Tout ou presque a été dit et écrit sur Steve Jobs, perfectionniste et hyperactif, décédé le 5 octobre des suites d'un cancer du pancréas contre lequel il luttait depuis 2004, année de sa première vacance à la tête d'Apple. Le groupe a révolutionné les ordinateurs, la musique, et fait entrer d'étranges objets dans notre quotidien. Au point de connaître une croissance fulgurante ces dernières années, devenant temporairement la plus grosse société au monde, pesant environ 350 milliards de dollars en Bourse début 2011, au coude-à-coude avec le géant pétrolier Exxon Mobil. Mais loin d'être un simple inventeur, Steve Jobs appliquait avec minutie de très vieilles recettes marketing. Passage en revue...
Insight consommateur
Anticiper - et créer - de nouveaux besoins chez le consommateur, faire entrer dans leur quotidien des innovations de rupture. Du Macintosh en 1984 à l'ordinateur tout en couleur I Mac en 1998 pour 1300 dollars, Apple fait peut à peu entrer ses ordinateurs dans les foyers.
«Steve Jobs a su imposer Apple comme une marque forte, mondiale, au point qu'il pouvait susciter de nouveaux besoins avec ses produits», résume Henri Dirat, directeur général de l'agence 3D Communication.
Avec le lecteur MP3 Ipod, lancé en 2001 pour 399 dollars, puis la boutique en ligne Itunes en 2003, l'utilisateur fait tenir sa bibliothèque musicale dans sa main. En novembre 2007, l'Iphone inaugure l'ère de ces appareils multifonctions. Et l'Ipad celle des tablettes au printemps 2010. Le consommateur-internaute commence à cumuler albums, films, photos et autres données dématérialisées sur son ordinateur? En surfant sur le «cloud computing» (informatique dématérialisée), Steve Jobs lance en juin 2011 Icloud, le service gratuit de stockage de données en ligne labellisé Apple.
Rendre l'utilisateur dépendant
Dès qu'il entre dans la nasse Apple, le consommateur en est prisonnier. Et tel est l'objectif de Steve Jobs. Il oblige les clients Apple à utiliser Itunes, son système propriétaire, le plus fermé qui soit: pour acheter ses titres de musique, ses applications dans l'Apple Store, pour télécharger des mises à jour de logiciels, etc.
Autre coup de génie de Steve Jobs: faire entrer le client dans le système Apple, avec des «périphériques», tels l'Ipod ou l'Iphone pour points d'entrée. La facilité d'utilisation donnera envie à beaucoup d'aller plus loin, en acquérant d'autres appareils Apple. La boucle est bouclée.
Un réseau de distribution unique
Comment faire d'Apple une marque premium, voire de luxe? En créant un réseau de distribution limité. Avec d'abord une sélection de distributeurs triés sur le volet, soumis à un cahier des charges très strict.
Viennent ensuite les Apple Stores, la marque à la pomme inaugurant ainsi, en 2001 (en 2008 en France) au compte-goutte ses «concept stores», magasins spacieux au design soigné, aux implantations stratégiques en centre-ville, dans une poignée de grandes capitales. Difficile de savoir s'ils génèrent une grande part de son chiffre d'affaires, mais «c'est une parfaite vitrine marketing, pour une image de produit premium: un réseau limité, dans la lignée de son système propriétaire, des gens qui font la queue, pour créer un effet de rareté...», décrypte Henri Dirat. Sans oublier l'effet de pénurie créé lors des sorties de produits.
Une communication millimétrée
Les «keynotes» de Steve Jobs sont une leçon de marketing en soi, enseignée dans les écoles de commerce, et à l'origine d'un livre de management, Les Secrets des présentations de Steve Jobs (Carmine Gallo, éd. SW Télémaque). Le charismatique patron transforme ses conférences de lancement de produit en grand-messes attendues, avec plusieurs recettes: l'art du storytelling, avec une intrigue et un méchant (Microsoft, Samsung, au choix), des métaphores pour frapper l'imaginaire, une tenue so cool jean-baskets, etc. Sans oublier les formules-chocs, véritables gimmicks, de «Today, Apple reinvents the Phone» à «Say Hello to Ipad.»
Design et usages intuitifs
Dès 1998, avec ses Mac aux couleurs acidulées, «le design a permis à Steve Jobs de faire redécoller Apple», souligne Henri Dirat. C'est également grâce au design qu'il impose des produits parfois prééxistants, comme l'Ipod. «S'il y a un saut technologique, cela doit se voir dans le design des produits, ce qu'avait très bien compris Steve Jobs», remarque Georges Lewi, sociologue des mythes, professeur associé au Celsa.
Le succès d'Apple réside aussi dans une simplicité d'utilisation, pour des appareils à l'usage intuitif, ou le mode d'emploi n'est plus utile. Même les technophobes adorent. L'Iphone inaugure une nouvelle génération d'appareils, sans touches, et une nouvelle approche tactile, où l'on accède à des services et contenus en effleurant l'écran du doigt.