Dans la nécessaire mutation des organisations pour répondre aux nouveaux enjeux climatiques et sociaux, la communication a un vrai rôle à jouer. Président du C3D, Fabrice Bonnifet a croisé les regards de Valérie Martin, de l'Ademe, et de Fanny Parise, anthropologue.
Le mode de fonctionnement des organisations nécessite d’être ré-interrogé et changé de manière radicale, en prenant en considération le plancher social et les limites planétaires, le cycle d’extraction, production, distribution et fin de vie des produits. Les entreprises doivent donc se transformer en profondeur. Dans ce contexte, la communication peut-elle devenir un levier d’action ? Cheffe du service mobilisation citoyenne et médias à l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), Valérie Martin croise son point de vue avec celui de Fanny Parise, anthropologue et auteure de l’ouvrage Les Enfants gâtés. Anthropologie du mythe du capitalisme responsable (Payot).
Qu’est-ce que la communication responsable ?
VALÉRIE MARTIN. Communiquer de manière responsable, c’est avant tout faire preuve de lucidité dans un contexte de transition écologique qui porte en elle nombre d’injonctions contradictoires ; il s’agit donc de prendre ses responsabilités. La publicité, la communication, le marketing sont des vecteurs de transformation culturelle majeurs pour se faire l’écho des défis sociétaux et accompagner le changement. Si ces fonctions acceptaient d’évoluer en profondeur et avec sincérité pour répondre à ces enjeux, alors elles pourraient mettre leurs compétences et leur créativité au service d’une société plus sobre et plus juste : en d’autres termes, la communication responsable doit pouvoir se mettre au service des nouveaux modèles, en promouvant des nouveaux récits, si elle veut assumer un rôle d’accélérateur du changement. Mais il faut pour cela que la démarche soit réelle, sincère et transformatrice.
FANNY PARISE. Il faut repenser les fondements de la communication et se poser la question de sa finalité : une communication au seul service des organisations est-elle encore pertinente ? A-t-elle seulement sa place, d’un point de vue éthique ?
Pour les enjeux de sobriété, il faut faire mieux et moins : est-ce une utopie ?
V.M. Je ne crois pas qu’il s’agisse d’une utopie. La communication responsable, ce n’est pas une injonction à ne plus consommer : c’est une injonction à consommer mieux et moins, en conscience et en responsabilité vis-à-vis des limites planétaires. Mais il s’agit surtout de questionner les modèles d’affaires, pour passer d’une économie linéaire à une économie servicielle, qui favorise l’usage plutôt que la possession. L’objectif est alors d’accompagner la désirabilité des offres qui incitent à produire et à consommer moins : en d’autres termes, initier un marketing et une communication de la sobriété. C’est là le véritable enjeu des années à venir : une communication qui porte sur les besoins plutôt que sur les désirs.
F.P. Il s’agit de faire évoluer les frontières du beau, du désirable. Avec l’avènement de l’ère de la sobriété, quelles nouvelles valeurs va-t-on pouvoir donner aux biens et à leur circulation dans notre société ? Le symbolisme attribué aux services, objets et expériences que nous consommons doit évoluer vers une adéquation avec les enjeux de notre époque et les enjeux planétaires. Le but de la communication responsable, jusqu’ici, est de bousculer les réalités des consommateurs, pour remettre en question le confort matériel hérité des générations précédentes. Nous pourrons y arriver si nous redéfinissons sincèrement les contours de nos modèles de consommation, leur fonction et leur place dans nos sociétés.
Fanny, vous soutenez que la consommation responsable est « le faux nez de la consommation, la bonne conscience en plus ». Est-ce que cela veut dire que la communication responsable est un oxymore ?
F.P. Pas forcément. S’il y a adéquation entre le faire et le dire, la communication sera davantage transparente et représentative de la réalité, que véritablement « responsable ». La question sous-jacente est celle du porte-parolat : qui doit prendre en charge les enjeux de pédagogie relatifs à la transition et à la place de la consommation ? Les entreprises, les organisations sont-elles les seules ou les plus à même de porter ces nouveaux récits ? En tant qu’anthropologue, j’ai tendance à questionner cette voix unique. Au-delà de la frontière public/privé, nous gagnerions peut-être à nous diriger vers une nouvelle manière de nous organiser, en fonction des échelles et des territoires : le collectif pourrait se réapproprier le discours de sobriété pour le relayer depuis le niveau local.
Une communication peut-elle être responsable pour des produits et services qui ne le sont pas ou pas encore ? Quid du greenwashing ?
V.M. Une communication ne peut pas être qualifiée de responsable pour des produits ou des services qui ne le sont pas encore. Elle n’est véritablement efficace que si elle s’intègre en amont, dès le début du projet, et pose d’entrée la question de la pertinence de l’action : c’est une démarche globale capable d’alerter sur les risques de greenwashing, parce qu’elle porte une vision et une capacité de pédagogie. Les communicants, pierre angulaire de cette démarche, ont besoin d’être formés, pour entrer pleinement en responsabilité vis-à-vis des messages qu’ils vont transmettre. Vouloir accompagner l’engagement des citoyens dans la transition écologique, c’est accorder une autre place à la communication, ne pas la réduire à un simple storytelling, sous peine de greenwashing avéré ! Cette communication se révèle dans la cohérence de l’ensemble des stratégies de marque, des discours et des campagnes : elle se définit par l’humilité, la sincérité et les preuves. Cela demande du courage.
Est-ce que l’autorégulation peut fonctionner dans le domaine de la communication ?
V.M. Des dispositifs existent déjà : l’examen des campagnes par l’ARPP avant diffusion, ou encore la possibilité pour tous les citoyens de saisir le jury de déontologie publicitaire. Mais les règles de déontologie appliquées à la RSE restent assez largement méconnues (plus de 11 % de taux de non-conformité dans le bilan Publicité et Environnement de 2020). En dehors de quelques scandales majeurs, le greenwashing n’est pas suffisamment dénoncé, ni condamné. De plus, la présence des ONG environnementales au sein du comité paritaire de la publicité est à ce jour inexistante. Pour voir évoluer le secteur, il faudrait accélérer le renouvellement des figures de gouvernance et étendre la portée contraignante des lois en vigueur. On assiste aussi à des évolutions encourageantes au niveau européen, avec une proposition de directive publiée en mars 2022 visant à associer les consommateurs à la transition verte en renforçant leurs moyens d’agir, pour inscrire la lutte contre les allégations environnementales trompeuses dans la réglementation.
F.P. Le mythe de l’autorégulation me paraît aussi questionnable dans le cadre de la communication responsable que dans le cadre de l’économie. D’une part, comme le dit Valérie, le cadre existant gagnerait à être renforcé. D’autre part, peut-être faudrait-il questionner, au-delà de l’autorégulation, l’omniprésence des publicités et des communications marchandes dans nos sociétés, quelles qu’elles soient : comment les consommateurs peuvent-ils s’orienter, dans un contexte de sur-stimulation avec des discours de consommation martelés quotidiennement ?
V.M. On en revient à la question du besoin : actuellement, les consommateurs déclarent vivre dans une société qui nous pousse sans cesse à acheter. Dans le marketing de la sobriété, il s’agit de se recentrer sur les besoins humains et de la vie, plutôt que sur des désirs souvent artificiels !
Comment une entreprise peut-elle gérer la communication de sa transformation ?
F.P. Les entreprises doivent d’abord accepter de se transformer pleinement, c’est-à-dire aussi accepter de renoncer à certains marchés, à faire moins de profits. Il faut accepter la contrainte. De nouveaux modèles vont émerger en réponse aux défis auxquels nous faisons face : comme dans toute transition, il va falloir abandonner certaines pratiques prédatrices du vivant, pour pouvoir en adopter d’autres, plus responsables. Il n’y a même plus à négocier. J’espère que les populations et les collaborateurs ne croiront plus dans des entités qui, même si elles se réinventent, restent en inadéquation avec le plancher social et les limites planétaires.
V.M. Les consommateurs aujourd’hui n’attendent pas des marques qu’elles soient parfaites, mais qu’elles prouvent qu’elles ont saisi l’ampleur des enjeux et s’interrogent réellement sur leurs pratiques et leur impact sur l’environnement. Les marques doivent parler en transparence du cheminement et des progrès qu’il leur reste à faire. C’est là que le rôle des communicants prend toute sa place : il s’agit de remettre le sens au cœur des dispositifs de communication, mais aussi de développer la coopération entre l’ensemble des parties prenantes pour créer de nouveaux rapports au sein des organisations, et de la société dans son ensemble. Bref, s’interroger : dans quel monde veut-on vivre ? Avec quels modèles de production ? De consommation ? De vivre ensemble ? Chacun d’entre nous doit se poser ces questions, les organisations les premières, pour elles et pour la société dans son ensemble.