Sociologie
Pointée du doigt pour ses effets auprès des publics les plus jeunes, la publicité tente timidement de réinventer la promesse relationnelle des marques avec les adolescents. Un chantier aux airs de passage obligé.

«Ce que jeunesse désire, vieillesse l’a en abondance», dit un proverbe allemand. Un mantra que les professionnels de la communication ont fait leur, et ce, depuis toujours. Et pour cause: un client fidélisé dès le plus jeune âge est promesse d’avenir. Surtout quand on sait, via, par exemple, une étude menée par Odoxa en 2018, que les Français se disent fidèles aux enseignes (68%) et aux marques (72%), avec un pourcentage qui grimpe en flèche chez les jeunes. Pas moins de 82% d’entre eux se définissent ainsi comme plutôt fidèles à certaines marques et 74% à certaines enseignes. Conscients de ces enjeux, les annonceurs cherchent donc par tous les moyens à cibler cette frange de la population, souvent sommairement regroupée sous le vocable de Génération Z. Quitte à communiquer à l’excès ? Au-delà des multiples chiffres qui circulent sur la surexposition publicitaire, le sujet est pour le moins sensible. Mais clairement, publicité et adolescents ne font pas bon ménage dans l’imaginaire populaire. Une fois ce cadre posé, une évidence s’impose: aucune des deux parties ne va brutalement disparaître et toutes deux sont amenées à se fréquenter durablement. D’où la nécessité de trouver des solutions pour réinventer ces liaisons à l’influence régulièrement jugée néfaste, en particulier sur le volet de la malbouffe. Deux voies principales -et complémentaires- se dessinent: protéger et éduquer.

Persona non grata

Des pays comme la Suède ou le Canada montent au créneau quant à la protection des plus jeunes, tout comme le Chili, qui déclaré persona non grata les cadeaux des Kinder Surprise et du Happy Meal. Au pays de l'Oncle Sam, une ville comme San Francisco a même banni le Happy Meal sous sa forme habituelle dès 2011. Et en France, depuis 2018, la publicité dans les programmes destinés aux enfants de moins de 12 ans sur les chaînes du service public est interdite. Signe que les pouvoirs publics -au moins pour certains- ont fait leurs choix, aussi marginaux soient-ils en termes d’échelle. À tort ? Car si la réponse s’impose d’elle-même pour les enfants, dont plusieurs études ont démontré l’incapacité à distinguer publicité et contenu, la situation n’est pas tout à fait la même pour leurs aînés. Quid des 12-18 ans, cet âge où l’on n’est plus un enfant mais pas encore un adulte ? «Le piège, quand on aborde ce sujet, c’est de tomber directement dans le côté moralisateur ou protecteur. La vérité vient de la circulation de la parole et non du fait de l’étouffer», estime ainsi Stéphane Hugon, sociologue et fondateur d’Eranos.

Certes, mais les adolescents sont-ils réellement conscients des conséquences de la publicité sur leurs choix et leurs modes de vie ? Et un autre rapport est-il possible ? «On ne peut pas reprocher à la publicité de surjouer ou de vouloir réenchanter le monde, c’est sa définition même. Mais il est évident que la relation entre les marques et ces publics doit être beaucoup plus loyale, y compris avec leur entourage. Les marques commencent d’ailleurs à lever le pied sur la communication abusive aux périodes-clés de consommation, comme à Noël. Et les marques qui s’en sortent jouent sur une relation plus longue et profonde que le one shot. Car le sujet majeur du moment, c’est la promesse relationnelle», souligne le sociologue. Manière de dire que si une forme d’éducation à la réception de la publicité est envisageable, celle-ci ne pourra se faire que si les marques jouent le jeu.

Qu’en pensent d’ailleurs les premiers intéressés ? Par curiosité, Stratégies a interrogé une vingtaine d’entre eux, âgés de 11 à 17 ans, sur des pistes d’améliorations. Et si tous se retrouvent sur un point -une indigestion caractérisée de publicité quel que soit le support, les idées ne manquent pas. «Des spots plus rapides avec un message direct» pour Martin (13 ans), «une publicité plus ciblée et allant directement à l’essentiel» pour Inès (14 ans) et Alix (17 ans), «des publicités plus courtes» pour Brian (15 ans), «varier les publicités pour éviter de voir toujours les mêmes» pour Grégoire (16 ans), «des publicités qui font plus "vrai" et qui collent à la réalité» pour Pauline (11 ans), «des pubs plus directes et sans histoires superficielles» pour Louis (15 ans) ou encore «la possibilité de passer systématiquement la publicité sur le web», pour Romain (15 ans). Un quadriptyque efficacité-authenticité-personnalisation-expérience utilisateur sur lequel certaines marques ont déjà commencé à miser pour le futur.

Stéphane Hugon, sociologue et fondateur d’Eranos

«Souvent plus lucides que les adultes»

Faut-il considérer différemment le consommateur adulte et adolescent ?

La définition contemporaine du consommateur fait apparaître à quel point le principe de rationalité dans l’acte d’achat est devenu secondaire. Aujourd’hui, ce n’est plus le besoin qui guide cet acte, ce sont le désir et l’envie. Deux notions qui comportent quelque chose d’irrationnel et renvoient à une logique pas simplement individuelle. Les marques savent parfaitement inventer cet espace, qui ne parle pas qu’aux plus jeunes d’ailleurs et qui renvoie au concept de puer aeternus («enfant éternel») tel que défini par Jung. Notre société occidentale a été fascinée à l’extrême par l’archétype de l’adulte. Or, la figure de l’honnête homme rationnel est clairement chahutée. Ce rôle finit par s’épuiser pour laisser place à cet enfant éternel et à une société totalement infantilisée. À ce titre, et contrairement à ce qu’on veut bien dire, les ados peuvent aimer certaines marques mais ils sont souvent plus lucides et capables d’ironie que les adultes. Ils sont plus entiers dans leur approche des choses et leur rapport aux marques.

On a pourtant tendance à considérer qu’il s’agit d’un public plus fragile et donc d’un sujet sensible ?

C’est un sujet sensible qui témoigne avant tout de l’embarras de la société vis-à-vis du concept de réalité. Ce qui renvoie encore une fois à la différence entre ce qui est vrai et ce qui est faux. Les langages qui sont dignes de confiance et ceux qui ne le sont pas, ainsi que les sources supposées de vérité que sont l’école, les parents, les politiques, les marques ou les médias. La crise de la publicité chez les adolescents reflète plus la crise d’une certaine parole publique que d’une industrie spécifique.

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