Distribution
Le hard discounter russe Mere devrait débarquer en France fin 2021 ou en 2022. Y a-t-il de la place pour un nouvel acteur sur ce marché ? Quelle est son image de marque ? Quel pourrait être son parti pris en termes de communication ? Des experts répondent.

Les premières annonces de son arrivée en France datent de mai dernier. À la fin du mois d’août, accélération : trois ouvertures de magasin sont annoncées pour octobre dans l’Est de l’Hexagone. Fin septembre, coup d’arrêt : rien n’ouvrira avant décembre voire 2022, selon un article du Parisien mettant en avant le fait que toutes les communes concernées n’auraient pas été contactées. Voici pour les rebondissements – que l’on peut voir comme inhérents à ce type de projet – qui précèdent l’installation sur le territoire de Mere, hard discounter d’origine russe. L’enseigne, issue du groupe Svetofor, bien implantée dans son pays d’origine avec plus de 1500 magasins, est également déjà présente en Europe (Roumanie, Allemagne, Pologne, Lituanie et Espagne) ainsi qu’en Chine par exemple.

En France, Mere arrive sur un créneau sans réelle concurrence frontale. « Il y a toujours de la place pour un nouvel acteur... Par exemple, Action compte aujourd’hui plus de 600 magasins, mais personne n’y croyait il y a cinq ans », amorce Frank Rosenthal, expert indépendant en marketing du commerce. « Lidl et Aldi ne sont plus des discounters », avance Frédéric Valette, directeur du département Distribution de Kantar Worldpanel. Lidl, le premier dans cet univers, compte plus de 1500 magasins et représente 6 à 7% de parts de marché. De son côté, Aldi, qui a racheté Leader Price fin 2020, affiche plus de 1200 points de vente – un chiffre amené à grimper encore – et sa part de marché s’établit autour de 2,5%. Tous deux sont, progressivement, montés en qualité. « Ces deux enseignes montent en gamme donc sur la segmentation du premier prix, il y a probablement un vide », analyse Frédéric Valette. Quant aux Action, Primark et autres enseignes de ce type, elles se positionnent également sur un créneau différent, même si toutes ont en commun de proposer des prix attractifs. Action, par exemple, est une solderie où l’on trouve beaucoup de produits non alimentaires et pas de produits frais.

La qualité des produits en question

Un boulevard s’ouvrirait donc devant Mere ? Pas si sûr, malgré les lignes de force entrevues et le fait que le discounter russe, qui est loin d’être un débutant dans le retail, n’arrive bien entendu pas à l’aveugle. Parmi les arguments qui conduisent à relativiser ses perspectives, « il y a globalement une demande de qualité dans la société française », remarque Frédéric Valette. Et pas seulement dans les couches les plus aisées de la population. Les consommateurs deviennent plus exigeants, Yuka fait des émules, le Nutri-Score et autres labels gagnent en visibilité même si les distinguer les uns des autres reste compliqué... « La question est de savoir si Mere sera critiqué sur la qualité de ses produits », note Frank Rosenthal. D’autant que cette demande se conjugue avec une sensibilité grandissante, en France, sur la question de la juste rémunération des producteurs, en lien avec la tradition agricole du pays. Par ailleurs, les négociations commerciales y sont strictement encadrées entre les différentes parties prenantes. Mere devra s’adapter à cet environnement.

Autre bémol, le marché affiche un dynamisme en demi-teinte. « Vu de l’extérieur, le marché français du hard discount est attractif car il pèse 10,5 à 11 % des ventes de la grande distribution. En réalité, le circuit est plutôt en régression même si Lidl et Aldi enregistrent des performances positives. Ainsi, il a progressé après 2008 jusqu’à 14 %, avant de redescendre à 12 % en 2018 et maintenant à 10,5 ou 11 % selon les mois », livre Karine Sanouillet, dirigeante fondatrice de la société spécialisée dans le conseil et la stratégie RSE, la distribution et la transition alimentaire Respire Conseil, et ancienne directrice marketing de Leader Price. Au bout du compte, la fenêtre de tir n’apparaît pas si évidente pour un acteur qui se positionnerait aussi « bas » sur le marché.

Marchandise sur palette

Qu’il y ait de la place ou non pour un nouvel arrivant – 2022 le dira –, Mere dispose déjà, avant même ses premières ouvertures, d’une certaine image de marque, que Frank Rosenthal qualifie de « discount punition ». Autrement dit, un discount très sobre voire spartiate, pour ne pas dire paupérisant. « Le magasin n'a pas d'étagère, de comptoir, de vendeur. Les marchandises sont vendues à partir de palettes ou de caisses. Ce format est appelé sans fioritures », indique le site Mere France. En point de vente, pas d’effets sonores ou lumineux. Et pas de personnel donc, la manipulation des produits étant laissée aux soins du client. Oubliés, les conseils produit si besoin. Ici, « l’expérience client » est inexistante. « Une image très hard discount quand d’autres sont plus soft discount », synthétise Karine Sanouillet. Incarnation de cette image, son logo, tout en sobriété lui aussi, s’affiche en capitales rouges sur fond jaune. Dans les faits, le positionnement de Mere est simple : le prix pour le prix. L’enseigne, qui promet des prix « 10 à 20% inférieurs à ceux des concurrents », reste, ce faisant, aux origines du hard discount. Le choix est réduit au strict minimum : à un besoin correspond un produit, pas une variété de références.

Sur le plan de la communication de l’enseigne, même si elle n’est pas encore présente en France, il est possible de faire déjà quelques observations. Le cas échéant, elle pourrait être a priori uniquement locale, compte tenu des premiers développements envisagés. « On leur demanderait combien ils emploient de personnes, leurs conditions sociales, les origines de leurs produits, je ne sais pas comment ils vont répondre », remarque Frank Rosenthal. Qui dit communication dit dépenses supplémentaires : une démarche pas vraiment compatible avec l’ambition de garder les prix au plus bas. D’autant que Mere aura déjà des frais logistiques selon le lieu d’installation de son ou ses entrepôts. Comparaison n’est pas raison mais au démarrage, avant de devenir un gros investisseur média, Lidl ne dépensait pas en la matière.

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