«Si le poignet est enflé, tapez 1. S'il est normal, tapez 2.» La mamy avec son bras endolori écoute le serveur vocal lui énoncer les gestes pour attacher son bandage. Pas facile avec un téléphone sous le menton ! «Si vous avez encore mal, tapez dièse !» On sourit au second degré, en visionnant ce spot viral sur les «déserts médicaux». Or, ce n'est pas une compagnie d'assurance qui signe ce film, mais le Parti socialiste, en campagne pour les élections régionales de mars prochain. Au total, six webspots (sur la formation, la recherche, etc.) ont été réalisés par Grégoire Magne et Stéphane Viard, avec en «packshot» une proposition socialiste et le renvoi vers le programme du PS.
C'est la première fois qu'un parti politique réalise un spot électoral publicitaire (ils sont interdits à la télévision), en jouant de surcroît sur les codes du Web viral : humour (chacun jugera…) et effet de surprise. «Nous cherchions le clip, à diffuser dans les conventions et sur le Net, qui accroche, crée de la curiosité sans perdre sur le fond», explique Marie-Emmanuelle Assidon, directrice de la communication du PS, transfuge du pôle influence d'Euro RSCG C & O. Dernièrement, sa parodie du spot de Google anti-Sarkozy, en ligne 48 heures après le Superbowl, avait déjà surpris et amusé. La réactivité avait payé : quelque 60 000 visionnages sur Internet.
L'humour serait-il la botte secrète des partis pour lutter contre le désintérêt politique? Jean-Marc Lech, président d'Ipsos, est catégorique : «L'humour est antagoniste avec le métier de politique car il suppose de ne pas se prendre au sérieux. La question pour un homme politique n'est pas d'être drôle ou sympa, mais d'avoir des résultats. L'humour pour “relégitimer” la politique, c'est pathétique.» Gaël Sliman, directeur général adjoint de BVA Opinion, est moins sévère : «S'il s'agit de susciter l'intérêt pour faire passer un message de fond, utiliser l'humour n'est pas vain. Mais la forme ne doit pas vampiriser le fond.» Tous ont en tête le désastreux «lib dub» de l'UMP, qui ne véhiculait aucun message, seulement une image de ministres cool… mais ridicules. Parodie ou exercice de style, Jérôme Fourquet, directeur adjoint du département opinion et stratégies d'entreprise de l'Ifop, s'inquiète de cette «dictature de la dérision».
Moins spontanée, la fameuse petite phrase
L'humour politique, de manière plus classique, c'est la fameuse petite phrase, «cette formule drôle quand elle est tragiquement exacte », dixit André Santini, maire d'Issy-les-Moulineaux et grand adepte de la saillie humoristique. Avec l'accélération du temps médiatique, «elle a perdu de sa spontanéité», note Isabelle Bourdet, directrice du prix Press Club de l'humour politique. «Mais c'est un passage obligé pour émerger ou entretenir une notoriété», remarque l'humoriste Jean Amadou, l'un des jurés. Certains en ont fait profession, comme André Santini, pour qui «l'humour est une façon d'exister et d'être populaire». Jean-Pierre Raffarin, qui cite volontiers Wolinski («L'humour est le plus court chemin d'un homme à l'autre»), a joué cette carte à Matignon pour, dit-il, «sortir du déterminisme de la fonction et gagner en liberté et en sincérité », tout en admettant le procédé un rien tactique. Pour Gaël Sliman, de BVA, «la politique menée étant impopulaire, les “raffarinades” faisaient diversion. Elles n'ont jamais eu d'effet sur la popularité de son auteur.»
La petite phrase est aussi une arme politique, comme s'y emploie Villepin contre Sarkozy. «Ça vous fait penser à quelqu'un ?», a-t-il lancé récemment, un pourceau dans les bras. «La petite phrase fait parler de soi, mais a un impact faible sur les électeurs, précise Gaël Sliman. Quand on vise la magistrature suprême, il vaut mieux l'éviter.» Et comme, désormais, tout propos peut se retrouver instantanément sur le Web, sur Canal + ou dans la presse, avec un effet boomerang si les humoristes s'en emparent, les politiques sont sur leurs gardes. «lls sont, du coup, moins rigolos et plus vachards», regrette Jean Amadou.