Le mirage des grosses boîtes a cessé d’éblouir, d’aimanter les jeunes collaborateurs sitôt leur diplôme en poche. Dans un monde qui rebat les cartes, de plus en plus, et de plus en plus vite, les petites et moyennes entreprises (PME) tirent leur épingle du jeu. Une revanche ?

8 h 28. Sur la tranche matinale Apolline Matin de RMC, un focus est réalisé, chaque matin, sur des petites et moyennes entreprises (PME). « Les auditeurs s’intéressent de plus en plus aux entreprises de proximité, qui font vivre les territoires, explique Baptiste Boillée, responsable de développement contenus et événements de RMC BFM. Ces dernières sont placées sur le devant de la scène. Par ailleurs, beaucoup de grosses entreprises se rapprochent d’elles pour travailler des politiques de synergie. » La PME sur RMC ? Ce rendez-vous précède l’interview d’Apolline de Malherbe et constitue une formidable rampe de lancement pour le carrefour politique. Le créneau ewst d’ailleurs largement investi par RMC. En effet, depuis 15 ans, la station organise le trophée PME -un tour de France à la clé-, établi avec le concours des Chambres de commerces et d’industrie (CCI).

Les Français aiment leurs PME. Et ce, de plus en plus. D’après la dernière étude publiée en mai dernier par HelloWork, plateforme française de l’emploi et du recrutement, c’est l’employeur idéal pour 42 % des candidats. Un chiffre en progression de cinq points en l’espace de 14 ans, quand les grandes entreprises de plus de 5 000 collaborateurs perdent du terrain, avec – 4 points. Les très petites entreprises profitent aussi de ce changement de logiciel : avec un bond de 13 %. L’entreprise à taille humaine a la cote par rapport à des grands groupes ou des entreprises cotées soumises à la pression boursière sur ses résultats. « Les entreprises comme TF1 ou Google avaient le bénéfice de l’image, note Thomas Chardin, dirigeant fondateur de Parlons RH, vice-président du Lab RH. Or, la recherche d’authenticité prime aujourd’hui. Quand vous bossez chez Vinci, la marque employeur doit se retrouver partout dans le monde, donc la base-line est un peu creuse, sans aspérité. »

Pour autant, « elles ne sont pas conscientes de leur potentiel, déplore Vincent Binetruy, directeur général au Top Employers Institute, reconnu pour son expertise en stratégies RH. Un complexe d’infériorité est palpable, en raison de leur déficit de notoriété. Et pourtant, la France regorge de ces pépites. Dans leurs bassins spécifiques, elles subissent la concurrence accrue des grands groupes qui pratiquent le télétravail. Aussi, doivent-elles étendre leur zone de chalandise pour recruter. » Mais, avec le rétropédalage en cours chez les acteurs du CAC40 ou au sein des entreprises de taille intermédiaire (ETI) en matière de travail à distance, un effet de balancier s’opère, au bénéfice des PME. « Elles ont une vraie carte à jouer, poursuit Vincent Binetruy, avec notamment l’agilité dont elles savent faire preuve, quand les entreprises de plus grande envergure sont hyper-processées, avec le reporting qui prend un temps fou. »

Des sociétés à échelle humaine, c’est d’abord ce qui motive les jeunes recrues. « Dans nos entreprises, le dirigeant n’est pas en haut de la pyramide, avec 10 000 salariés qu’il ne voit pas, tient à souligner Gaëtan de Sainte-Marie, président-fondateur de Qantis, centrale d’achats pour PME, vice-président de la Confédération des PME (CPME) du Rhône. On vit sur la même planète que nos collaborateurs. » Proximité, quête de sens, considération, perception du rôle assuré par chacun, transparence… autant de points qui plaident en leur faveur. Attentes des candidats et valeurs des PME « matchent » davantage. « C’est quoi le but ? » Voilà ce qu’entend Frédéric Salles, à la tête de Scop3, TPE montpellieraine spécialisée dans le mobilier d’entreprise reconditionnée. « Peu importe la fonction, il faut du sens ».

Difficultés de recrutement

De là à parler de revanche ? « Dans l’image, oui, dans le déclaratif, oui aussi, mais pas dans les faits », résume Laurent Capelletti, professeur de contrôle de gestion au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). De là à dire que ces entreprises-là recrutent aujourd’hui avec plus de facilité, il y a aussi un pas difficile à franchir. Selon Indeed, 85 % d’entre elles disent avoir des difficultés de recrutement. « Nos PME auront toujours des offres avec un salaire inférieur, une visibilité de carrière moins marquée, reconnait Nicolas Peterman, directeur général d’Ici Barbès, agence de communication corporate, dont la signature sur LinkedIn est : « la science des gens ». Tous les feux ne sont pas au vert. Notre secteur n’a plus l’attractivité d’il y a 15 ans, mais l’horizon se dégage. »

« Il suffit de pas grand-chose aux PME pour parler de soi, d’un site vitrine de qui elles sont, de leur histoire, note Eric Gras, head of talent Intelligence & Brand ambassador chez Indeed, moteur de recherche d’emploi. Les entreprises familiales savent très bien le faire. Et cela a réel impact sur le business. » Se raconter partout, ajouter une page carrière. Co-signé par la CPME et Indeed, le livre blanc « Guide pour bien recruter en 2024 » rappelle que « 92 % des chercheurs d’emploi lisent les avis concernant un employeur potentiel avant de se forger une opinion sur lui. D’où l’intérêt des dirigeants pour les labellisations, qui s’appuient sur le témoignage de leurs collaborateurs. Les PME entrent dans l’ère de la marque employeur, dévolue jusqu’il y a peu encore aux grands groupes, aux directions marketing d’envergure. « Le pire est de ne rien avoir, ponctue Eric Gras. Le candidat a besoin de se projeter. Sans cela, il ne postule pas. Mais, parfois, des entreprises petites ou moyennes devraient revoir à la baisse leur degré d’exigence. »

Trois questions à Didier Pitelet, président de la Maison Henoch Consulting, et qui a déposé le concept de marque employeur en 1998

Les PME s’emparent-elles du concept de marque employeur ?

Elles ont fait un sacré bond en avant. Elles avaient pas mal d’a priori. Le sujet leur paraissait davantage pour les grands groupes, effectivement, par méconnaissance. Mais, elles sont de plus en plus nombreuses à se convertir, après avoir compris son utilité. Il n’est jamais trop tard. Mais, si l’entreprise décide de s’en saisir pour se montrer plus belle qu’elle n’est, ce n’est pas judicieux. En revanche, si elle est prête à travailler son exclusivité culturelle, alors elle peut en tirer un vrai bénéfice.

Mais la démarche n’est-elle pas compliquée ?

L’équipe dirigeante est souvent composée de cadres techniciens. Aussi, faut-il les amener dans une zone d’inconfort pour les inciter à se penser employeur. Il y a une première étape de conscientisation. Je fais une trentaine de conférences sur le sujet par an. Je suis surpris de voir ces patrons de PME présents, mais de-là à mettre en place un vrai programme, il y a un pas, surtout en termes de budget.

Quel est le coût moyen pour développer sa marque employeur ?

Le ticket moyen est compris entre 25 000 € et 50 000 €, pour bâtir une stratégie de marque employeur et un plan d’actions. Au regard du bénéfice à en tirer, ce n’est rien. Mais, l’investissement doit se situer au niveau du comité de direction. Quand la marque employeur n’est que le sujet de la DRH, cela ne marche pas. Or, c’est l’immense majorité des cas. La finalité de la marque employeur : assumer une discrimination culturelle. Voilà pourquoi vous serez heureux ou pas.

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