A quelques jours de la clôture de la 65e édition du Festival de Cannes et de son marché du film, dont le chiffre d'affaires avoisine chaque année le milliard de dollars, une récente étude, menée conjointement par la Cass Business School de Londres et l'université allemande de Münster, pourrait doucher l'enthousiasme de nombre de tycoons de l'industrie du cinéma. Portant sur l'influence de Twitter sur le bouche-à-oreille, et spécifiquement sur le succès ou l'échec des films sortis en salle, cette enquête ébranle au moins en partie tout un système marketing jusqu'ici bien rôdé pour lancer un blockbuster.
L'idée de cette recherche académique est née, dans l'esprit de ses initiateurs, de la rumeur selon laquelle le fiasco du film Brüno, sorti en 2009, devait beaucoup aux commentaires désastreux sur Twitter le concernant. Et de fait, le principal enseignement de l'étude est que, sur l'échantillon pris en compte (1), Twitter a un effet de plus ou moins 20% sur les revenus d'un film.
«Si l'on observe les deux cas extrêmes de notre étude: "A Nightmare on Elm Street" (Les Griffes de la nuit), qui a enregistré un ratio de trois tweets positifs pour un négatif (2) et qui fut un flop lors de sa sortie, et le blockbuster "How to train your dragon" (Dragons) avec un ratio de quarante contre un, on peut estimer que si ce dernier avait également sous-performé à trois contre un, il n'aurait pas fait 17 millions d'entrées lors des deux premiers jours de sa sortie mais seulement 11 millions», avance Caroline Wiertz, professeur de marketing à la Cass Business School qui a mené cette enquête avec Thorsten Hennig-Thurau et Fabian Feldhaus, deux professeurs de l'université de Münster.
Ce résultat n'est pas anodin. L'impact ainsi mesuré de Twitter en matière de bouche-à-oreille sous-entend que si les campagnes marketing des grands studios peuvent toujours leur garantir une forte audience lors du premier jour de sortie (le vendredi aux Etats-Unis), ce n'est plus le cas pour les deux jours suivants. En somme, «l'effet Twitter» suppose une profonde remise en cause du modèle hypermarketé de l'industrie cinématographique, né au milieu des années 1970 avec la sortie de «Jaws» (Les Dents de la mer), accompagnée pour la première fois d'une campagne de publicité télévisée.
Désormais, si l'on en croit l'étude de la Cass Business School, fini l'assurance de faire un maximum d'argent sur les week-ends de sortie des films (quelle que soit leur qualité). L'instantanéité de Twitter peut très vite compromettre l'avenir d'un film à gros budget. «Au lieu de continuer à développer des projets à plus de 150 millions de dollars, les grands studios feraient mieux de répartir désormais les risques sur des films plus modestes», conseille Caroline Wiertz.