Tout commence dans un restaurant McDonald's par une scène plutôt banale: un jeune homme attablé téléphone à quelqu'un qui lui manque en caressant son visage sur une photo de classe. Il interrompt la conversation à l'arrivée de son père, un plateau chargé de hamburgers et de boissons. Le père: «C'est ta photo de classe? J'avais la même tête que toi à ton âge. Je faisais un vrai carton avec les nanas. Dommage qu'il n'y ait que des garçons dans ta classe. T'aurais toutes tes chances.» Regard à la fois surpris, tendre et rieur du jeune garçon dont on devine soudain l'homosexualité. Pas si banal…
Signé BETC Euro RSCG, ce spot de 45 secondes est le plus fort d'une série de trois films qui constituent la nouvelle campagne de publicité de McDo, à découvrir à la télévision à partir du 21 mai, et du 26 au cinéma. Derrière la caméra, Xavier Giannoli, réalisateur de fictions plusieurs fois nominé aux Césars (Quand j'étais chanteur, À l'origine, etc.)et de plusieurs publicités (Ikea, Volkswagen, Canal+, etc.).
«Nous cherchions une autre façon d'exprimer la signature de la marque “Venez comme vous êtes”», raconte Stéphane Xiberras, coprésident et directeur de la création de l'agence en charge d'un budget qui, manifestement, l'inspire. En 2008, BETC Euro RSCG, nouvelle agence de McDonald's, créait en effet la surprise avec une campagne inédite dans l'univers de la restauration. Son objectif: créer un lien affectif fort entre l'enseigne et les Français. Pas de promotion de produits, de services ou de marque employeur dans les nouvelles créations, mais une galerie de portraits de consommateurs joyeux et colorés, un hymne à la diversité et au pluralisme avec un slogan sous forme d'invitation: «Venez comme vous êtes.»
Avec 75% de notoriété et plus de 80% d'agrément, cette campagne, primée à plusieurs reprises, notamment par Stratégies (Grand Prix des stratégies médias et du marketing des jeunes 2009 et Grand Prix du marketing digital 2010), a accompagné la croissance soutenue de l'enseigne, dont les ventes ont augmenté de 10% sur les dix-huit derniers mois.
Une création plus cinéma que publicitaire
«En 2008, il s'agissait d'installer cette idée forte qui nous a paru légitime, distinctive et empathique pour McDonald's, explique Nawfal Trabelsi, senior vice-président marketing France et Europe du Sud de l'enseigne. Peu de lieux font en effet preuve d'autant d'ouverture et de permissivité que McDonald's. Deux ans après, nous avons souhaité l'illustrer, l'enrichir, lui donner plus de résonance de manière à consolider le lien créé avec la marque.» L'agence a d'abord imaginé des situations insolites en affichage et en presse pour jouer la connivence avec des cibles, des événements ou des médias spécifiques: pour les 24 Heures du Mans, une annonce de L'Équipe visant «les papas» montrait une Formule 1 s'arrêtant pour passer commande au «McDrive»; une autre montrait un Dark Vador attablé, un plateau en suspension devant lui (l'affiche préférée des Français, selon le classement Ipsos 2009).
Plusieurs mois on passé et, pour cette nouvelle prise de parole, l'agence et son client ont souhaité revenir dans le restaurant, être plus narratifs et moins descriptifs. «On passe de la connaissance du client à sa compréhension, avec la même volonté de surprendre et de divertir», commente Stéphane Xiberras, qui confie avoir été terrorisé à l'idée de tourner ces spots «plus simples à rater qu'à réussir». «Les scripts étaient sympa à lire, mais la réalisation pouvait vite leur donner un côté donneur de leçon, sirupeux ou glauque. Il fallait faire de ces tranches de vie un vrai moment de cinéma, créer une émotion comme seul le septième art peut le faire. Il fallait également rester Français dans le ton», explique le créatif, qui a sans hésiter, dit-il, fait appel à Xavier Giannoli pour sublimer ces histoires.
Au final, une création plus proche du cinéma que de la publicité et qui fait du restaurant, lieu commercial par essence, le témoin d'histoires tendres, intenses ou joyeuses, évoquant la campagne télévision et cinéma de 2003, signée TBWA Paris, avec Jacques Audiard derrière la caméra.
On retrouve dans les scripts de BETC quelques éléments stratégiques de l'enseigne : ses services innovants, comme l'accès Wi-Fi gratuit; ses cibles prioritaires, à savoir les jeunes, mais aussi les familles et les seniors, avec deux films mettant en scène une maman stressée et deux personnes âgées cherchant l'âme sœur sur Internet. On note aussi, au passage, le nouveau visage extérieur des restaurants, qui cherchent, après avoir revu leur design intérieur, à mieux s'intégrer dans le paysage avec des façades de bois, de larges baies vitrées sans oublier un logo sur fond vert et non plus rouge. Mais rien qui ne soit pas conforme à la réalité. «McDonald's est une marque d'expérience. Ce qui est montré doit correspondre au vécu des consommateurs dans nos restaurants. Or Xavier Giannoli, tout en restant très esthétique, reste toujours très juste, très réaliste», commente Nawfal Trabelsi.
Enfin, la force de ces spots est, certainement, de suggérer plutôt que d'imposer un message ou un point de vue. Ces petites scènes de la vie quotidienne, comme prises sur le vif, ont un avant et un après. Libre à chacun d'imaginer, d'écrire l'histoire, d'épiloguer.
Pas encore de déclinaisons Web
Au total, McDonald's va investir 10 millions d'euros pour diffuser cette campagne d'image, dont on notera l'absence, pour le moment, de déclinaison sur le Web. En 2008, les films viraux, signés Duke et tournés en caméra cachée, avaient été un des grands moments de la campagne. «Je n'ai pas encore la création qui va avec», confie Nawfal Trabelsi, qui explore plusieurs pistes avec cette même agence (acquise depuis par Publicis Groupe).
Quant à l'affichage, McDonald's réserve ses annonces pour les mois d'été avec de nouvelles créations prometteuses, toujours signées BETC Euro RSCG. «Les vacances, la détente estivale sont bien en ligne avec l'état d'esprit décalé de ces annonces», poursuit Nawfal Trabelsi.
McDonald's n'en oublie pas pour autant de promouvoir ses produits. Sa prochaine offensive concerne le café, l'une des grandes spécialités du concurrent Starbucks. L'enseigne de restauration rapide, qui a lancé des espaces cafés dans ses restaurants, les McCafé, communiquera en juin avec TBWA Paris sur l'arrivée d'un café espresso, 100% arabica, labellisé Rainforest Alliance, moulu à la demande et assorti de recettes gourmandes.
Le tout accompagné d'un partenariat avec la marque Revol, qui permettra au consommateur de repartir avec des tasses design à collectionner. De quoi répondre à l'habitude culturelle française du petit noir tout en stimulant la consommation du matin et de l'après-midi.
Côté engagement environnemental, McDonald's devrait profiter du premier anniversaire de la conférence de Copenhague pour reprendre la parole sur le sujet. La grande force de l'enseigne est finalement de se donner les moyens de distinguer clairement ses prises de parole afin d'apparaître comme une entreprise respectée, un restaurant apprécié et une marque aimée.
Verbartim
Xavier Giannoli à l'œuvre
«Ces films ont demandé un énorme travail de casting, le choix des acteurs étant primordial pour obtenir cette forme d'élégance, cette justesse, cette exigence de vérité qui conduit à une humanité partagée, un humour qui n'a rien de vulgaire, explique Xavier Giannoli à Stratégies. Les personnages sont présentés avec ce qu'ils ont à dire et à taire. Ils ne parlent pas et se disent tout. J'ai énormément supprimé de dialogues, pour montrer au lieu de dire. J'ai également multiplié les prises et les versions pour trouver le moment le plus juste, le plus rare. Enfin, j'ai cherché à “dérythmer” les séquences, à créer des espaces temps sur les visages, les regards, qui donnent une autre dimension au spot de trente secondes.»