Après la crise de 2009, qui a vu les exportations de produits de luxe français baisser de 13% et les ventes mondiales reculer de 8%, ce marché a renoué avec la croissance dès 2010 (+13%), notamment grâce à l'eldorado chinois. Pour 2011, Bain & Co, qui avait tablé sur une progression moindre des ventes mondiales (8%), a revu à la hausse il y a un mois ses prévisions de croissance du marché, l'estimant à 10%. Dans ce contexte, pour Stratégies et à l'occasion du Grand Prix Stratégies/Amaury Médias du luxe, l'Ifop a pris le pouls du marché, pour la deuxième année consécutive, en interrogeant plus de deux cents professionnels travaillant chez l'annonceur ou en agences.
Concernant la sortie de crise en 2011, les acteurs sondés fin novembre exprimaient un point de vue mitigé. «Si le marché du luxe a confirmé sa bonne santé, pour deux tiers d'entre eux, 2011 n'a pas été une année exceptionnelle, même si aucun ne fait la grimace, remarque Stéphane Truchi, président du directoire de l'Ifop. En revanche, pour 2012, les acteurs du luxe ont une forme de confiance insolente dans leur marché: 55% d'entre eux sont optimistes pour leur secteur, mais, surtout, aucun ne s'est déclaré très pessimiste et seulement 10% se dit plutôt pessimiste.» Un bon tiers reste neutre.
Cette perception d'un secteur préservé de la crise contraste avec la situation économique et financière ambiante. D'ailleurs, les professionnels du luxe sont beaucoup plus sceptiques quand on les interroge sur l'avenir des autres secteurs d'activité: ils sont alors 51% pessimistes pour 2012 (dont 8% très pessimistes), contre 21% se déclarant optimistes.
Trois facteurs portent la croissance du luxe. D'abord, les clients les plus fortunés qui, plus que l'an passé, contribuent à développer les marchés historiques (Europe, Etats Unis, Japon…), suivis par les catégories supérieures et les touristes. Ensuite, les produits de luxe et d'ultra-luxe, qui soutiennent toujours le marché, bien davantage que les produits d'entrée ou de milieu de gamme. A cet égard, on mesure l'évolution de la stratégie de Van Cleef & Arpels, lauréat du Grand Prix 2011 (lire page 45) qui, après avoir fait la promotion de ses produits «access» pendant cinq ans, a décidé de reprendre la parole sur la haute joaillerie.
Enfin, la Chine, moteur stratégique de la croissance du secteur, avec les pays émergents. «La Chine reste la locomotive par le potentiel des villes du Tier 3», précise Stéphane Truchi. Après le Tier 1 (Shanghai, Pékin, Canton…) et le Tier 2 (Chongqing, Wuhan…), le Tier 3 est actuellement le troisième groupe de villes chinoises de développement pour les marques occidentales de luxe.
Au fameux BRIC: Brésil (très stratégique pour 22% des sondés), Russie (22%), Inde (18%) et Chine (80%), il convient d'adjoindre les Emirats arabes unis, très stratégiques pour 19% des sondés, de même que les Etats Unis (22%) et la France (18%), premier marché européen, qui fait jeu égal avec l'Inde. En revanche, le Japon n'est «très stratégique» que pour 9% des acteurs.
En France, ce sont les touristes des pays émergents qui portent la croissance, la clientèle chinoise, suivie des Brésiliens, Russes et Saoudiens. En revanche, la clientèle traditionnelle s'étiole, notamment les Japonais, Américains et Français.
«Une valeur de compensation»
L'Ifop a également interrogé les professionnels sur leur stratégie de communication. Il ressort qu'ils utilisent toute la palette des médias, en assignant à chacun des objectifs propres. Ainsi, l'affichage et la télévision dominent pour l'image et la notoriété, quand le site Internet de la marque permet de raconter son histoire. L'événementiel et les médias sociaux animent la marque et créent le buzz. Pour faire connaître les nouveautés, les médias classiques, surtout la presse, restent incontournables et pour les informations produits, le site, les applications mobiles, les tablettes et la presse sont utilisés. Pour toucher de nouvelles cibles, les acteurs ont recours à l'e-pub et aux médias sociaux. Ces derniers sont également mis en avant pour la fidélisation. Enfin, pour développer le chiffre d'affaires, télévision, presse et magazines restent les vecteurs privilégiés du luxe.
Et les valeurs? «Les professionnels ressentent qu'il faut satisfaire et séduire les clients avec un discours de réassurance et de sens, souligne Marc Gicquel, directeur du secteur luxe de l'Ifop. Les valeurs d'authenticité, de plaisir, d'émotion de confiance et le “value for money” sont en hausse alors que l'exubérance est mise à distance.» Stéphane Truchi renchérit: «En période de crise, le luxe est une valeur de compensation. Après le 11 septembre, on avait observé le même phénomène de recherche de plaisir émotionnel dans l'achat de luxe.»
Quant aux priorités stratégiques, une majorité d'acteurs répond innovation produit. La stratégie digitale, la maîtrise de la distribution, l'e-commerce, le «made in» sont également des enjeux stratégiques. En revanche, le développement durable ne semble guère préoccuper le secteur.