Restauration
Dans le sillage d’un exercice aux allures d’annus horribilis, le groupe Paul anticipe en 2020 un recul de presque un tiers de son chiffre d’affaires en dépit de sa digitalisation accélérée. De quoi interroger en profondeur le modèle de l’enseigne, reconnaît son PDG Maxime Holder.

Nées en 1889 et présentes à l’international depuis 1990, les boulangeries Paul connaissent-elles avec la pandémie, qui a durement affecté l’économie et de nombreux secteurs d’activité en 2020, la pire crise de leur histoire ?

Il s’agit d’une crise mondiale, qui a donc touché de manière générale les plus de 45 pays dans lesquels le groupe opère. C’est la raison pour laquelle nous tablons sur un recul de l’ordre de 30% du chiffre d’affaires à l’issue de l’exercice 2020. Plus largement, les répercussions de la crise sanitaire ont été particulièrement aiguës pour les acteurs du retail, à l’image des périodes de confinement complet qui se sont succédé un peu partout. Les boulangeries Paul ont beau faire partie des commerces dits prioritaires et avoir joué le jeu de l’ouverture dès que cela a été autorisé et même encouragé par les pouvoirs publics, le compte n’y est pas. Outre une logique économique qui ne tient pas un instant, nous avons excessivement mal vécu cette période pour une raison simple : la disparition du contact avec le client, qui reste fondamentale dans notre métier.



Observe-t-on des disparités géographiques ?

La marque est gérée en direct sur trois marchés – France, Royaume-Uni et Singapour – tandis que le reste de l’activité est réalisée par des partenaires franchisés. Les réseaux ayant le plus souffert sont les centres commerciaux, certains centres-villes et surtout les sites de transports, notamment aéroportuaires. L’activité a en revanche plutôt bien fonctionné dans les zones résidentielles. À l’échelle hexagonale, Paris a toutefois été nettement plus touchée que le reste du pays. Principale raison : la ville dépend beaucoup du tourisme et du tourisme d’affaires, deux activités portées disparues au cours des 12 derniers mois. On observe le même phénomène dans les quartiers d’affaires de métropoles comme Londres et Singapour, où le taux de reprise s’avère inférieur à celui noté ailleurs.



Pour faire face à cette crise, le groupe a-t-il dû procéder à une digitalisation accélérée ?

Le Covid-19 a été un accélérateur de tendances pour le retail. En particulier pour le retail alimentaire, jusque-là souvent en retrait du retail classique. Un seul chiffre suffit à incarner ce changement de paradigme : à Londres, 30% des achats de produits frais se font désormais en ligne. Dans la même veine, nous avons noté avec la crise sanitaire une augmentation des ventes de près de 20% en Angleterre via Uber Eats et Deliveroo. Le site marchand, déjà développé au Royaume-Uni, préfigure ce qu’attendent désormais les clients avec l’intégralité des produits – voire des produits introuvables en magasin – qui y sont proposés. Et si les marketplaces existaient déjà aux États-Unis, en Asie ou à Londres, les événements nous ont poussé à accélérer le déploiement sur l’ensemble des territoires, en particulier en France où nous avons massivement développé ces marketplaces. Cette manière de consommer restera ancrée dans les réflexes post-coronavirus, c’est une certitude.



Cela représente un changement radical de culture d’entreprise…

Effectivement, il a aussi fallu apprendre à communiquer en digital, ce qui n’est pas forcément naturel pour le retail. À ce titre, nous avons recruté en août dernier une directrice au poste nouvellement créé de head of digital. Et le travail s’est effectué en synergie avec l’ensemble des pays depuis le début de la crise. Mais cela induit une nouvelle gymnastique intellectuelle et la connaissance d’un écosystème qui, outre ses propres règles, reste systématiquement guidé par l’économie de l’attention.



La diversification de l’offre constitue-t-elle une alternative ?

C’est ce qui est entrepris depuis maintenant plusieurs années avec le lancement des modules Paul Le Café et Paul Express, sur lesquels nous fondons beaucoup d’espoir et que nous testons actuellement en France. Paul Le Café se positionne comme une alternative à Starbucks dans des pays comme l’Angleterre, où la consommation de café représente un quart des ventes, mais aussi à Singapour, aux États-Unis ou en Thaïlande, où le concept est déjà déployé. On compte aujourd’hui une dizaine de points de vente de ce type en France et à l’international, dont un à Orly. Paul Express, lancé en 2018, est issu de la culture acquise en opérant dans les sites de transport de voyageurs : gares, aéroports, autoroutes… L’enseigne a rapidement capté une large part de marché et a la capacité de répondre au besoin de rapidité des clients avec un système de libre-service.



Quelles autres pistes sont explorées pour contrecarrer la chute de l’activité ?

La réassurance du consommateur est un prérequis. Nous disposons chez Paul d’un comité scientifique depuis trois ans, composé de nutritionnistes ou encore de spécialistes du bien-être animal, à l’origine notamment du référencement de 85 produits considérés comme néfastes. Cette liste est assortie d’un engagement du réseau à ne pas utiliser ces produits. Et surtout ce travail nous permet de développer une gamme de produits axée sur l’équilibre alimentaire. Ce comité a été largement sollicité depuis le début de la crise, en parallèle du travail effectué en termes de transparence et d’approvisionnement. Nous avions en effet anticipé les conséquences durables de la crise en favorisant les filières courtes.



Il n’empêche que la situation pose question quant à la viabilité du business model actuel…

Il est évident que ces événements entraînent de profonds questionnements. La réponse à cette question va être en partie guidée par l’attitude des bailleurs envers les commerçants, avec une problématique française bien différente de celle rencontrée à l’international. Soit les bailleurs vont nous accompagner dans la difficulté, soit ils vont opter pour une vision court-termiste et exiger le paiement à 100% des loyers. Économiquement, ce n’est pas tenable, sachant que même hors confinement, les résultats n’ont jamais retrouvé les niveaux d’avant-crise. D’autre part, cela fait peser le risque d’une désertification des centres commerciaux. Comme on dit en Angleterre, « We are all in this together ». Le seul moyen de s’en sortir est de s’épauler.

Chiffres clés

45 Nombre de pays dans lesquels Paul opère

750 Nombre de points de vente dans le monde (400 boutiques en France et 350 à l’international)

12 000 Nombre total de collaborateurs

800 millions d’euros Chiffre d’affaires sous enseigne en 2019

-30% Perte estimée du chiffre d’affaires global à l’issue de l’exercice 2020

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