C’est pourquoi les opérations de sensibilisation et de communication positive sont une des clés du succès de Justdiggit : « Ce ne seront pas les ONG et les gouvernements qui sauveront la planète, ce seront les gens », affirme Wessel van Eeden, directeur communication et marketing. Charles-Édouard Vincent, qui avait créé la structure d’insertion Emmaüs Défi avant Lulu dans ma rue, estime qu’il doit la réussite de ses projets entrepreneuriaux et sociaux à l’enthousiasme exceptionnel des personnes, au sein des organisations partenaires, qui les ont soutenus. Et cette impulsion pousse les petites entreprises à aller encore plus loin dans leur engagement : chez Keenat, la recherche de progrès permanent a conduit à la création d’un poste de « Directeur de l’impact ». Quelle que soit la taille de l’entité, il n’y aura pas de transition durable sans une mesure robuste de l’impact et une communication crédible auprès des parties prenantes.
Rôle de l'État
Cette exigence qu’il s’applique à lui-même, Erwin Faure la recherche aussi dans son travail auprès des grands groupes : « Il est important de créer une relation d’égal à égal, fondée sur la transparence et une véritable vision commune à long terme, et de se donner les moyens de la mettre en œuvre avec des processus solides ». S’il se réjouit de la capacité qu’ont les entreprises à collaborer en bonne intelligence avec d’autres formes d’organisations, il en appelle aux régulateurs pour amplifier leurs actions. « L’État doit fait bouger les lignes, abonde Charles-Édouard Vincent. Les lois et la commande publique représentent des leviers puissants pour accélérer le changement et la transition vers un impact social et environnemental positif. » Ainsi, face aux enjeux économiques, sociaux et environnementaux actuels, nous gagnerons collectivement à unir nos forces. Restons vigilants et ne détournons pas ces partenariats vertueux en action marketing avec un impact purement cosmétique. L’expérience collaborative de ces trois organisations le montre : c’est en construisant ces ponts entre institutions, grands groupes, start-up, entreprises de l’ESS et monde associatif, basé sur une culture partagée, une mission complémentaire et le respect de la contribution respective de chacun, que nous parviendrons à créer durablement de la valeur, pour un impact positif sur le monde.