Jeudi 16 septembre 2010. Journalistes et partenaires de Nokia sont conviés à un grand raoût au Palais de Tokyo à Paris pour le lancement en fanfare du smartphone Nokia N8. Mais, au cours de la soirée, les invités apprennent que pour des raisons techniques, l'appareil ne sera finalement commercialisé en France… que trois semaines plus tard.
Ce nouveau smartphone doté d'une caméra, d'un appareil photo de 12 mégapixels, de 16 Go de mémoire interne et d'une nouvelle version de son système d'exploitation, Symbian 3, était pourtant le gros lancement de l'année pour Nokia, censé constituer une alternative à l'Iphone d'Apple. Un loupé révélateur des difficultés rencontrées ces derniers mois par le finlandais, mis sous pression par de nouveaux venus à commencer par Apple (Iphone) et Google (Android).
Si Nokia reste le leader mondial du marché du smartphone avec 39% de part de marché en Europe selon l'institut Forrester, le gros de ses ventes se fait sur les modèles d'entrée de gamme, dont le prix moyen a chuté de 17%, à 155 euros. Sur le segment haut de gamme, où il n'est pas en position de force, le groupe compte donc sur le succès du N8.
«Nokia n'utilise jamais le terme “smartphone” dans son marketing», trop identifié à l'univers d'Apple et de Google, pointe Forrester dans une étude sur le constructeur menée en octobre. «Nokia est devenu ringard, il est surtout connu pour ses mobiles de base. Le N8 ne fait pas rêver», tranche un consultant.
Pour lancer son modèle, Nokia mène une vaste campagne (lire l'encadré) qui, selon Xavier Sautereau du Part, directeur marketing de Nokia France, vise à «remettre le consommateur et ses usages au centre de l'univers de la marque et ce, en déclinant les publicités autour de nos services photo, vidéo, Ovi Maps, de l'Ovi Store et des réseaux sociaux».
Mais pas de chance, décidément. Mi-novembre, plusieurs articles font état de problèmes techniques pour le N8. Nokia publie le 17 novembre une vidéo de son vice-président Niklas Savander, qui se déclare «préoccupé» par le problème. Aux dernières nouvelles, un peu moins d'un mois après son lancement, le N8 serait «un succès». Nokia s'apprête d'ailleurs à lancer une plate-forme Internet qui lui sera consacrée.
Offensive publicitaire
Avant cet épisode, Nokia avait déjà eu d'autres soucis, notamment sur le marché des netbooks, très en vogue en 2009. Lors de son grand rendez-vous annuel, le Nokia World 2009, le groupe finlandais avait présenté son Booklet 3G. Commercialisé dans neuf pays, dont les États-Unis et la Grande-Bretagne, il n'a cependant jamais été lancé en France. «C'était trop tard, l'Ipad annonçait le marché des tablettes. Et Nokia n'a pas trouvé d'opérateur français pour le subventionner. En fait, il n'avait pas de légitimité sur ce segment», estime Tariq Ashraf, consultant télécoms.
Même difficulté devant le défi lancé par l'App Store, la boutique d'applications mobiles d'Apple, qui compte aujourd'hui près de 300 000 «applis» (lire Stratégies n°1608). Nokia mise sur l'Ovi Store depuis début 2010. Mais avec seulement 37 000 applis à ce jour d'après le cabinet Distimo, elle reste méconnue. «Beaucoup de smartphones Nokia n'ont pas d'application Ovi intégrée. Le client doit la télécharger», remarque Renaud Ménérat, de l'agence User Adgents.
Pire, elle est boudée par les marques. «Au moins 95% des applis que nos clients nous commandent sont pour Iphone ou Ipad», constate Antoine Levêque, patron de l'agence de marketing mobile Marvellous. Même constat pour Renaud Ménérat: «Les marques envisagent pour 2011 des applis Android, Bada [plate-forme de Samsung], Blackberry ou Windows 7. Ovi est loin derrière.»
Du coup, Nokia a décidé d'engager une offensive publicitaire pour la première fois consacrée uniquement à l'Ovi Store. Les quatre visuels paraîtront début décembre dans la presse écrite et la presse en ligne. Le slogan: «Plus de 3 millions d'applications Nokia téléchargées chaque jour dans le monde. À quand la vôtre?». Avec cette campagne signée JWT, Nokia «vise les développeurs, mais aussi les décideurs marketing», souligne Xavier Sautereau du Part.
Paiement mobile intégré
À cette série de problèmes commerciaux s'ajoute un bouleversement à la tête du groupe. Sur la sellette depuis un certain temps, le PDG Olli-Pekka Kallasvuo a été débarqué en septembre dernier, remplacé par Stephen Elop, ex-Microsoft. D'autres têtes à des postes-clés tombent dans la foulée: Anssi Vanjoki directeur de l'unité Nokia Mobile Solutions, Lee Williams, à la tête de la Fondation Symbian, et Ari Jaaksi, responsable du projet Meego, parti chez Palm.
Parallèlement, les résultats financiers sont plutôt mitigés, malgré une divine surprise au troisième trimestre. Fin octobre, le groupe a annoncé 1 800 licenciements. Le 18 novembre, l'agence de notation Fitch a dégradé d'un cran la note de la dette à long terme de Nokia évoquant «des pressions accrues auxquelles fait face l'entreprise sur plusieurs fronts».
Toutefois, 2011 pourrait bien être plus favorable au groupe. «Il y a un phénomène de mode autour des App Store, mais Nokia crée un écosystème autour du sien. Il a noué des partenariats, avec Pages jaunes par exemple. Et il a des fondamentaux solides, comme son parc de mobiles et son système de paiement intégré», précise Thomas Husson, analyste chez Forrester. De fait, l'Ovi Store est le seul à intégrer un système de paiement mobile, «qui permet au client d'être débité sur sa facture opérateur. Le paiement intégré manque chez Google et Apple», note Renaud Ménérat.
Enfin, le constructeur annonce pour 2011 plusieurs smartphones haut de gamme. Et devrait attaquer frontalement Google avec son système d'exploitation Mee Go, «open-source» et mobile conçu avec Intel, qui équipera smartphones et tablettes. Justement, certains consultants affirment que Nokia prépare sa propre tablette. La pression publicitaire exercée par le finlandais ne devrait donc pas fléchir ces prochains mois.
Encadré
Le N8, dernier pari de Nokia
La campagne de lancement du N8 est dotée d'un budget brut de 15 millions d'euros. Orchestrée par JWT, Wunderman et Carat, elle a décliné en novembre communication extérieure, événementielle et numérique, mais aussi des spots TV du 6 novembre au 19 décembre. Le slogan de cette campagne («Et vous, qu'allez-vous en faire?») accompagne la signature «Connecting people», qui demeure inchangée.
Encadré
Nokia en chiffres
128 000 salariés
40,98 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2009 (29,79 milliards d'euros pour les trois premiers trimestres 2010).
26% des ventes en Europe, 19,3% en Chine, 21% au Moyen-Orient et en Afrique, 30,8% en Asie, 11% en Amérique latine et 2,6% en Amérique du nord (selon Forrester).
32,6% de part de marché sur les smartphones.
36,6% de part de marché pour l'OS Symbian.