Après le diagnostic, le remède. «Le tout sous le même toit appartient à un passé qui date de 1963, date de l'ouverture du premier hypermarché Carrefour», a affirmé mardi 31 août Lars Olofsson, patron du distributeur français, devant un parterre de journalistes et d'analystes. Quelques jours auparavant, Carrefour avait réagi au relatif essoufflement des hypermarchés français par le lancement d'un nouveau concept, «Planet», inauguré le 25 août dans deux très grandes surfaces (14 500 et 15 000 m²) de l'enseigne en banlieue lyonnaise (lire ci-contre), mais aussi en Belgique et en Espagne.
«Carrefour Planet fait référence à une place de marché et à ses différents univers. Il s'inspire des grands magasins», analyse Bernard Buono, vice-président de BETC Euro RSCG, qui a été responsable du budget Carrefour avant le transfert de celui-ci chez Publicis. «A l'origine, les grands magasins s'appelaient grands magasins populaires, ce qu'ils ne sont plus. C'est une initiative très pertinente et très stratégique en termes marketing.» Interrogés par Stratégies, ni Carrefour ni Publicis n'ont répondu à nos questions.
A travers des pôles thématiques alimentaires (bio, marché, surgelés) et non-alimentaires (beauté, maison, loisirs, multimédia etc.), Carrefour se positionne désormais en multi-spécialiste. Dans l'alimentaire, il s'agit de lutter contre la concurrence des supermarchés dans le domaine des courses quotidiennes.
«Carrefour Planet injecte une dose de valeur ajoutée sur ce plan, en misant sur le plaisir et la séduction, considère Cédric Ducrocq, PDG du cabinet de conseil Dia-Mart spécialisé dans la distribution. Il s'agit de redonner envie aux consommateurs de prendre le temps de se rendre dans un hypermarché.»
En dehors de l'alimentaire, l'ambition est de se positionner en concurrent des enseignes spécialisées. «La beauté, le textile ou le multimédia constituent des achats impliquants, explique Bernard Buono. Le cœur du problème réside dans le passage des courses, temps creux et contraignant, au shopping, moment de plaisir et temps fort, dans des espaces pointus et pertinents. Le rival du pôle beauté de Carrefour Planet n'est pas celui d'Auchan, mais Sephora ou Marionnaud.»
D'ailleurs, Carrefour n'a résolument pas emprunté les mêmes chemins qu'Auchan. L'enseigne de la famille Mulliez est porteuse d'une analyse du marché opposée à celle de son concurrent. «Auchan estime que l'âge d'or des hypermarchés est certes révolu, mais que le modèle fonctionne encore, alors que Carrefour diagnostique une crise aigüe du format et essaie de changer son ADN», relève Cédric Ducrocq.
Diversité des pistes
Hormis l'initiative Planet, les autres pistes envisageables pour les grands hypermarchés reflètent cette différence. En 2009, un hypermarché Auchan de Mulhouse s'est transformé en un grand format discompte appelé Prixbas. La même année, pour la rénovation de son magasin de Vélizy (le plus grand hypermarché français en chiffre d'affaires), Auchan a certes opéré un renouvellement, mais a conservé son modèle initial.
A l'étranger, les difficultés sont moins apparentes qu'en France, mère-patrie de l'hypermarché. «En proportion, aux Etats-Unis, le nombre de grands hypermarchés est inférieur», observe Bernard Buono. La chaîne américaine Target s'est cependant déjà essayé à l'idée des pôles de Carrefour Planet, et a peut-être même été une source d'inspiration pour le distributeur français. «Confrontée à la toute-puissance de Wal-Mart, elle a joué sur l'aspect expérienciel, au moyen de partenariats avec des marques et des designers», raconte Bernard Buono.
Dans un style radicalement différent, l'enseigne Costco mise sur l'absence totale «d'expérience». Dans ses très grandes surfaces, l'enseigne vend des produits par lot à bas prix dans un décor épuré, mais une carte de membre payante est nécessaire pour y accéder. «Sur plus de 20 000 m², les Américains achètent des steaks par cagettes de 5 ou 10 kg dans de très grands caddies et les magasins sont d'une propreté clinique, raconte Bernard Buono. C'est un peu l'idée d'Auchan avec Prixbas.»
Quant au leader mondial de la distribution, Wal-Mart, ses hypermarchés appelés «Supercenter» ne sont pas aussi sophistiqués. «Ce sont des généralistes du discompte qui ne soutiennent pas la comparaison avec des spécialistes du textile et de l'électroménager, par exemple», souligne Cédric Ducrocq.
En Europe, le format hypermarché n'est pas aussi développé qu'en France. De même, la taille du pays et son nombre d'habitants changent également la donne. «La problématique française des hypermarchés concerne les pays latins, notamment l'Espagne, avec laquelle les points communs sont nombreux», précise Cédric Ducrocq.
Une part de marché qui progresse
Toutefois, la crise des hypermarchés n'est peut-être pas aussi grave qu'annoncée. Si l'enquête parue dans le numéro de septembre de Que choisir montre le mécontentement des Français envers les grandes surfaces, leur rentabilité au mètre carré et leur volume d'affaires nuancent ces critiques.
Selon l'institut d'études Kantar World Panel, la part de marché de ce format demeure la plus importante des grandes et moyennes surfaces hexagonales, représentant 52,8% en 2009 et 51% en 2008, loin devant les supermarchés (31,6% en 2009 et 33,1% en 2008) et le maxidiscompte (14,1% en 2009 et 14,3% en 2008). «Les hypermarchés toussent, mais se portent très bien, ironise Bernard Buono. Ils vont seulement moins bien qu'ils n'ont été dans le passé.» En réalité, le phénomène d'essoufflement touche essentiellement les très grands hypermarchés, ceux dont la superficie est supérieure à 10 000 m². «Entre 4 000 et 7 000 m², la taille des Casino et des Leclerc, par exemple, les hypermarchés ne souffrent pas», relève Bernard Buono.