Marché
Des initiatives récentes de Gucci ou Jean Paul Gaultier montrent que les acteurs du luxe se penchent de plus en plus sur l'internalisation de la revente de seconde main. Focus sur une tendance qui ne date pas d’hier mais qui se trouve renforcée par l’augmentation des exigences en matière de RSE.

Le film House of Gucci, sorti il y a quelques jours, entend attirer le public au cinéma. Mais il y a quelques semaines, la marque de luxe a aussi fait parler d’elle pour une autre raison. À savoir le lancement, en septembre, de Gucci Vault, un site de vente en ligne de pièces vintage de la maison, remises à neuf par ses artisans et que côtoient, par ailleurs, les réalisations de jeunes créateurs. Un espace largement dédié à la seconde main sur lequel la marque a désormais le contrôle, contrairement à ce qui se passe sur les plateformes, autre espace privilégié d’achat et revente. Parmi elles, Vestiaire Collective, qui revendique « plus de 3 millions de pièces rares et recherchées » à son catalogue, a d’ailleurs observé ces dernières semaines une hausse de 35 % des recherches pour les mules « Vintage Gucci », par exemple. Nouveau concept, plébiscite des consommateurs, la seconde main a le vent en poupe…

Si la tendance n’est pas nouvelle, loin de là, elle se renforce d’année en année. Selon le cabinet Bain & Company, la seconde main dans le luxe pesait 28 milliards d’euros en 2020, contre 26 milliards en 2019. Sans compter qu’elle affiche des taux de croissance supérieurs à ceux du luxe pris dans son ensemble, 12% par an contre 3% en moyenne, analysaient le Boston Consulting Group (BCG) et Vestiaire Collective dans une étude thématique de 2019, ces dynamiques restant d’actualité. « La pratique s’accélère ces dernières années », estime Louis Chéreau, planneur stratégique chez Wunderman Thomson, agence qui a réalisé en novembre une étude sur la seconde main incluant un focus sur le luxe. Et le publicitaire de s’appuyer sur ce document qui indique notamment qu'en France, « 51,8% des 18-24 ans consomment des produits de luxe de seconde main depuis moins d’un an ». De façon très conjoncturelle, l’approche des fêtes de Noël pourrait aussi amplifier ce mouvement. Selon une étude CSA sur les achats de Noël des Français, menée en octobre-novembre, 58% des acheteurs de luxe envisageraient d’acheter des articles de seconde main comme cadeaux de Noël et même 73% pour les acheteurs de moins de 35 ans.

Moins de complexes

Les marques, de leur côté, ont désormais bien compris ce qu’elles avaient à y gagner – chiffre d’affaires additionnel, nouvelle clientèle notamment parmi les jeunes, possibilité d’optimiser les services proposés à leurs clients… « Les marques ont commencé par s’interroger sur le fait d’y aller ou pas, aujourd’hui, elles questionnent les modalités », dépeint Pierre-François Marteau, consultant expert du luxe au sein du BCG, qui note que le basculement s’est fait progressivement. « Un moyen aussi pour elles de générer des externalités positives en termes d’image », note Cécile Desclos, directrice du pôle Luxe des Echos Etudes. Et ce, alors que les sujets de développement durable montent en flèche. Si les professionnels peuvent être mis en cause, sur l’utilisation ou la provenance de fourrure ou de cuir, par exemple, ils ont aussi une carte à jouer pour montrer les efforts réalisés, le cas échéant, afin de réduire leur impact, limiter la surconsommation, favoriser l’économie circulaire et le réemploi de leurs produits. Pour les acheteurs de luxe d’occasion, « dans la hiérarchie des drivers, le prix reste la principale motivation mais la démarche durable arrive en deuxième position », remarque Louis Chéreau.

De façon plus générale, le rapport à la seconde main semble s’être décomplexé. Certaines barrières psychologiques sont moins fortes : « on est assez surpris de l’ouverture du panel surtout des jeunes quant au fait de recevoir ou offrir de la seconde main, souligne le planneur stratégique. Cela aurait pu être associé à une attention moins particulière, un côté radin… Ce n’est visiblement pas le cas ».

Revente de pièces vintage

Au-delà de Gucci, d’autres marques ont donc sauté le pas. Si certains secteurs sont matures, comme l’horlogerie – en témoigne par exemple le réseau de revendeurs agréés monté par Richard Mille –, d’autres le sont aujourd’hui beaucoup moins, comme la joaillerie, et d’autres s’y mettent progressivement, comme le prêt-à-porter. La marque de souliers Weston a ainsi déployé un service de collecte en point de vente contre bons d’achat, réparation à la main dans sa manufacture de Limoges et revente à prix réduit de certains de ses souliers iconiques. Dix mille paires sont restaurées chaque année dans ce cadre. Un site web, Weston Vintage, est consacré à la démarche.

Autres exemples : en novembre, la maison de mode Oscar de La Renta a lancé le site Encore, dédié à la revente de pièces d’anciennes collections remises en état, après authentification. « Encore by Oscar de la Renta offre une alternative durable pour s'habiller aujourd'hui – prolongeant la durée de vie et l'utilité de pièces patrimoniales exceptionnelles », présentait, au lancement, le compte Instagram de la griffe. Fin octobre, Jean Paul Gaultier a déployé un service de vente de pièces vintage présentées dans d’anciens défilés et, en parallèle, rendra bientôt possible la location de vêtements. Sur le segment du « luxe accessible », Sandro a lancé, en octobre également, un site de seconde main, organisant à la fois l’achat et la revente.  

Lorsqu’elles se lancent, plusieurs possibilités s’offrent aux marques. « Certaines proposent des services en direct, d’autres nouent des partenariats avec des acteurs existants, d’autres encore privilégient des développements en marque blanche », développe Pierre-François Marteau. Pour ce qui est des partenariats, la montée au capital de Kering dans Vestiaire Collective, à hauteur de 5 %, en mars, en est un bon exemple. En octobre 2020, Gucci s’était rapprochée pour trois mois de la plateforme américaine The RealReal pour un projet de boutique en ligne autour de l’économie circulaire. En fin de compte, le choix du modèle dépend de la stratégie. « Au-delà de la question du modèle économique, se pose celle de l’authentification des produits », note Pierre-François Marteau. La réponse reste à créer.

Chiffres-clés

28 milliards d'euros Montant du marché de l’occasion de luxe en 2020 (source : Bain & Company).

58% Part des acheteurs de luxe qui envisageraient d’acheter des articles de seconde main comme cadeaux de Noël (73% pour ceux de moins de 35 ans) (source : CSA).

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