La manière dont les marques s’adressent à leurs clients a profondément évolué et ce changement s’accélère ces dernières années grâce à l’identification de profils d’audience de plus en plus précis. Mais alors, jusqu’où aller ? Faut-il faire feu de tout bois et s’adresser personnellement à chacun de ces consommateurs potentiels ? N’y a-t-il pas un risque pour les marques de perdre leur âme ? Et si l’âme, la raison d’être de l’entreprise, était finalement la clé pour identifier la marche à suivre…
Durant de nombreuses années, le marketing de masse a prévalu, s’adressant notamment à la fameuse ménagère de moins de 50 ans. Néanmoins, depuis longtemps, une marque sait qu’elle n’est pas face à un consommateur monolithique. Dès 1913, Arbuckle Brothers (importateur et distributeur de café aux États-Unis) commercialisait son produit sous deux marques, selon que l’entreprise ciblait le grand public ou une clientèle plus aisée. Les années 70 ont connu une première accélération de l’approche par typologie de consommateur avec un contexte économique qui a provoqué une intensification de la concurrence et la nécessité de se démarquer. Naissent alors les prémices de la segmentation client.
Les années 90 amplifient ce mouvement avec l’avènement de bases de données de plus en plus précises, qui permettent alors de cibler plus finement les clients. Puis, le véritable virage arrive avec les années 2000, internet et le potentiel d’informations et de données qu’il génère.
Du message unique à la gestion de la fragmentation de l’audience
Aidé par l’essor des forums, puis des réseaux sociaux, le consommateur a pris le pouvoir, il s’est mis à exprimer haut et fort de plus en plus ses attentes, ses besoins, ses centres d’intérêts, ses aspirations, sa sensibilité, son langage... Les entreprises se sont alors emparées de ce formidable vivier d’informations pour enrichir leur connaissance client. Dès lors, la segmentation devient de rigueur pour les marques à travers différents critères : démographique, géographique, économique, social, valeurs, style de consommation, usage, sensibilité au prix, fidélité à la marque, fréquence d’achats, style de vie...
Cette segmentation permet aux marques de s’adresser aux consommateurs de manière de plus en plus personnalisée à la fois sur le fond, via la création de profils consommateurs de plus en plus précis - des personae dotés de divers attributs -, et dans la forme, en utilisant les différents leviers de communication (publicité, relations presse, réseaux sociaux, brand content...).
Mais depuis quelques années, nous allons au-delà de l’approche par segmentation, pour aboutir à la gestion d’une audience fragmentée. Dans le contexte de distanciation sociale actuel, au sein même du foyer, cette fragmentation s’est accélérée. Nous sommes entrés dans l’ère du marketing de précision car qui dit personnalisation des communications, dit multiplication des messages, des dispositifs et hyper ciblage. Dès lors, on ne parle plus de communauté de consommateurs mais de diversité d’audience. La marque se doit de gagner cette multiplicité d’audiences disparates.
De multiples raisons d’acheter, une unique raison d’être
Mais jusqu’où aller dans la déclinaison des messages ? La tentation des marques serait de s’adapter tel un caméléon à chacune des personnalités de son audience, quitte à perdre la sienne. Adopter une telle pratique s’avérerait dangereuse à moyen terme. Or, à l’ère de la personnalisation, la première force d’une marque, c’est son identité, son positionnement. Il s’agit de la colonne vertébrale qui permet de garder un cap, une vision. Dès lors, comment s’adresser à ces audiences sensibles à des messages précis et différents, tout en restant fidèle à son ADN de marque ?
Pour une entreprise, identifier sa raison d’être, ou bâtir sa raison d’être, est le premier fondement de sa relation au consommateur dans ce contexte de fragmentation des audiences. C’est la puissance de cette raison d’être qui va permettre à la marque de rester légitime, tout en multipliant les messages et en les déclinant de mille manières. Prenons l’exemple de UberEats, qui a parfaitement su prendre ce tournant. La marque s’appuie sur une raison d’être extrêmement solide autour du «lifestyle mobile» avec une tagline simple : «faites-vous livrer là où la vie vous mène». Cette identité, elle la décline ensuite via tout un éventail de messages : «45 minutes de cardio, 0 minute de cuisine», «Au bout de la nuit, les burgers de minuit» ou encore «Partagez vos idées et votre déjeuner». Elle s’adresse donc à une diversité d’audiences : le sportif, le fêtard, le jeune cadre débordé, bref, à tous les profils auxquels une même offre peut répondre.
Plus la raison d’être d’une marque est puissante, plus les messages peuvent se démultiplier sans fragiliser l’identité de la marque. C’est un socle solide, un repère pour composer ses messages. Cette nécessité est d’autant plus intéressante et forte qu’elle viendra nourrir la confiance recherchée par les consommateurs ; elle rassure dans la sincérité et la qualité de la démarche suivie par la marque et l’entreprise. Mais il s’agit déjà là d’un autre débat.