«Le Monde d’après», cette mélodie que l’on entend partout, tous les jours, nous fatigue déjà. Mais au fait, il sonne comment ce «monde d’après» ? Est-ce que ce ne sera pas finalement comme le monde d’avant, mais quelques mois plus tard ? S’il y a bien un domaine qui en dit long sur son époque, c'est la musique, langage de l'émotion, miroir de la société et des tendances en communication. À l’aune des campagnes diffusées pendant ou juste après le confinement, et des musiques qu’elles ont utilisées, on peut prendre le pouls du changement dont tout le monde se veut être un acteur. Et le résultat n’est pas toujours probant.
Première tendance constatée : les partisans du «on ne change rien». On parle ici des marques qui ont maintenu les campagnes prévues ou en ont recyclé des plus anciennes, sans s’inquiéter de savoir si ça allait passer. Ou en priant pour que ça passe. On conserve la «synchro» initialement prévue : une musique plus ou moins connue, plus ou moins tendance, pour habiller le spot publicitaire. Et dont les droits ont coûté bien trop cher pour stopper l’usage. Quant à s’inquiéter du retour sur investissement d’un tel choix, on ne le mesure jamais d’habitude, alors pourquoi commencer maintenant !
Et pourtant, à y regarder de plus près, 90% des musiques de marque qui performent sont des créations sur-mesure et non des synchros (musiques existantes). Et au-delà des considérations ROIstes – quoiqu’elles ne relèvent pas du détail – la période que nous traversons impose précisément de repenser la façon dont «on sonne». Ne rien changer, c’est s’exposer à un décalage important de la musique avec le contexte, avec les messages, avec les ambitions de la marque. Or sonner juste n’est pas une option. Les marques ont une responsabilité, elles sont structurantes, elles doivent être exemplaires, donner le la. Alors qu’il n’y a jamais eu autant de monde devant les écrans que pendant le confinement, quel dommage de ne pas avoir mieux exploiter les pouvoirs évocateurs du son.
Poncifs musicaux largement utilisés
Deuxième grande tendance musicale du confinement : «vous reprendrez bien un peu de pathos ?». L’enfer est pavé de bonnes intentions. Et tirer sur la corde sensible, c’est tentant. La musique, plus que jamais, devient l’ingrédient parfait de la recette du bon sentiment. On imagine les PPM sur Zoom : «le piano, ce serait pas mal pour ajouter de l'émotion, non ?», «oui, ça marche toujours, surtout s'il y a un peu de violon en plus, ça fait tirer la larme !» Ajoutez à cela un chœur de voix pour le visage humain.
On s’ennuierait si c’était si simple. Pourtant, ces poncifs musicaux ont été largement utilisés. On tolérait (ou on moquait) ce genre de musiques pour les vidéos de nos meilleurs souvenirs concoctées par Facebook ou pour les pubs de marques de pâte à tartiner – un peu kitch mais finalement on joue le jeu. On est moins emballé lorsque les annonceurs cèdent un peu trop systématiquement à la facilité. Ni émergent ni engageant, ce choix pourrait même agacer et se montrer totalement contre-productif. Il convient de ne jamais oublier que nos oreilles n’ont pas de paupières, et que le public subit quoi qu’il arrive ces mauvais choix.
Au regard de ces pratiques, un constat s’impose : le son continue d’être le parent pauvre de la créativité en publicité, au détriment de la marque, de son image, de ses messages. Or trouver le bon ton et le bon son aujourd’hui, ce n’est plus accessoire. Les marques ne peuvent plus se payer le luxe d’être à côté de la plaque, encore moins dans un contexte où l'on ne peut plus raconter des histoires – aussi joliment enrobées soient-elles – au consommateur à fleur de peau. Il en va de leur crédibilité, de l’attachement et de l’engagement des publics. Le trop explicite, le trop simpliste aussi, à tort considérés comme des leviers d’efficacité et de performance, ont montré leurs limites. Les marques doivent aujourd’hui plus que jamais utiliser le son intelligemment pour exister, suggérer, pour être comprises et retrouver une forme de complicité avec leurs cibles.
Un consommateur moins conciliant.
Nous attendons beaucoup des prochains mois. Trop peut-être. L’injonction au changement ne doit se faire ni au détriment du bon sens, ni au profit d’une bien-pensance outrancière et contre-productive. Cette période interroge nos modèles, que ce soit en termes de marketing, de management ou encore sur nos pratiques de consommation. Elle nous invite à repartir en quête du bon ton, de l’équilibre et d’une justesse dans nos manières de communiquer.
Alors certes, les marques et leurs agences ont souvent dû improviser. Réagir dans la précipitation aussi. Honorer des engagements de longue date parfois. Et puis surtout, et même si la musique est une variable qui peut être pilotée à distance, faire avec les moyens du bord. Mais dans le même temps, le consommateur est devenu – à juste titre – plus exigeant, moins conciliant.
Langue de bois et bien-pensance musicales n’ont donc plus leur place dans la com’. Parce que lorsqu’elle est bien choisie, bien calibrée et qu’elle exprime l’émotion dans la sobriété, la musique peut dégager une puissance sans équivalent. Certaines marques l’ont bien compris et en ont fait un asset indispensable, un élément caractéristique de leur capacité à être tendances, à se faire remarquer, à créer de l’attente. Les aspérités et l’imperfection de la musique font qu’elle nous embarque, qu’elle nous transcende. Il est donc temps de lui donner la place qu’elle mérite pour un «monde d’après» plus authentique.