L’engouement inédit pour les Jeux paralympiques est aussi le reflet d’une meilleure intégration dans l’emploi des personnes en situation de handicap. Ces avancées exigent cependant un renouveau des pratiques.
Les personnes en situation de handicap, un antidote au clonage dans les recrutements ? C’est la thèse que défend Christian Coquart, responsable de la mission handicap chez Dentsu : « Quand j’ai commencé la publicité il y a très longtemps, il n’y avait pas d’école de publicité. C’était intéressant de travailler avec des gens qui avaient des profils différents. Or quelle est la mission d’une agence ? Créer de la différence entre des besoins, des marques, des produits. Et il n’y a rien de mieux que des gens qui ont une histoire différente pour apporter de la différence. »
Ce volontarisme se heurte au peu de candidats disposant des compétences requises et à la structure de l’emploi du secteur, d’où un recours accru à la filière de l’alternance. L’autre option consiste à sensibiliser les salariés afin que ceux qui se trouvent en situation de handicap n’hésitent pas à solliciter une RQTH (reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé). Depuis la signature d’un accord handicap en 2023, Publicis France a mené 19 actions de sensibilisation, en interne, qui ont touché 1 400 participants. « Nous avons mis en place 105 nouvelles mesures d’accompagnement depuis l’accord », précise Leila Grison, directrice Diversité Équité et Inclusion.
GroupM se montre plus réservé sur ce type de dispositif. « Ce sujet de sensibilisation est important mais nous n’avons pas pour objectif de "débusquer" les personnes en situation de handicap, indique Louise Mertzeisen, DRH de GroupM. Nous assumons notre taux. Ce qui est important pour nous, c’est de mettre en place toutes les actions nécessaires. »
Raison de plus pour redoubler d’efforts, estime Audrey Richard, DRH de Canal + : « Le recrutement ou le maintien dans l’emploi des personnes situations du handicap est un sujet que j’ai mis en priorité pour les mois et les années à venir. Le pourcentage actuel chez Canal + n’est pas à la hauteur de ce qu’il devrait être. » Canal + a installé dans ses locaux un corner « Café Joyeux » qui emploie trois personnes en situation de handicap mental. « Cela permet de montrer que le handicap n’est pas un problème et que nous pouvons tous travailler ensemble », souligne Audrey Richard.
La qualité de l’accompagnement joue aussi un rôle clef. Le groupe SNCF compte 7 300 salariés en situation de handicap, soit 5,76 % de ses effectifs, un taux très proche de l’obligation légale de 6 % instituée par la loi du 10 juillet 1987. Depuis octobre 2023, les trente correspondants handicap et emploi, dont quatre managers, ont été regroupés au sein d’une même structure. « Cela permet une animation plus efficace, dans des logiques de partage des bonnes pratiques et d’échanges sur les process. Cela facilite aussi l’identification des prestataires tout en assurant un accompagnement identique pour tous les bénéficiaires », indique Catherine Woronoff-Argaud, responsable des politiques de recrutement, diversités et inclusion.
Partenaire des Jeux paralympiques, Allianz implique de son côté ses collaborateurs dans des événements sportifs de soutien à la recherche médicale, comme la Course de la Jonquille, ou Trouss’aux sports, une opération de soutien à des enfants hospitalisés.
Silence et non-dits
Preuve de l’évolution en cours, les entreprises prennent aussi désormais en charge le handicap psychique et mental. Publicis France a déjà formé une quarantaine de collaborateurs aux premiers secours en santé mentale et de nouvelles sessions sont programmées. « Cela permet d’identifier des situations de souffrance, d’y réagir, de poser de bonnes questions, de repérer un mal-être, d’avoir une alerte lorsque l’on remarque un changement de comportement », indique Leila Grison.
Car une grande part des difficultés provient du silence et des non-dits, rappelle Louise Mertzeisen : « Nous avons accueilli une personne en situation de handicap psychique au sein de nos équipes conseils. C’est une personne qui n’avait pas souhaité nous déclarer son handicap et donc il y a eu beaucoup d’incompréhension au démarrage, mais à partir à partir du moment où la parole a été libérée, nous avons pu mettre en place un rythme de travail et une façon de communiquer différents. »
Les choses commencent à bouger, estime Chiara Kahn, créatrice de « Conpassion », un compte Instagram et un podcast qui recueille les témoignages des violences verbales ordinaires à l’égard des personnes handicapées : « Le handicap est un peu plus médiatisé qu’auparavant. Dans les conférences, la thématique est de plus en plus souvent abordée mais, dans les médias, la représentation du handicap à l’écran et à la radio est encore en dessous des 1 %, alors que la population compte entre 16 % à 20 % de personnes en situation de handicap. »
Catherine Woronoff-Argaud rappelle que ces efforts profitent en réalité à tous : « Intégrer des personnes en situation de handicap permet une plus grande ouverture d’esprit et encourage les salariés à travailler sur l’acceptation du handicap. C’est également l’occasion de mener des réflexions d’aménagement concernant les postes de travail dont peuvent également bénéficier les autres salariés. » Pour ceux qui ne s’estimeraient pas concernés, Christian Coquart n’hésite pas à rappeler une grande vérité : « Nous avons tous nos "casseroles", plus ou moins visibles, plus ou moins lourdes. »
Trois questions à Christophe Roth, président de l’Agefiph
Comment avez-vous participé aux JO ?
Nous avons signé une convention avec le Cojo et, à plus long terme, nous pensons que cela aura un impact pour atténuer les préjugés que l’on peut avoir sur les personnes en situation de handicap, et inciter des entreprises à recruter les collaborateurs en situation de handicap. Les JO donnent de la visibilité à des personnes qui sont des athlètes avec différents handicaps – des malvoyants, des gens avec des troubles moteurs, des gens avec des troubles psychiques, des personnes qui ont parfois des membres en moins – et ces athlètes réussissent de grandes performances. Dans leurs domaines, ils peuvent surpasser des personnes qui ne sont pas en situation de handicap.
Le sport peut-il changer les perceptions ?
Les JO démontrent que ces personnes ont vraiment des talents et des compétences. Je pense que cela peut faire évoluer le regard sur les personnes en situation de handicap et motiver encore plus les entreprises à les recruter parce que la diversité fait évoluer le collectif de travail. J’en suis intimement convaincu. J’en fais un combat depuis un très grave accident survenu le 15 décembre 1999. Je m’en suis relevé et aujourd’hui je parcours toute la France en portant ces messages. Ce n’est pas parce que les gens sont différents qu’ils ne peuvent pas réussir leur carrière.
Quel rôle peuvent jouer les référents handicap ?
En mars, au Havre, la 5e édition de l’université du Réseau des Référents Handicap a réuni plus de 2000 participants. Nous sommes vraiment dans une dynamique qui dépasse les Jeux olympiques mais nous espérons que les Jeux olympiques vont encore faire bouger les lignes et faire évoluer le regard sur les personnes singulières, les personnes en situation de handicap.