Ressources humaines
Accueillir un stagiaire est toujours synonyme d’engagement pour un manager. Le faire en télétravail rend la parenthèse plus complexe. Boîte à outils pour que l'expérience ne ressemble pas à une rencontre manquée.

Hors pandémie, plus de 900 000 étudiants effectuent des stages chaque année, soit un tiers d’entre eux. En première ligne ? Ceux inscrits dans des filières professionnalisantes (business schools, écoles d’ingénieurs, licences professionnelles, masters ou encore bachelors universitaires de technologie)… En 2020, trouver un stage s’est révélé complexe. Ainsi, l’emblématique Celsa a noté un recul de 45 % des offres faites à « ses » jeunes – contre -15 % pour les emplois fermes. Selon une enquête JobTeaser réalisée en avril 2020, un tiers des stages ou jobs étudiants n’avaient pas pu avoir lieu normalement. Stages annulés, reportés, réduits… « Les stagiaires font partie de la tranche d’âge la plus touchée », dixit Valérie Albou, head of global coordination chez Publicis Groupe. Autorisé depuis le 10 mars 2020 avec le plan de continuité pédagogique, le télétravail (ou stage à domicile) constitue une difficulté supplémentaire. «Avec un accord qui date de 2011, analyse Frédérique Lorentz, responsable expérience client et communication interne chez ADP, fournisseur de solutions de paie et RH, le télétravail m’est familier, mais l’accueil des très-très juniors a généré un stress. Comment faire humainement parlant ? Et côté performances ? Les enjeux sont nombreux. » Une étape importante aussi pour Jean-Marc Morel, associé du réseau d’audit conseil RSM : « Autant ne pas griller une cartouche de la politique RH ; un bon stagiaire est une bonne recrue à venir. »

Boîte à outils en sept points, à l’attention des managers-tuteurs, un peu à la manière du « Guide de l’employeur » rédigé par l’Office franco-québécois pour la jeunesse (OFQJ), en partenariat avec Pôle emploi, pour les quelque 350 stagiaires en télétravail intercontinental.   



1. Préparer le D-Day avec l’équipe. Quelques secondes suffisent pour partager l’information de l’arrivée prochaine d’un stagiaire. Son nom ; son établissement ; son niveau d’études ; sa mission précise ; avec qui il (ou elle) devra travailler ? Un accueil sur site peut-il être calé ? À quelle fréquence ? « Histoire de ne pas perdre l’apport du terrain », tient à souligner Audrey Salaün, directrice des relations extérieures de l’IEJ (école de journalisme de Paris, groupe Mediaschool). Avec une équipe briefée, l’accueil sera plus « enveloppant ».

 

2. Développer son environnement de travail. Téléphone et ordinateur portables, voire un deuxième écran pour un confort optimum, casque, souris, tout doit être livré pour le début du stage. Mais cette étape ne se limite pas à la seule logistique. Qui fait quoi ? Où trouver l’organigramme ? L’intranet, comment ça marche ? Qui édite la fiche de paie ? Quelles sont les règles de la sécurité informatique ?



3. Détailler sa mission. « Comme l’interaction directe fait défaut, le tuteur doit davantage préparer la journée pour assurer la progression de l’apprentissage  par petites tâches, séquencées », commente Caroline Chalindar chez Epoka, agence de communication RH, corporate et B to B. Quelle production de contenus ? Quel calendrier ? Quelle compétence doit-il mobiliser ? Chez Toucan Toco, spécialisée dans le data storytelling, la « to do list » hyper-détaillée s’appuie sur un outil baptisé Trello. « Du micro-management », résume Agathe Huez, directrice de la communication. Avec ou sans logiciel à la clé, ce travail préparatoire est plus chronophage, mais indispensable pour que ces jeunes en quête d’apprentissage se sentent bien.



4. Augmenter les feedbacks. « Jamais une journée sans contact ! » Tel est le mot d’ordre de Frédérique Lorentz, d’ADP. Chez Toucan Toco, c’est entre trente minutes et une heure, tous les deux jours. Mais quels mots choisir ? Comment la correction va-t-elle être perçue ? Est-ce que cela va être constructif ? Héloïse Thépaut, tutrice au sein de la petite rédaction de L’Opinion indépendante, reconnait s’interroger souvent sur le contenu même de ses retours. Procéder à une forme d’introspection, plus marquée qu’en temps ordinaire. Encourager est un verbe incontournable. « Chouchouter » revient aussi beaucoup. Qu’est-ce qu’il a aimé faire ? Détesté ? Sur quelle tâche a-t-il besoin de plus d’explications ?



5. Donner accès à toute l’entreprise. « Les embarquer sur des réunions, même sur des sujets où ils n’auront rien à faire, note Valérie Albou, de Publicis. L’objectif est qu’ils s’imprègnent de la maison, de sa culture. Ils viennent apprendre en faisant et en écoutant. C’est une forme de générosité que l’on se doit d’avoir à leur attention pour enrichir leur expérience. » Ne pas rester « focus » sur son service, mais élargir le spectre du stagiaire y contribue.

 

6. Adapter les canaux de communication. Téléphone ou visio ? Mail ou WhatsApp ? « Tout le monde ne dit pas la même chose au téléphone que filmé, en visio, commente Caroline Chalindar, directrice pôle influence et relations publiques chez Epoka. Et WhatsApp est un outil intéressant pour les “celebrate”, ces échanges qui donnent de l’énergie positive. » WhatsApp ? La version 4.0 de la machine à café ! Quel canal choisir ? Un petit sondage régulier peut s’avérer nécessaire. Julie Cazaux, étudiante en deuxième année de journalisme à l’ISCPA, l’institut supérieur des médias de Toulouse (groupe IGS) préfère par exemple le téléphone, « plus humain qu’un mail ». « On ne pose pas les mots de la même manière », dit-elle. Ce point n’est pas anodin. « Quand on n’a jamais vu son boss, lui poser une question est toujours plus impressionnant, souligne Frédérique Lorentz, on n’ose pas. La connivence peut manquer. »



7. Honorer la convention de stage. Bien sûr, c'est une évidence mais cela va mieux en le disant, il est tout à fait primordial de respecter ses engagements écrits. Et s’y tenir jusqu’au bout, pour chacune des clauses, mission, durée et rétribution. Last but not least.

Témoignage

« Après un stage raté, mon expérience réussie »

Esteban Lobé, étudiant en master 1 ressources humaines et communication au Celsa et stagiaire chez le cabinet d’audit Deloitte

À 24 ans, il a un point de vue assez étayé sur le sujet du stage en télétravail. Sa convention avec Deloitte est la deuxième du genre, en rupture complète avec le scénario catastrophe de la première. Que s’était-il donc passé lors du premier stage ? « Ils n’ont pas joué le jeu jusqu’au bout, avec des journées… vides, un manager qui ne challenge pas. Pour être force de proposition, il faut de la matière ! Sans parler de l’indemnité de stage revue à la baisse, une prime promise en cas de mission de recrutement réussie. Mais je n’ai rien eu ! J’avais la sensation de n’avoir qu’un rapport financier avec le tuteur, se souvient Esteban Lobé. J’avais ce fantasme de la petite structure dans laquelle on apprend beaucoup. Raté ! » Avec Deloitte, Esteban estime être entré dans une autre dimension. « Le processus d’intégration est bien rodé, avec des moments passés à La Défense. Il n’y a pourtant aucune obligation à le faire. Mais l’équipe a le souci de stimuler le désir d’appartenance. Des objectifs à court et long termes sont présentés, avec des missions diversifiées. À défaut, on peut vite tomber dans le “fordisme numérique”. »

 

 

 

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