Étude
Quelles sont les priorités des directeurs marketing ? Quels leviers doivent-ils activer pour se démarquer en 2019 ? Quid de leur relation avec les agences ? En exclusivité pour Stratégies, les résultats de l’étude Limelight menée auprès de plus de 700 professionnels du secteur.

Des yeux derrière la tête, un don d’omniscience et au moins quatre bras façon Shiva… Les directeurs marketing version 2019 sont en pleine mutation. Il faut dire qu’ils font face à une multiplication des canaux, des technologies et des attentes des consommateurs. D’après le dernier baromètre des métiers de la communication Limelight (BVA), dont Stratégies dévoile les résultats en exclusivité, la fonction marketing opère sa transformation. L’étude offre une photo complète du secteur. Tendances, axes de travail, clés de compétitivité…

En tête des priorités de l’année, toutes catégories confondues : l’expérience client. Sur le front des chantiers technologiques en 2019, la modernisation des outils de personnalisation de la relation client vient en tête (49 %). Désormais, le marketing transforme la relation client autant que l’entreprise. Face à ces nouvelles données, les annonceurs -recrutent de plus en plus de spécialistes dans leurs équipes, et internalisent un certain nombre de compétences, notamment celles qui touchent à la data. Leur but est de « reprendre la main sur des actifs clés ».

Une guerre de notoriété féroce sur les marchés

« Il y a un vrai mouvement de réinternalisation », confirme ainsi Amaury Laurentin, directeur d’activité de BVA Limelight, en particulier pour « retrouver le lead sur des assets stratégiques, améliorer l’efficacité opérationnelle comme la production de contenus, mieux gérer les enjeux conversationnels et être plus réactif, avec une meilleure maîtrise des outils de mesure de la performance… » « Les résultats des campagnes ne tiennent pas en une ligne. En interne, on approfondit les tops et les flops, et on réajuste plus rapidement », indique un annonceur. « On nous disait aussi qu’il n’était pas possible de diffuser tel format sur telle plateforme, alors que l’on savait que c’était faisable », ajoute un autre. Au bout, c’est la nature de la relation avec les agences qui change. Avec un degré d’exigence sans cesse accru. 

Dans cette nébuleuse, l'institut dégage plusieurs clés de performance d’une marque. Deux piliers restent intangibles dans une société où le consommateur est en quête de sens : la construction d’une empreinte originale et la capacité à alimenter l’adhésion. Dans ce contexte, un élément reste fondamental: être une marque connue. «Sur tous les marchés, on observe une guerre de notoriété féroce » note Amaury Laurentin. « Et cet enjeu de notoriété est une très bonne nouvelle pour les grands médias à qui on promettait la disparition au profit du numérique» conclut-il. Quatre autres leviers de compétitivités sont mis en avant. La marque doit s’intéresser à ses publics, et savoir les intéresser. «Il faut jouer un rôle dans la vie des consommateurs de façon sincère, cohérente et durable» pointe un responsable marketing.

 

Autre impératif : générer des «connexions émotionnelles», afin de « donner l’impression d’être proche de chacun pour créer un lien particulier». En parallèle, il est aussi nécessaire «d’agir et d’alimenter la confiance», souligne l’institut. Un annonceur explique: «On ne peut plus aujourd’hui occulter la notion de responsabilité, c’est une question de survie! Il faut montrer que l’entreprise peut faire du bien.» Va-t-on passer au post-storytelling ? Côté création, la marque a besoin d’adapter sa grammaire à chaque média. Cette évolution fait dire à Amaury Laurentin que «la question de la contribution business sous-tend toute l’action marketing, mais celle-ci ne peut pas se résumer à une performance commerciale. La marque reste un levier indispensable de cette performance». Comme le souligne un marketeur, «il faut travailler sa marque et son pouvoir, et en même temps avoir les doigts dans la prise du business». Ce n'est pas tout : il faut aussi être aussi connecté aux – toujours plus nombreuses – technologies à intégrer: vocal, objets connectés, last but not least, intelligence artificielle. Le tout sur fond de convergence à mener de nombreux systèmes: CRM (relation client), DMP (données)… Ces fronts ouverts en même temps «accélèrent la transformation des organisations», note Limelight. Plus d’expertises, plus de technicité, plus d’adaptabilité, plus d’efficacité. Citius, altius, fortius. Avec un revers. «On est de plus en plus obligés de manager des équipes expertes sur lesquelles on n’a pas forcément de maîtrise technique en termes de métier», souffle un marketeur, alors que «les budgets ne grossissent pas», pointe un autre, devant être «plus attentif à l’articulation des investissements»

Le marketing est techno-centré

Au fond, «le marketing occupe désormais une nouvelle place dans l’entreprise», décrit Amaury Laurentin. Son rôle est à la fois de contribuer au business à court et à moyen terme, mais aussi d’être un moteur d’innovation. «L’enjeu marketing dépasse à présent largement l’idée de communication», poursuit l’expert. « Il faut être remarquable », témoigne un directeur marketing, selon lequel il est aussi important de pouvoir changer de point de vue. Le numérique fait sortir le marketing de sa fonction première de générer des ventes. Chaque action a des impacts sur toute la chaîne. Un nouveau site web en 2019, c’est une nouvelle expérience client et des implications internes profondes (organisation, systèmes d’information…) en lien direct avec la performance de l’entreprise. « Finalement, mon job aujourd’hui c’est de mener la transformation de l’entreprise en passant notamment d’une culture produit à une culture client qui induit digital, performance et mesure », résume un annonceur. Le marketing est résolument «techno-centré», ce qui «amène un besoin de plus d’expertises», observe un annonceur. Cette complexité « positive » selon lui, est une « opportunité » pour un autre, car elle permet « de faire des choses qu’on ne faisait pas avant ». Pour démêler ce sac de nœuds, la sacrosainte data. « On en a des tonnes, mais encore faut-il savoir les utiliser », tempère un marketeur interrogé par Limelight. Pour ceux qui sortent leur épingle du jeu, « c’est un accélérateur de performance ». In fine, « le digital nous permet de mieux faire notre métier (…) en étant moins dans une logique d’arrosage comme on l’est avec la TV ».

Gafa dépendance

Gare aux techno-sceptiques, prévient un directeur marketing : « Si vous ne suivez pas le rythme de la technologie et d’usage de vos consommateurs, vous allez dans le mur. » Cela fait des années qu’études et experts promettent à l’envi l’ère de l’ultra-personnalisation. Eh bien on n’y est toujours pas. Les équipes marketing doivent davantage se recentrer sur la compréhension de leurs publics. Asymptotique, le « user centric » ? Le mythe a en fait été remodelé par les réseaux sociaux qui ont fini de transformer le récepteur en acteur. « Dans ces conditions, la maîtrise de la marque et de son image est bien plus complexe », relève un annonceur interviewé. Pour Amaury Laurentin, « l’horizontalisation des relations de la marque avec ses publics modifie les ressorts de cette relation et augmente les risques perçus de perte de contrôle ». C’est la « démocratie permanente », illustre un marketeur. « On est face à nos électeurs, les consommateurs, tout le temps », conclut-il. Pour ne rien arranger, rappelons que cette relation a en majorité lieu sur Google et Facebook. Cette « Gafa dépendance », pour Limelight, fait planer un risque de perte de contrôle lui aussi permanent. « Notre dépendance à l’égard de Google et Facebook devient de plus en plus problématique », pointe un annonceur. Et puis, derrière, il y a le besoin d’être toujours « hyper agile », afin de « rattraper en permanence le retard pris sur des technologies qui entraînent des mutations de plus en plus rapides des marchés ». Pas le choix. Comme le constate un marketeur, « tout changement est capable de devenir un standard du marché en moins de dix huit mois ». Vidéos verticales, arrivée du vocal, désintérêt de Facebook, Stories, explosion d’Instagram, TikTok... Dans ce grand remous, le branding fusionne avec la performance devenant maintenant « le socle des architectures marketing performantes ».

Agence ? Quelle agence ?

Tout d’abord, deux leçons de Limelight. Primo, une préférence pour les médias classiques versus les GAFA sur l’achat média digital. « Les annonceurs reviennent sur la facilité offerte par Google et Facebook au profit d’environnements où ils maîtrisent mieux le contexte et la data », observe Amaury Laurentin. Secundo, la difficulté à identifier les agences pour les mettre en compétition, donc un besoin d’être guidé. « Le paysage de la prestation marketing se fragmente, avec 331 acteurs différents cités. C’est le marché le plus atomisé après celui des commissaires aux comptes. Sur la question de la notoriété des agences, 50% des annonceurs ne se sont pas prononcés. En communication comme en politique, l’abstention est devenue la norme. Il y a un désintérêt pour les agences », détaille-t-il.

Ce qui est attendu des agences, c’est d’endosser un rôle de « vigie » aidant l’annonceur à se remettre en question, apporter des idées créatives et contribuer à la flexibilité. L’agence doit avoir une vision agnostique des leviers, être agile, offrir des résultats mesurables, présenter une stabilité des équipes projet et agréger les solutions et les savoir-faire. Savoir-faire, pas savoir tout faire… « Nous notons une défiance à l’égard des agences se targuant de toutes les compétences », relève Amaury Laurentin. Pour un annonceur interrogé, « dans un marché qui manque de visibilité à moyen terme, cela me paraît plutôt sain de ne pas m’engager avec une agence qui gérerait tout en soi-disant 360. L’agence 360, c’est un fantasme, une perte de temps ! ». En 2019, l’exigence se déplace sur la qualité de l’apport stratégique au-delà de la créativité, sur la transparence de la collaboration, ainsi que la lisibilité.

 

Paroles d’annonceurs

  • « La création n’est plus suffisante, on a besoin de toute la réflexion stratégique. »
  • « Le fonctionnement des grands groupes est souvent très opaque. »
  • « Les agences ont intégré le digital mais pas dans leur relation client.

Méthodologie

L’étude Limelight a été réalisée au terme de 54 entretiens dans des grands groupes (BNP Paribas, EDF, Heineken, Monoprix, Philips, P&G, Shell, Transdev…) pour sa phase qualitative, et 708 professionnels dans 491 entreprises pour sa phase quantitative, entre juin et septembre 2018.

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