Vous étiez en séminaire avec votre agence TBWA mercredi et jeudi derniers. Quel était l'objectif de cette réunion?
Patrick Ropert. J'ai organisé ce séminaire entre les membres du comité exécutif de la SNCF, Guillaume Pepy, Barbara Dalibard (SNCF Voyages), Jean-Pierre Farandou (SNCF Proximités) et l'équipe de TBWA – Guillaume Pannaud, Anne Vincent, Jean-Marie Dru – ainsi que Christophe Fillâtre, de Carré noir, notre agence de design. Trois mois après ma prise de fonctions, il s'agissait de plancher sur deux enjeux: le positionnement de l'entreprise d'une part, et l'architecture de marque d'autre part, c'est-à-dire comment donner plus de densité à la marque SNCF à quelques mois de l'arrivée de concurrents.
Ce séminaire, c'était une première ?
P.R. Bernard Emsellem [prédécesseur de Patrick Ropert, aujourd'hui directeur général délégué à l'écomobilité] en avait organisé un il y a deux ans et demi, déjà sur l'architecture de marque. À partir de septembre, nous allons réunir cette même équipe tous les mois pour «driver» de manière serrée et soudée les projets qui sont les nôtres.
Vous voulez un mode de relation avec TBWA qui soit plus opérationnel, plus efficace?
P.R. À la fois plus efficace et plus simple. TBWA pour la communication et Carré noir pour le design sont nos deux agences «lead». Mais nous faisons travailler également d'autres enseignes. Il est indispensable que ce dispositif soit étroitement coordonné.
L'Express a publié le 30 juin un article assez sévère sur Guillaume Pepy, qui montre notamment une dégradation des relations sociales à la SNCF. Qu'en pensez-vous?
P.R. Nous sommes en train de transformer profondément l'entreprise. Nous nous préparons à l'arrivée de concurrents dans le transport de voyageurs. C'est un cycle de transformations très lourd. Avec la réforme des retraites de 2007, nous avons de surcroît touché à des éléments du pacte qui lient les cheminots à l'entreprise. Et comme tous les Français, les salariés de la SNCF sont, sur fond de crise, dans une tendance pessimiste. Nos baromètres internes le reflètent, tout en montrant aussi un fort attachement et une grande fierté de travailler à la SNCF. Tout l'enjeu est d'aborder ces transformations nécessaires dans le dialogue et la transparence.
La SNCF, vous l'avez dit, va connaître dans les prochains mois la concurrence dans le transport de voyageurs. Qu'est-ce que cela va changer en termes de marketing et de communication?
P.R. Le cap est clair: retour aux basiques de la relation client. La situation de l'opinion publique, sur fond de crise, nous l'impose. Nous travaillons en ce moment avec TBWA à une campagne pour la rentrée qui ne sera pas axée sur des valeurs corporate mais sur l'information client. Avoir une information accessible, fiable, simple, c'est la première priorité de nos clients. Toute notre offre en la matière sera logée sous l'enseigne SNCF Direct.
De quoi s'agit-il?
P.R. C'est une application gratuite disponible sur Iphone et Blackberry, que nous avons lancée en octobre dernier, et qui propose toute l'info trafic des trains en direct. Elle a déjà été téléchargée à 800 000 reprises. C'est aussi, sur SNCF.com, un portail d'information avec notre radio sur IP, SNCF La Radio, en partenariat avec Goom. On y retrouve un flash trafic géolocalisé tous les quarts d'heure, des chroniques et de la musique, la programmation étant réalisée en collaboration avec Roberto Ciurleo [ex-NRJ, cofondateur de Goom]. À partir de septembre, SNCF La Radio diffusera une nouvelle émission en direct de 17h à 20h, notre pic d'audience. Nous sommes sur le point de confier son animation à une journaliste de renom.
Quelle est l'audience de votre radio?
P.R. Au bout de 4 mois, la durée d'écoute est de 20 minutes, contre 3 minutes au démarrage, et notre audience cumulée est de 1,3 million de personnes par mois.
En termes d'information voyageurs, sur quels items avez-vous le plus de progrès à faire?
P.R. Nous sommes en train de mener une révolution sur le volet information de la même nature que celle que nous avons faite sur le volet vente: lors de la création de Voyages-SNCF.com il y a dix ans, nous avons pris l'ordinateur du vendeur et nous l'avons apporté au domicile du client. Là, ce sont les tableaux d'arrivées et de départs des trains présents dans les gares qui arrivent dans votre poche. Nous allons aussi doter nos contrôleurs des mêmes outils que nos clients, pour leur permettre de mieux répondre aux questions qu'on peut leur poser en gare et dans les trains.
La concurrence arrivant, on peut imaginer une bagarre au moins autant sur les prix que sur le service…
P.R. Nous sommes sur un marché où l'investissement est lourd (une rame de TGV coûte 30 millions d'euros) et sur lequel, contrairement à une idée reçue, le train en France n'est pas cher. C'est même le moins cher d'Europe: 19 euros Paris-Nice ou Paris-Marseille dans un train à grande vitesse, qui dit mieux? D'ailleurs, l'aérien dit que le premier low cost en France, c'est le TGV. Cela dit, toutes les ouvertures de marché le vérifient: nous savons que nous aurons des surprises. Il faudra donc faire preuve d'agilité.
Vous avez l'air assez serein!
P.R. Je suis serein et combatif. Il faut à la fois être attentif et conscient de ses atouts, tout en restant humble. La pire erreur serait de sous-estimer les bouleversements qu'apportera la concurrence.
La vision de la SNCF est d'être un acteur de la mobilité. C'est important par rapport à la nouvelle concurrence qui vient?
P.R. Dans la notion de groupe de services à la mobilité, que porte et met en œuvre la SNCF, le cœur de notre activité est et reste le train. Autour de ce cœur de métier se développent des activités complémentaires. Notre projet est d'accompagner nos clients sur l'ensemble de leur expérience de voyage, de déplacement. Nous sommes ainsi opérateur, via notre filiale Keolis, de métros, tramways et bus en France et dans le monde. Et si nous répondons à l'appel d'offres Autolib à Paris au sein d'un groupement avec la RATP, Avis et Vinci, c'est parce qu'Autolib est un prolongement du train. Nous n'allons pas d'une gare à une gare, mais de son domicile à son bureau, à une zone de commerces, au domicile d'un ami, etc.
Quelles conséquences avez-vous tiré de la crise d'Eurostar fin décembre 2009?
P.R. Les équipes d'Eurostar mettent en place un plan d'action à la suite de l'enquête indépendante franco-britannique. Le 1er septembre, Eurostar sera une entreprise ferroviaire à part entière.
Transilien a été une marque très active en communication. Elle est aujourd'hui silencieuse. Une reprise de parole est-elle prévue?
P.R. Nous prévoyons une prise de parole sur ce sujet des trains du quotidien. C'est un axe majeur car nous transportons chaque jour plus de 3 millions de clients. TGV et TER – un peu moins Transilien – sont des marques passées dans la vie courante. Ces noms du quotidien sont une force: ils vont nous permettre de densifier la marque SNCF.
C'est-à-dire?
P.R. Notre investissement médias, hors médias numériques, est du même ordre que celui d'EDF, or le ressenti est celui d'une forme d'émiettement. L'arrivée de concurrents et le retour aux basiques doivent nous conduire à redonner de la cohérence, de la puissance et de la densité à notre communication. Si vous regardez nos communications, vous avez déjà pu voir des évolutions. Dans la campagne Services TGV, diffusée actuellement, au-dessus du logo TGV il y a le mot «services», que vous verrez aussi, à l'avenir, attaché à nos autres marques… Cela va créer du lien entre nos marques, comme un fil rouge.
La marque SNCF est-elle la plus appropriée par rapport aux enjeux de concurrence et de développement international qui sont les vôtres ?
P.R. C'est effectivement un nom imprononçable. Mais est-ce plus difficile à articuler que HSBC, qui est une société installée partout dans le monde? Il est essentiel de savoir quel est notre cœur de métier: le train en France. Il faut l'assumer, et même en être fier. Je suis très à l'aise avec la marque SNCF. C'est une marque qu'on adore détester, certes. Mais c'est aussi une marque patrimoniale d'une incroyable modernité, au capital de confiance remarquable.