TRIBUNE

[Tribune] Les polycrises que nous traversons actuellement ne sont pas sans conséquences sur la consommation des Français. Pour continuer à exister, les marques devront faire preuve d'empathie avec les consommateurs.

Depuis septembre 2021, l’inflation n’a pas arrêté sa hausse alors que l’Insee relève déjà une progression de 6% en janvier 2023, le niveau minimal pour l’année estimé par la Banque de France. Son impact a été direct en 2022, les achats de produits alimentaires baissant de 4,6% en moyenne ; c’est le recul le plus important relevé depuis 1960, première année des enquêtes sur les volumes de consommation. Pour 2023, Michel-Edouard Leclerc, président d’E.Leclerc, pronostique «un tsunami» compte-tenu des nouveaux prix que les industriels veulent négocier, de +10% à +40%, dans quelques semaines.

La consommation au temps des «polycrises»

L’inflation est la traduction concrète des multiples crises qui se conjuguent aujourd’hui. Le monde est passé d’une situation où elles se succédaient à une nouvelle séquence où elles sont simultanées et se nourrissent mutuellement, à la fois sanitaires, géopolitiques, climatiques, migratoires, sociales, identitaires, sans oublier les conflits et le terrorisme. L’économiste et historien Adam Tooze a repris et médiatisé le mot «polycrises» en 2022 pour rendre compte de l’interaction de ces crises, les unes conjoncturelles et les autres structurelles, qui se renforcent depuis plus de deux ans en un rare alignement.

Sur le plan économique, le prix des produits et services les plus bas de la pyramide de Maslow n’a cessé d’augmenter depuis plus d’un an et demi. L’inflation, principale préoccupation dans le monde, fait aussi désormais partie des sujets qui inquiètent le plus les Français pour les six mois à venir (86%) avant la guerre en Ukraine (64%) et le changement climatique (58%).

Sur le plan psychologique et social, les polycrises créent un climat d’incertitudes et de doutes. Alfred de Musset rendait déjà compte de cet effet en 1836 : «on ne sait, à chaque pas que l'on fait, si l'on marche sur une semence ou sur un débris.» Aujourd’hui, les consommateurs-citoyens, ressentant que notre monde change sans que ni eux ni les autorités ne maitrisent la situation, ont beaucoup de difficultés à se projeter dans un futur synonyme de progrès et sont plus tentés par la rétraction et le protectionnisme que par l’expansion et l’ouverture.

Concilier consommation et sécurité

Quand les consommateurs arbitrent parce que leur pourvoir d’achat diminue, les marques doivent gérer deux enjeux majeurs : émerger et être préférées en intégrant les motivations des consommateurs, et assumer qu’elles ont le pouvoir de changer la société.

Les motivations de consommation évoluent en fonction du contexte. Aujourd’hui, deux catégories ressortent de manière prépondérante : le besoin de sécurité et de contrôle et l’envie de se faire plaisir. Savoir y répondre, c’est manifester un premier type d’empathie en montrant que l’on a bien compris les attentes des consommateurs, conforter leurs choix, les aider à s’échapper d’un monde instable. Leur besoin de sécurité implique de valoriser l’origine, l’ancrage, le savoir-faire de la marque, notamment dans le secteur alimentaire, régulièrement secoué par des scandales. Le score des Français qui estiment qu’ils «accordent plus d’attention à l’origine de leur achats alimentaires depuis la covid» continue sa progression, de 44% en 2020 à 53% en 2022. Pour satisfaire l’envie de plaisir, les promesses de bien-être, de gourmandise, de découvertes, de détente sont des atouts que les marques doivent mettre en avant.

Aussi, la consommation actuelle n’est plus purement «consumériste». Les consommateurs attendent désormais des marques qu’elles s’engagent, expriment des convictions et leur restent fidèles. Les polycrises donnent aux marques, à leur vision du monde et à leurs actions un rôle essentiel en assumant qu’elles peuvent changer la société. Adopter un discours proactif sur la responsabilité sociétale et environnementale est à ce titre incontournable alors que les consommateurs valorisent les marques qui proposent des solutions qui nourrissent leur prise de conscience tout en simplifiant leur démarche.

L’empathie, le grand enjeu des marques en temps de crise

Prendre en compte les effets de contexte est décisif alors que les polycrises impliquent des changements en termes de modes de consommation. Les achats de produits issus de l’agriculture biologique par exemple ont reculé dans les grandes surfaces alors qu’ils ont progressé pour la vente directe (+7,8% de 2021 à 2022). C’est l’un des effets des polycrises : se replier sur le connu, le proche, le petit, ce qui explique la préférence pour les marques locales et nationales.

Il est également déterminant en parallèle d’identifier si la vision de plus en plus négative de la mondialisation est conjoncturelle ou durable. Elle représente «une menace pour la France» aux yeux de 59% des citoyens, 89% estimant également que «nous vivons dans un monde dangereux», selon l'étude Fractures françaises 2022 d'Ipsos.

Mais est-ce une tendance ponctuelle ou structurante ? Comment les marques pourront-elles aussi surfer sur cette tendance ? Plus les polycrises fabriqueront de l’incertitude à un rythme qui s’accélère, plus les marques auront intérêt à s’appuyer sur une connaissance fine et actualisée des consommateurs sur les plans émotionnels, culturels, économiques, pratiques et sociétaux. Ce sont les marques qui doivent manifester leur empathie avec les consommateurs pour continuer à exister.

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