C'est l'histoire d'un mec… aux abois. Pourchassé dans une forêt par des hommes armés, il se réfugie en haut d'un arbre, bientôt abattu par un bûcheron. Notre homme dévale ensuite la rivière sur sa grume, échappe à une chute vertigineuse dans la cascade et in extremis aux lames d'une scierie pour être «usiné» aussi sec dans une penderie… Voilà pourquoi il se retrouve dans ce placard, explique sans sourciller le jeune homme en caleçon au mari un peu dubitatif tandis que sa femme, entortillée dans les draps du lit conjugal, exprime sa surprise.
Invraisemblable? À voir… Car le métier de Lucas G. (c'est son nom), c'est précisément de raconter des histoires: il est scénariste à Canal+. Cette histoire à dormir debout a convaincu les jurés qui ont décerné au spot «Le Placard» le Grand Prix Stratégies 2010. Quatre ans après «La Marche de l'empereur», BETC Euro RSCG et Canal+, l'un de ses clients historiques, s'octroient de nouveau le trophée.
Depuis, pour la chaîne cryptée, les temps ont changé, de même que les axes de communication, rappelle Raphaël de Andréis, coprésident de BETC Euro RSCG en charge du budget: «Investir fortement dans la création originale, c'était tout le pari de Rodolphe Belmer lorsqu'il est arrivé à la direction des programmes de Canal+ en 2003. L'objectif était de rappeler qu'historiquement, Canal+ est une chaîne créative et non un simple acheteur ou un agrégateur de programmes. Et que cette spécificité la différencie des autres chaînes. D'où l'idée de mettre en scène des gens qui ont ce savoir-faire unique de créer des programmes et de savoir raconter des histoires.»
Après le «It's not TV, it's HBO» qui avait inspiré la signature «Au moins, pendant que vous regardez Canal+, vous n'êtes pas devant la télé», puis «Demandez plus à la télé», place donc à «There're stories and HBO stories», qui inspire depuis quelques mois la communication publicitaire de Canal+, «créateur de programmes originaux».
Valoriser les productions originales de Canal+ (Mafiosa, Pigalle la nuit et Braquo, pour citer les plus récentes) et l'imagination de ses scénaristes, et imposer une posture en matière de création: la feuille de route n'était pas simple à traduire en images. «Il a fallu près d'un an pour accoucher du “Placard”», confie Stéphane Xiberras, coprésident de BETC Euro RSCG en charge de la création. Difficulté supplémentaire avec Canal+, indique le créatif: «On ne peut pas les décevoir, car tourner des films, raconter des histoires, ils savent faire.»
Tourné pendant quatre jours en Bosnie et en Slovénie, «Le Placard» repose sur un classique du vaudeville à la française: l'amant dans le placard. Un cliché à la limite de l'éculé qu'il n'a pas été facile d'imposer. «Le vaudeville a failli tuer le film, mais c'est justement sur ce décalage que nous avons misé», admet Raphaël de Andréis, qui gardait quelques «plans B» en réserve.
Vrai sketch et minifilm d'action, un «minimétrage», «c'est un film piège. Même quand c'est de moins en moins possible, on se laisse embarquer», s'amuse Stéphane Xiberras, qui pointe les multiples incohérences, volontaires, qui donnent au film son caractère «totalement barré»: «C'est plein de raccords impossibles, le type est de plus en plus déshabillé, d'où sort ce bûcheron et sa tronçonneuse, et il y a des fringues dans la penderie… Pourtant, on reste accroché jusqu'au bout.»
Un caractère 100% international
C'est, aussi, tout le talent du réalisateur, Matthijs Van Heijningen, repéré par Stéphane Xiberras pour son travail sur Pepsi («Asteroïd», par ailleurs primé), qui signe son premier film pour BETC: «Il a l'art de raconter les histoires.» Quant au comédien, Matthias Girbig, déjà vu chez Toyota «Allez les Bleus» et Fnac «Technologies», «il devait être attachant et frais», souligne Stéphane Xiberras. Le mari, lui, ne devait être «ni agressif ni trop benêt». Pour finir, on notera cette seconde de silence à la fin du film, une astuce du comique déjà utilisée dans «La Marche de l'empereur».
Depuis sa première diffusion en septembre 2009, «Le Placard» accumule les récompenses: Grand Prix Cristal France et Europe, Club des directeurs artistiques, D&AD Awards à Londres… En attendant Cannes, pour le Festival international de la publicité, où le film espère être remarqué.
Stéphane Xiberras fait valoir son caractère 100% international: «Cela commence comme un film américain, c'est bourré d'humour à l'anglaise et ça se termine à la française…» Cerise sur le gâteau, c'est, selon lui, un bel hommage au métier de publicitaire: «Canal+ et nous, on fait le même métier. Nous faisons de belles images et racontons de belles histoires. Et ce n'est pas toujours facile.» Parole d'expert.
Voir le palmarès
Dix ans de Grands Prix
2001 | Brandt | CLM BBDO |
2002 | RATP | BETC Euro RSCG |
2003 | SNCF | TBWA Paris |
2004 | Visual | Enjoy |
2005 | L'Équipe | DDB Paris |
2006 | Canal+ | BETC Euro RSCG |
2007 | INPES |
Draft-FCB |
2008 | Oui FM | Leg |
2009 | Tiji | DDB Paris |
2010 | Canal+ |
BETC Euro RSCG |