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Game of Thrones, phénomène culturel rare et massif, s’est démarqué par sa puissance de feu marketing, entraînant dans son sillage à peu près tous les secteurs dans leur communication. Zoom sur l’ampleur et l’impact d’une série déjà mythique.

Serait-ce le plus beau des hommages ? Début mai, alors que Game of Thrones entamait son ultime saison, le verbe « divulgâcher » faisait son entrée dans le Petit Larousse. Le terme québécois, traduction de l’anglicisme « spoiler », désigne le fait de ruiner le suspense d’un livre, d’un film. Ou d’une série… Et quelle série a autant provoqué la hantise du « spoil » que Game of ThronesGoT pour les intimes ? Sur Twitter, avant chaque épisode de la huitième et ultime saison, les aficionados désactivaient certains hashtags, qu’ils aient de près ou de loin un rapport avec la série. Parfois en vain. La superproduction de HBO est sans doute celle qui aura suscité le plus de « spoils ». De spéculations. De rumeurs. Et de passion ? 

Avec Game of Thrones, les superlatifs ne sont jamais loin. Surtout lorsqu’il s’agit de parler de diffusion : la conclusion de la saga a réuni, aux États-Unis, 19,3 millions de téléspectateurs. Le précédent record remontait seulement à quelques jours : 18,4 millions de spectateurs la semaine précédente pour l’avant-dernier épisode de la saison 8, selon HBO.  Dans l’Hexagone, d’après Orange, diffuseur de la série en France via sa chaîne OCS, l’audience de la saison 8 a été jusqu’à quatre fois plus importante que celle de la saison 7. « GoT a écrasé le classement, observe Philippe Bailly, président de NPA Conseil. Il y a certains jours où la série a pesé 10 % de l’ensemble de la consommation de SVOD, c’est du jamais vu. » Comme le laps de temps entre les deux dernières saisons a été de deux ans, il a fallu pour les fans se faire une bonne session de rappel. Ainsi les audiences ont-elles commencé à grimper avant la diffusion de la saison 8, au point de déjà truster le top 5 des programmes les plus regardés. 

Une série à l’ancienne

Le secret entourant chaque épisode est un rouage central de la mécanique du désir et à ce jeu, HBO est parvenu à la protéger. Contrairement à Apple qui ne réussit plus autant à faire monter l’attente avant ses keynotes car ses annonces sont toujours éventées avant, les producteurs de Game of Thrones ont jalousement protégé leurs rebondissements. « Des scènes leurres ont été tournées pour pouvoir se retourner en cas de fuite. Lors d’une avant-première à New York, des “Men in black” scannaient la salle à l’aide de lunettes infrarouges pour vérifier que personne ne capte quoique ce soit », pointe Philippe Bailly. Las, le script de l’épisode final a quand même fuité.  

Néanmoins, les fans ayant consulté les « spoils » semblent avoir été assez rares, tant ils ont attendu religieusement le dimanche soir (aux États-Unis) et le lundi soir (en France) – ne parlons pas des extensions pour navigateur anti-spoil ! Car s’il est bien une chose que le public français a continué d’observer, c’est ce rythme de communion quasi-nationale chaque semaine – fût-ce en streaming illégal. L’on se prend à se souvenir de séries des années 1980 comme Dallas, grand-messe familiale – dont la mort de l’un des personnages, le gentil Bobby, avait provoqué un émoi national. Mais alors que depuis le premier épisode de GoT en 2011, le concurrent Netflix a remodelé les codes de la diffusion de séries en imposant le binge watching, Game of Thrones est de ces séries à l’ancienne que l’on regarde chaque semaine – même si la pratique perdure davantage aux USA. 

Suivie avec ferveur, la série est discutée, disséquée avec ardeur. C’est ce que l’on appelle le « watercooler effect » – le fait de discuter d’un sujet le matin à la machine à café. S’agissant de GoT, hormis IRL, la principale arène de jeu est Twitter pour son aspect public. « Nous avons assisté à un vrai concours de fans cherchant les meilleurs plans des épisodes afin de les commenter voire d’en faire des mèmes, à l’image de la moue crispée de Daenerys face à Sansa », note Jean-Baptiste Bourgeois, planneur stratégique senior chez We Are Social. Même Volvic s’y est essayé. L’autre phénomène observé est que les conversations sociales ne se sont pas limitées au moment de diffusion des épisodes mais ont continué dans l’intervalle. 

Diviser pour mieux régner. C’est à croire que la série ne s’est refusé aucune maxime liée à la stratégie politique et militaire. Si la dernière saison de Game of Thrones a généré autant d’engagement sur les réseaux sociaux comparé aux précédentes, c’est parce qu’elle a davantage divisé l’opinion, poursuit Jean-Baptiste Bourgeois. Une pétition a réuni plus d’un million de fans enragés : tous réclament la réécriture de la saison 8. Et pour émerger sur les réseaux sociaux, on le sait, il n’y a rien de tel que des avis dissonants. L’agence a d’ailleurs constaté l’explosion de chaînes YouTube jusqu’alors inconnues au bataillon juste parce qu’elles ont choisi de parler à contre-courant de la série. Ces récupérations auront largement élargi la surface d’expression de Game of Thrones sur les réseaux sociaux. Elles ont contribué à défoncer le mur séparant jusqu’alors la communauté nerd des fans d’heroic fantasy et le grand public, que même LeSeigneur des Anneaux n’avait pas autant rallié à sa cause. À ce niveau de puissance, la série a mu en vraie grande marque. 

Game of spots 

Éternelle recycleuse devant l’éternel, la publicité ne pouvait évidemment pas passer à côté d’un tel raz-de-marée. « La série, qui, au-delà de la pop culture fait désormais partie de la culture tout court, constitue un tel phénomène depuis huit ans qu’elle a pénétré notre culture publicitaire crescendo, souligne Lennie Stern, head of creative and entertainment strategies chez BETC. Bryan Coste, planneur stratégique chez Darewin, avance quant à lui une théorie en forme de mini-spoiler : « À la fin de la série, avant le choix du roi, Tyrion [personnage phare de GoT] affirme que le plus important dans le monde, ce sont les hommes qui connaissent et qui savent raconter les histoires. Pour moi, il résume le métier de la publicité, et les besoins de la société en une phrase. Le succès de GoT vient de son rapport à l’histoire, à la manière de l’inventer et le monde de la publicité l’a bien senti. Comme le récent spot PMU qui passe de l’hippique à l’épique, avec une scène de cheval, et une histoire incroyable, qu’on pourrait retrouver dans la série… »

Plus d’une centaine de marques se sont emparées de GoT, soit qu’elles collaborent avec la série, soit qu’elles s’en inspirent de manière opportuniste. Le dernier opus semble constituer un momentum publicitaire. En février dernier, à l’occasion de la finale du Super Bowl, la série emblématique de HBO s’est par exemple offert un passage enflammé sur les télévisions américaines, via un film pour la marque de bière Bud Light brassé de références aux précédentes saisons. Autre annonceur international à avoir succombé aux sirènes de Game of Thrones, Oreo, avec un spot en noir et blanc recréant l’univers de la série par le truchement de ses seuls biscuits. Même stratégie du côté d’Adidas ou encore de Sodastream. La multinationale israélienne, qui collabore avec les acteurs depuis plusieurs années, réunit dans un spot humoristique trois personnages emblématiques de la saga – Hodor, The Mountain et Septa Unella – pour réitérer son implication dans la lutte contre le plastique. 

Mais au-delà de ces exemples précis, GoT constitue une source d’inspiration pour tout le secteur, à l’image de la récente opération développée par DDB Paris pour Uber Eats. Le concept ? Accepter de se faire spoiler pour dépenser moins. « L’idée du partenariat avec OCS, qui diffuse la série enFrance, vient de l’annonceur. En revanche, tout le dispositif a été imaginé par DDB Paris », recontextualise Pierre Guengant, directeur commercial en charge de la marque au sein de l’agence parisienne. « Tout part du constat que l’utilisation d’Uber Eats pour commander à manger est très liée, en termes de cible et de moment, avec le fait de regarder des séries. Et comme GoT est celle qui crée l’événement et qui suscite le plus d’attente, c’était la meilleure occasion d’utiliser et de développer ce lien.

DDB Paris a donc conçu un dispositif en affinité avec ceux qui regardent la série. En réagissant en live à 3 heures du matin – avec le concept de “spoiler codes” utilisant la crainte majeure de tous ceux qui suivent une série, l’agence a tout fait pour être en phase avec les “vrais fans’’ et leur univers »
, complète ce dernier.

Des spectateurs de plus en plus exigeants

De vrais fans qui, tels Arya, l’un des personnages stars de la série, peuvent revêtir mille visages. « Ce monde de l’heroic fantasy, mâtiné de Donjons et Dragons, pouvait au départ être connoté très geek, très “nerdy”, très masculin. Aujourd’hui, il touche toutes les populations », relève Lennie Stern. Et les rend, au passage, de plus en plus exigeantes quant à ce que l’on appelle la « production value » : l’argent vu à l’écran. On pense ainsi à l’esthétique GoT devant le spot grand spectacle de BETC pour Total Excellium. Assiste-t-on à une « Game-of-Thronisation » de la pub ? « Nos audiences sont de plus en plus habituées à une forme d’escalade dans les superproductions », prévient Lennie Stern. Du coup, si l’on cherche le clin d’œil à GoT, autant ne pas la jouer petit bras. « Si le récit d’une publicité tourne autour d’une bataille, on ne peut pas proposer des images dégradées, en deçà – même si ces images peuvent avoir coûté très cher. Mais si on y va, on ne peut pas y aller à moitié, sans un “craft” impeccable. Sur ce terrain, c’est l’exigence absolue, sinon c’est l’échec assuré. » Pour autant, Lennie Stern prédit pour l’année à venir « des spots inspirés du Seigneur des Anneaux, bientôt adapté en série [par Amazon] ». Pour l’heure, selon elle, en juin prochain, les dragons devraient remporter des Lions. « À Cannes, on verra beaucoup de campagnes dérivées de GoT. » 

Peut-on imaginer d’autres séries succéder à GoT en France et dans le monde ? Philippe Bailly est sceptique. « La barre a été placée si haut qu’il faudra être au moins aussi bon – et disposer d’un budget conséquent – pour réussir à générer autant d’attente… Et puis l’offre est devenue abondante avec 500 nouvelles séries par an. Faire émerger un programme qui reste à l’esprit jusqu’à la semaine suivante est devenu plus compliqué. » Mais les plus accros vont pouvoir se refaire prochainement un shoot de GoT : un prequel, se situant des milliers d’années avant GoT, avec Naomi Watts dans l’un des rôles principaux. Divulgâchis : son titre serait Bloodmoon [La Lune de sang]…

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