Avec une économie qui voit apparaître quelques signaux orange, une petite musique recommence à se faire entendre. Et, si, en 2025, il fallait travailler plus ? À contre-courant des promesses électorales récentes, ce discours risque de cueillir à froid les salariés de retour de vacances.

Les prouesses sportives de Léon Marchand, Teddy Riner, Félix Lebrun ou Cassandre Beaugrand ont fait oublier les mauvais chiffres de l’économie française enregistrés avant la trêve estivale et olympique. L’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) table sur un « effet JO » qui permet au produit intérieur brut (PIB) d'afficher 0,3% de croissance au deuxième trimestre. Et le chiffre de +0,4% est attendu au troisième. Mais, en même temps, malgré un chômage descendu à 7,3% au deuxième trimestre (-0,2 point), le risque de dégradation de l'emploi est bien réel. Un éclairage sectoriel : à en croire l’UCC Grand Sud, l’environnement des agences s’assombrit. 40,5% de celles des régions Occitanie et Sud prévoient une baisse de leur activité en 2024. Qui plus est, le solde commercial se détériore…  Effet « revival » : dans ce contexte, le slogan cher à Nicolas Sarkozy, « travailler plus pour gagner plus » refait surface même si l'idée, formulée par le patron du Medef pendant le covid, avait suscité un tollé en 2020. De-là à être repris politiquement ? Le sujet pourrait en tout cas réémerger en cette rentrée.

Recul de la productivité

Travailler plus ? « Oh oui ! oui ! Et oui. » La réponse d’Audrey Louail est sans ambiguïté. Présidente de CroissancePlus, un réseau de 500 entrepreneurs, coprésidente d’Ecritel, elle détaille ses arguments pour étayer son point de vue. « On est passé de 39 heures à 35 heures hebdomadaires, avec des revendications à 32 heures. On travaille moins que les États-Unis ou l’Asie. Et même 14% de moins que les autres pays de l’Union européenne. Nos entreprises ont un écart de compétitivité. On était plus efficace, ce n’est plus cas. La valeur travail est malheureusement reléguée derrière les loisirs. Dans les entreprises, ce n’est plus combien je gagne, mais combien j’ai de jours de RTT ? » Une analyse qui est loin d’être isolée. « C’est paradoxal, renchérit Sylvain Bersinger, chef économiste du cabinet Asterès, tout le monde veut une progression du pouvoir d’achat en travaillant moins. Une grande absente des derniers débats politiques ? La productivité. J’espère que les électeurs n’ont pas trop cru les promesses électorales. Les politiques sont à contre-courant de ce qu’il faudrait pour l’économie française. » Selon une étude sortie en plein cœur de l’été par la Banque de France, la productivité en France recule de 8,5% par rapport à la période avant le covid.

« Le sujet reste tabou, note Francis Coulon, auteur de Sortir de la société en crise (éditions VA Press). Tout ce qui suppose un effort, on n’en parle pas, parce que ce n’est pas avec ça que l’on gagne des votes. Les politiques manquent de courage, et les Français de patience. Les problèmes économiques se résolvent sur le temps long. » Pourtant, les perspectives sont multiples. Travailler plus doit-il se penser à la semaine ? À l’échelle d’une vie ? Lors de son entrée dans la vie active ? Selon les différentes phases de sa carrière ? « Mais comment mesure-t-on aujourd’hui la productivité dans une économie tertiaire ? », interroge Jean Pralong, professeur à l’Ecole de Management (EM) de Normandie. Simon-Pierre Sengayrac, co-directeur de l’Observatoire de l’économie à la Fondation Jean-Jaurès, s’étonne ainsi de voir comptabilisés, dans les effectifs, les apprentis. Le boom de l’apprentissage, avec quasiment un million de contrats en cours en mai 2024, viendrait plomber les chiffres de la productivité française.

« Il faut traiter le problème en totalité, souligne Éric Chevée, vice-président de la CPME en charge des affaires sociales. Travailler plus, en étant plus nombreux, plus longtemps… c’est impératif pour payer le modèle social. On pourrait gagner trois points de PIB, et 45 milliards de recettes fiscales supplémentaires. Aussi, cette petite musique, on ne l’entend pas assez, s’agace-t-il. On n’aura pas le choix sauf à voir notre niveau vie chuter drastiquement. Si les 35 heures ont été compensées par une progression de la compétitivité, vingt ans plus tard, la France a mal à son travail. » 

Quid de la semaine de quatre jours

Les adeptes de la semaine de quatre jours ? Ils passent pour des « fous » aux yeux de ces décideurs. « C’est de l’humain, pas des maths, rétorque Laurent de la Clergerie, fondateur du groupe LDLC, ambassadeur de ce modèle en quatre jours. C’est tellement contre-intuitif. Tous les partis ou presque sont venus nous voir. Ce n’est pas dans la ligne du parti, ont-ils dit, pourtant ça marche. » Dans les entreprises de services, l'idée de laisser à chacun la gestion de son temps, dans le respect du code du travail, séduit.

« On ne peut pas avoir de réponse uniforme, raisonne Laurent Moisson, fondateur des Forces françaises de l’industrie (FFI), club d’entrepreneurs. L’organisation du travail doit être flexible. » Et pour réconcilier les objectifs économiques et sociaux, Jean-Marc Sylvestre de conclure par l'idée de redonner du sens au travail : « Travailler plus, c’est innover plus pour le bien-être, pas pour accumuler encore de la consommation. »

Trois questions à Hymane Ben Aoun, managing director du cabinet-conseil Humanskills et administratrice du Syntec Conseil 

Comment appréciez-vous le climat économique et managérial ?

L’économie se tend. On le voit aussi dans le conseil. Le télétravail devient un inconvénient. Les collaborateurs prennent de plus en plus de temps pour effectuer leur travail. Le rythme est lent. J’ai peur que cela ne devienne la norme. Au point même de pousser quelques clients à mettre en place la politique du « return to office », ou RTO. Une manière de faciliter le départ de certains collaborateurs. Avec l’idée : tu es libre de t’en aller…. Comme les demandes sont moindres en ce moment, des consultants mettent autant de temps pour faire moins de travail. C’est humain. Quand les sollicitations baissent, on s’étale…

Est-ce de la responsabilité du management, alors ?

Ils ont une part de responsabilité. Un consultant doit avoir 10 missions en cours, voire même entre 13 et 14 pour être occupé. Les managers doivent suivre ces indicateurs. Les bons managers se voient d’ailleurs dans la difficulté. On a pu observer un « shift » en 2021, sur les briefs de recherche de nouveaux managers. Avant, on voulait des jeunes avec des capacités à innover, à être créatifs, on en avait oublié la recherche d’équilibre. Maintenant, les compétences de data driver comptent. Pour être juste, il faut mesurer la performance. Le rôle du manager est clé dans l’amélioration de la productivité.

Comment progresser alors ?

Il est impératif de mieux les former, de les aider à définir les key performance indicators (KPI), les objectifs, à être davantage dans le collaboratif. Enchanter l’équipe fait partie du rôle.

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