Genre, âge, origine, religion, morphologie, handicap, orientation sexuelle… La publicité reflète-t-elle la diversité de la population ? À la faveur des enjeux de RSE, le sujet revient sur le devant de la scène dans les agences de communication.
En 1993, le réalisateur Lars Von Trier réalise la campagne « La Rue de la vie » pour CNP Assurances, sur la Valse n° 2 de Chostakovitch. Sur une trajectoire en ligne droite, les téléspectateurs voient un petit garçon grandir, devenir un homme, rencontrer sa femme, se marier, avoir des enfants, marier ses enfants, devenir grand-père. En 2019, la marque change sa signature : « Assureur de toute une vie » devient « Assurer un monde plus ouvert ». Et pour accompagner cette transformation, elle fait appel à l’agence The Good Company qui réalise « La Vie hors des cases ». Cette fois-ci, sur une orchestration plus moderne de Chostakovitch, le film donne à voir plusieurs profils dans différentes situations : un couple de retraités sous la couette, un couple de femmes à la maternité ou encore une petite danseuse qui porte une prothèse à la jambe. Un choix narratif et de casting révélateur d’une évolution de la publicité. « On souhaitait que les clients et nos collaborateurs se sentent représentés quel que soit leur parcours de vie », explique Agathe Sanson, directrice de la communication de CNP Assurances.
Ce changement répond à des attentes fortes des consommateurs. En effet, une large majorité de Français plébiscite une représentation plurielle de la population, selon les résultats du premier baromètre « Inclusion et diversité dans la publicité » de Kantar Insights pour The Good Company, publié en mars 2022. Ils sont 72 % à penser que montrer la diversité dans la publicité est important et seulement 8 % à ne pas accorder d’importance au sujet. Pour 78 % des sondés, les marques font plus d’efforts sur la diversité ces dernières années. Mais attention, « la diversité perçue par l’audience est souvent colorielle », commente Monique Kim-Gallas, directrice du développement commercial de Kantar. « La diversité ethnique est l’un des premiers combats menés dans la publicité, après la lutte contre les stéréotypes de genre », retrace Stéphane Martin, directeur général de l’ARPP, l’Autorité de régulation de la publicité.
Les vestiges de ce combat pour plus d’égalité dans la publicité se retrouvent facilement sur internet. En 2006, Amirouche Laïdi, président du Club Averroès pour plus de diversité dans les médias, faisait le constat que « les minorités arabes, noires ou asiatiques sont sous-représentées dans les écrans publicitaires et, quand elles le sont, elles incarnent alors des rôles clichés récurrents », selon des propos rapportés sur le site du Monde. « L’expression de stéréotypes évoquant les caractères censés être représentatifs d’un groupe ethnique ou religieux doit être maniée avec la plus grande délicatesse », rappelle l’ARPP dans ses règles déontologiques. À noter qu’en 2018, l’Union des marques a lancé le challenge « REPRESENTe », qui récompense chaque année les meilleures campagnes de communication favorisant l’inclusion, la diversité et la déconstruction des stéréotypes.
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Pour Céline Veyrard, cofondatrice de l’agence Sweet Spot, l’inclusion d’acteurs ou de mannequins de couleur dans les publicités est devenue, depuis une dizaine d’années, un réflexe naturel pour les agences et leurs clients. Nul doute que les luttes d’associations comme SOS Racisme depuis le milieu des années 80 et les campagnes engagées du photographe Oliviero Toscani pour Benetton (avec la réminiscence « Naked, just like » en 2018) ont contribué à cette progression. Du côté des castings, Diane de Bretteville, productrice TV indépendante, assure qu’ils sont « ouverts à tous », sous-entendu sans discrimination. « Les directeurs de casting n’ont pas d’indication concernant le type ethnique. Quant au réalisateur, lors de sa présélection, il va surtout regarder le jeu d’acteur et qui va avec qui [pour former une famille crédible à l’écran, par exemple] », détaille-t-elle.
« Attention aux biais cognitifs : on ne peut pas caster la diversité si nos agences ne sont pas elles-mêmes représentatives de cette diversité », insiste de son côté Sabine Keinborg, directrice générale associée de l’agence de brand content Shortlinks, qui pilote un groupe de travail sur la diversité et l’inclusion au sein de l’AACC (Association des agences conseil en communication). Virgile Brodziak, directeur général de Wunderman Thompson France, estime que les politiques de recrutement sont la clé pour une représentation plus juste de la population. « Qui sont les gens qui créent les messages publicitaires ? », questionne-t-il. Dans ce sens, Publicis France a annoncé en novembre s’engager au côté du Collectif 50/50, une association œuvrant en faveur de la diversité dans l’industrie audiovisuelle. Le groupe est ainsi partenaire de la « Bible 50/50 », qui référence 900 profils féminins et/ou issus d’une diversité sociale ou ethnique sur une centaine de métiers derrière la caméra (cadreurs, machinistes, scénaristes…).
Le handicap constitue l’un des grands chantiers à mener pour le secteur. En 2020, selon Kantar, seulement 1 % des publicités françaises montraient une personne en situation de handicap, alors que celui-ci concerne 12 millions de Français. Néanmoins, le sujet semble émerger, notamment à l’international. Par exemple, en 2021, la marque Rexona (dont le nom est Degree outre-Atlantique), accompagnée de Wunderman Thompson, a revu le design d’un déodorant pour le rendre plus inclusif. On peut également citer Adidas, qui a réalisé le lancement d’une collection de 43 brassières pour toutes les formes de poitrines, en février, et a choisi de faire apparaître une jeune femme trisomique dans son film publicitaire « Support is Everything ». Plus récemment en France, en avril, Lacoste et BETC ont réalisé une collection de vêtements et une campagne avec le nageur paralympique Théo Curin. L’année précédente, en marge des JO de Tokyo, la marque et son agence avaient organisé l’opération « Le 9ème couloir », une course avec le nageur paralympique Laurent Chardard.
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On le sent, la question de la diversité frémit dans le secteur. « Dans la vie, il faut de tout pour faire un monde. Et dans la pub ? », interpelle depuis le mois d’octobre une affiche de l’ARPP aux couleurs arc-en-ciel du drapeau LGBTQIA+. Cette campagne digitale, signée de l’agence Josiane, se compose de six affiches à destination des professionnels de la communication. Il s’agit du deuxième volet d’une campagne portant sur le greenwashing. « Les sujets actuels de RSE », recontextualise Stéphane Martin. Selon lui, la publicité, qui s’adresse par essence au plus grand nombre, doit engager ses audiences et les inciter à « faire société loin des communautarismes ». « On arrive à un moment où les sociétés se divisent », déplore-t-il, citant notamment la fracture politique aux États-Unis. Au-delà de l’adhésion au message, la publicité peut donc chercher à créer de la cohésion sociale, en pacifiant les rapports.
Mais gare au « fake », prévient Sabine Keinborg. Les publicitaires mettent en garde contre « l’effet quota », c’est-à-dire l’intégration artificielle de certains profils. « La famille recomposée avec un couple mixte devient un cliché publicitaire », observe l’un d’entre eux. Tout comme la femme métisse au teint clair qui devient une figure archétypale. « Il ne suffit pas de faire pour bien faire, intervient Lisa Gache, planneuse stratégique à The Good Company. Ce n’est pas rare que les clients nous disent “on a peur d’en faire trop, que ce soit maladroit”. Pourtant, la diversité peut s’intégrer de manière fluide dans le récit. » Elle cite en exemple la marque néerlandaise de café Douwe Egberts. En 2020, BBDO Belgium met en scène un couple d’adolescentes qui s’enfuient à l’arrivée du père de l’une d’elles. Ce dernier envoie un SMS à sa fille avec trois emojis tasses de café. Les jeunes filles le rejoignent alors pour un moment de partage.
« L’authenticité dans la diversité peut être amenée par les influenceurs », assure Thomas Silve, fondateur de l’agence Ctzar. Indéniablement, les réseaux sociaux comme Instagram contribuent aussi à une meilleure représentativité. Les Digital Native Vertical Brands (DNVB) portent souvent dans leur ADN la question de la diversité, en particulier les marques de lingerie ou de culottes menstruelles comme Moodz, Mina Storm ou We Are Jolies. Dans cette mouvance du body positivism, les marques historiques commencent à se faire le miroir de la diversité des corps féminins. Et comment ne pas mentionner l’une des premières à l’avoir inscrit dans son positionnement, Dove. La marque d’hygiène s’est emparée du sujet dès 2004 avec sa campagne « Pour toutes les beautés ». Désormais, ce sont aussi les particularités de la peau qui se dévoilent dans les publicités, comme le vitiligo chez Make Up Forever ou le nævus chez Venus de Gillette. Si un travail est en cours sur l’image des femmes, il reste encore du chemin à parcourir pour les hommes, trop souvent représentés par des archétypes (le sportif, le businessman, le hipster, le séducteur…). Selon Kantar, seuls 18 % des hommes s’identifient dans les publicités et 47 % disent même ne pas s’y reconnaître. Le manque de diversité n’est donc pas toujours où l’on croit.
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