Christophe Pradère - Fondateur et CEO de BETC Design
« J’ai eu l’avantage et l’inconvénient de découvrir la crise en deux temps : en Chine et en France. Je suis rentré fin janvier de Chine, où je me rends tous les mois. Toutes mes équipes se sont retrouvées éparpillées en Chine, parce qu’elles étaient parties pour le Nouvel an chinois… Nous avons créé des points de cristallisation pour les équipes et individuellement, avec des rendez-vous réguliers, pour écouter l’émotion des uns et des autres. Chez les salariés, on constate trois profils : ceux qui restent d’une neutralité imperturbable, ceux qui sombrent dans l’hypocondrie et s’angoissent, et ceux qui rongent leur frein, ont le pied sur l’accélérateur. Il s’agit d’assurer entre eux une cohésion morale. J’ai également voulu garder un contact humain avec notre réseau : grâce à WeChat, j’ai contacté 150 clients ou amis, à qui j’ai écrit, aussi pour montrer ma compassion, car je suis lié sentimentalement à la Chine. Cette stratégie, nous l’appliquons désormais en France, chez BETC Design. Chez BETC, le télétravail est une réalité dans le groupe depuis quatre ans, nous sommes totalement digitalisés. La question, maintenant, ça va être : comment on redémarre ? »
Nicolas de Tavernost - Président du Directoire du Groupe M6
« La santé des collaborateurs du groupe M6 est ma priorité. La majorité des salariés est en télétravail, et pour ceux dont la présence est indispensable, une organisation respectant les bonnes pratiques sanitaires a été mise en place. La cyberattaque dont nous avions été victimes l’an dernier a renforcé notre agilité, ainsi que notre endurance.
Concernant la ligne éditoriale de nos antennes, nous privilégions la proximité avec nos téléspectateurs et nos auditeurs. Nous leur donnons la parole en direct toute la journée sur RTL, où nous tentons de répondre à leurs questions. Sur M6, priorité à l’information avec le 12:45 et le 19:45, mais aussi aux divertissements dont le besoin se fait ressentir… Il nous a fallu quelques heures seulement pour décider de mettre à l’antenne une émission culinaire adaptée au confinement, en direct depuis la cuisine de Cyril Lignac.
Enfin, cette crise aura forcément un impact sur nos revenus. Nous ajustons notre coût de grille en fonction, et surtout la régie publicitaire s’adapte avec créativité. Notre agence interne M6 Unlimited propose par exemple depuis plusieurs jours à nos clients la création de spots publicitaires contextualisés, produits avec des moyens plus légers, pour des campagnes circonstanciées et adaptées à la période actuelle. »
Jérôme Cazadieu - Directeur de la rédaction de L’Équipe
« À L’Équipe, où nous publions L’Équipe, L’Équipe Magazine, France Football, Sport et Style et Vélo Mag, la rédaction de 330 journalistes est passée à 100 % en télétravail dès le premier jour de confinement. Notre service des achats avait anticipé en commandant une centaine d’ordinateurs avec doubles écrans fin décembre quand les premières compétitions sportives ont été annulées. Nous devions renouveler notre parc d’ordinateurs. Début mars, lorsque la logique de confinement s’est profilée, nous avons eu nos premières réunions techniques pour envisager les mesures nécessaires pour mettre en œuvre le 100 % télétravail : que chaque reporter ait un ordinateur portable, que les journalistes sédentaires aient les équipements et les logiciels adaptés… Nous avons fait une journée test douze jours avant qui nous a permis d’identifier les problèmes de réseau, de connexion. Depuis, L’Équipe est passée en pagination d’été (24 pages contre 33) avec une de pub. Le prix est de 0,99 euro au lieu d’1,80 euro, et avec l'abonnement numérique 0,99 euro par mois au lieu de 9,99 euros. Nous tablons sur la qualité pour sécuriser nos budgets annonceurs et les faire revenir en avril. Nos reporters circulent grâce à la carte de presse et nous anglons nos sujets sur le coronavirus, le sport et les sportifs, avec des enquêtes et des dossiers. »
Bertrand Cizeau - Directeur de la communication du groupe BNP Paribas
« Pour nous, tout a démarré très tôt avec l’Asie, où BNP Paribas compte près de 9% de ses effectifs (18 700 salariés), nous n’avons donc pas été pris par surprise en France, d’autant que l’un de nos principaux marchés en Europe est l’Italie. En interne, nous assurons un travail de réassurance et de pédagogie. L’erreur serait d’attendre d’avoir la réponse à toutes les problématiques pour s’exprimer, car la situation évolue à chaque instant. Depuis le confinement, le monde s’est séparé en deux entre ceux qui peuvent télétravailler et les nombreux salariés qui doivent être présents sur sites. La banque a été désignée comme service essentiel, dans ce contexte, nos agents commerciaux sont nos “soignants” de la banque. Par ailleurs, BNP Paribas a tenu à s’engager contre le virus. Nous avons pour l’instant fait don d’1 million d’euros pour l’Institut Pasteur, de 20 000 tickets restaurants pour le Samusocial de Paris ou encore de 600 ordinateurs à des collégiens démunis. »
Antoine Mesuré - DRH de Smart
« Nous avons vu venir la crise progressivement car nous sommes présents dans douze pays. C’est avec l’Italie et Singapour que, très vite, les premiers impacts se sont fait sentir : télétravail, quarantaine, annulation des rassemblements… Nous avons dû reporter notre Global Kick Off, une grande réunion de 250 personnes prévue du 9 au 12 mars. Et tout a basculé avant le premier discours du président, avec la décision de mettre tout le monde en télétravail pour une durée indéterminée. Au-delà de la sécurité, ce fut plus simple d’arrêter de gérer au cas par cas. Travailler dans le digital est une chance, car tous les outils existaient déjà. Le plus difficile est la longue durée et ce cadre de crise sanitaire qui vire en crise économique. C’est une mission RH passionnante : comment préserver la santé physique et psychique des collaborateurs, mais aussi leur engagement, et comment les accompagner dans cet environnement ? Car il faut tout faire pour les préserver. Il faut les retrouver dans le meilleur état possible après. Donc nous devons les accompagner pour que le confinement ne laisse pas de marques. Nous avons mis en place du coaching physique à distance, de la méditation (que nous faisions déjà) et des procédures pour s’organiser chez soi. Certains tombent dans la suractivité, le stress, ou d’autres, la déprime, car seuls. Il faut vraiment accompagner pour préparer l’après. »
Julien Féré - Directeur de la communication Voyages à la SNCF
« Nous sommes habitués à gérer des situations de crise à la SNCF, nous avons d’ailleurs dû faire face à une grève de grande ampleur très récemment. Dans ce cas-ci, notre première mesure a été d’annuler toutes nos campagnes. Il n’est plus possible de dire aux gens de voyager alors qu’ils sont confinés. Le soir de l’allocution du président Macron, j’ai appelé Clear Channel et ils ont coupé les pubs SNCF des rouleaux déjà imprimés. Lors d’une crise, mon job se transforme de communication à information, sur tous les canaux propriétaires : points de vente, site internet… Il faut dire la même chose sur l’ensemble des canaux et se mettre à jour en temps réel mais sans se substituer à la parole réglementaire. Nos actions de com sur le digital et les réseaux sociaux sont focalisées sur l’échange et remboursement des billets. Le vrai sujet est de travailler sur le redémarrage. Nous sommes déjà dessus. Cette crise a fait émerger une fierté où les agents, qui maintiennent la continuité de service, sont vus comme des héros, à l’instar des soignants. Nous en sortirons grandis. »
Guillaume Lartigue - Directeur de la création chez Steve
« Dès le lendemain du premier discours d’Emmanuel Macron, nous avons mis tout le monde en télétravail. La communication y est plus fluide et nous gagnons en production. Avec nos clients, nous réfléchissons à deux pistes : pendant la crise, que faire en termes de brand content ? Car forcément, les usages vont être réinventés. Et penser à l’après. Il faut anticiper et répondre dès maintenant aux consommateurs afin de réinventer la marque de demain. La première semaine n’était évidemment pas le bon moment pour les annonceurs de communiquer mais à long terme, j’espère que l’ennui va remplacer la peur et que la communication va reprendre, tout en s’adaptant à la situation. Nous avons donc énormément de travail mais qui n’est pas forcément payé car cela relève de la prospection, pour le moment. Deux typologies de clients se sont dessinées : ceux qui paniquent et arrêtent tout et ceux qui sont réceptifs et rebondissent. Financièrement, c’est un peu compliqué, il y a une baisse d’activité et les clients négocient de façon très serrée. Actuellement, plusieurs agences sont en chômage partiel à cause du manque d’activité, si on doit passer par là, on le fera. Mais pour l’instant, nous essayons de tirer du positif des difficultés. »
Béatrice Mandine - Directrice de la communication et de la marque d’Orange
« Nous avons 50 000 salariés en télétravail sur 90 000 en France, dont les 5 000 du siège. Pour les techniciens d’intervention chez le client ou sur le réseau et ceux qui sont en boutique ou sur des plateaux de téléconseillers, on avait des stocks de masques et on a réussi à en avoir plus. Notre inquiétude venait, comme partout, du fait que nous n’avions pas d’approvisionnement et que nous avions mollement renouvelé nos stocks alors que la crise allait durer. Cette semaine, nous avons un peu plus de mou avec la liberté d’en importer. Notre responsabilité est de protéger nos salariés mais on redispatche aussi des masques à l’APHP [Assistance Publique−Hôpitaux de Paris]. Nous avons une cellule de communication de crise qui commence par l’écoute et un dircom de crise, Jean-Bernard Orsoni. Nous veillons à rassurer les salariés, en recensant les questions qu’ils peuvent se poser. Nous réalisons aussi une communication vis-à-vis des médias en assurant la coordination des messages. Il faut entretenir le lien. Une appli Orange News apporte des infos aux salariés. Nous avons fait un petit film sur le télétravail et Stéphane Richard s’exprime depuis chez lui en vidéo grâce à une équipe légère. Nous avons aussi une newsletter hebdo avec des consignes et une sensibilisation à la cybersécurité. »
Vincent Giret - Directeur de Franceinfo
« Pour assurer notre mission prioritaire de continuité de l’antenne et de l’info, nous nous sommes réorganisés et transformés en radio d’urgence, de lutte contre les fake news, et d’écoute. Le 9h-10h et le 12h-15h sont dédiés aux auditeurs. Les plages horaires des tranches sont étendues et les semaines sont découpées en lundi-jeudi et vendredi-dimanche pour avoir des équipes-relais disponibles. Nous avons pris des mesures drastiques pour protéger nos journalistes, à commencer par changer de studio pour chaque tranche de manière à le désinfecter. Nous sommes moins d’un tiers des effectifs à nous rendre à la Maison de la Radio où un portique à l’entrée détecte ceux qui ont de la fièvre. Nous travaillons, comme beaucoup, sur le logiciel Teams pour échanger à distance. Chacun fonctionne désormais en binôme, moi y compris. Côté reportages, nous avons mutualisé nos moyens avec France Inter. Les journalistes sur le terrain ont des kits de protection adaptés et l’interdiction d’aller dans les zones à risque : hôpitaux, aéroports et gares. À leur retour, chacun doit rentrer chez soi et s’entretenir avec notre médecin avant de savoir s’il peut revenir à la Maison de la Radio. Pour l’instant, nous avons trois cas avérés et plusieurs personnes en quinzaine. »
Antoine de Tavernost - Directeur général de l’agence événementielle Auditoire Paris
« Un premier point est la gestion de crise avec nos clients. Il a fallu gérer les reports et annulations d’événements. Nous sommes rentrés dans des négociations jamais menées auparavant. Nous avons dû nous appuyer sur des directions transverses (achats, finance…) et négocier au cas par cas. Il a fallu rassurer nos clients, qui nous ont aussi beaucoup soutenus. Le problème est le manque de visibilité, avec une première vague d’annulations pour mars-avril, une seconde pour juin. Il fallait continuer à produire pour juin tout en négociant des reports. Nous cherchons des solutions pour dématérialiser les événements. C’est un mouvement global du marché. Enfin, nous terminons les compétitions en cours, tous depuis chez nous avec des outils comme WebEx, Skype Entreprise, d’ailleurs un peu saturés. Jeudi 19 mars, nous en étions au quatrième rendez-vous de la semaine. Pour le dernier, nous étions quinze au total, client et agence. Pour les vidéos et échanges de fichiers, cela a ses limites. »
Thierry Orsoni - Directeur de la communication et des relations extérieures du Club Med
« Le siège est fermé, j’ai un call quotidien via Teams qui me permet de garder un contact étroit avec mon équipe, à la voix et à l’image. On a une relative expérience de la pandémie. Notre priorité est de rapatrier nos clients et d’assurer la sûreté de nos équipes. Je salue notamment le travail extraordinaire du directeur des transports, Hervé Djiane Gicquel, qui a rapatrié près de 300 clients du Maroc. Il y a eu le Sénégal, l’île Maurice… À chaque fois, ce sont des avions, des autorisations de décoller, des bus… Il faut beaucoup de coordination et savoir gérer des gens qui ont des moments d’affolement, de crainte ou d’angoisse mais sont rassurés qu’on les prenne en charge. Avec mon équipe, on monitore les réseaux sociaux et la communication et on est quasiment dans tous les calls, ce qui fait parfois six ou sept dans la journée. On est entièrement sur la crise qui n’est pas endogène mais exogène : ce n’est pas une crise de notre marque, il est donc plus facile de justifier certaines mesures [le Club Med passe à 80 % de chômage partiel]. Le plus difficile, c’est de perdre le contact direct mais ce qui fait chaud au cœur, c’est de voir la capacité des gens à se mobiliser. On se rend compte qu’on se manque, comme dans une famille. »