Même avec une croissance économique au ralenti, les recruteurs peinent à embaucher de nombreux profils de cadres. Résultat, une expression revient en boucle : l’innovation RH. Véritable martingale ou gadget ?
Quatre mille clients prospectés par mail, une trentaine d’entretiens décrochés, 24 réelles marques d’intérêt… Fin observateur de la santé en France depuis plus de vingt ans, Stanislas Regniault, président de Capsan, n’est pas mécontent des chiffres du lancement de son nouveau service, proposé depuis trois ou quatre petites semaines. Son nom : VitaliPass, chèque-cadeau original puisqu’orienté sur la santé. Au menu, kinésiologie, ostéopathie, sophrologie, réflexologie… Avantage : les séances peuvent être prises en charge par les entreprises et offertes aux collaborateurs, chez des praticiens référencés. Le point commun avec l’initiative du « salaire décent » face à la smicardisation présentée par Florent Menegaux, président du groupe Michelin, le 17 avril dans Le Parisien ? Dans les deux cas, il s'agit d’une innovation RH pour favoriser le climat interne, voire le bien-être au travail.
Jours supplémentaires de congé comme annoncé chez Letsignit, avec 12 jours en plus, télétravail flexible, actionnariat salarié comme chez Orange, Bouygues ou Veolia, transparence des salaires ou bien un bonus de deux jours pour pousser les collaborateurs à prendre le train pour leur départ en vacances comme chez Ubiq… Mathieu Rostamkolaei, fondateur de Mozoo, agence spécialisée dans la publicité et le brand content sur mobile, a passé en revue les pratiques nouvelles à l’occasion de la publication de son ouvrage Happy Workplace (paru en février 2024, aux éditions Vuibert). Il parle de « course à l’échalote entre les recruteurs pour attirer les meilleurs collaborateurs. Il y a dix ans, la dynamique de la structure, l’évolution du poste et le salaire suffisaient. Les mentalités évoluent. »
Fin de la RH « plan-plan »
Dans tous les secteurs, les directeurs des ressources humaines cogitent, « brainstorment ». Avec plus ou moins de succès à la clé. Directeur général de ZestMeUp, expert en « management tech made in France », David Guillocheau le constate : « Longtemps, la fonction RH avait cette image d’être un peu "plan-plan", avec une difficulté à s’imposer. Or il ne peut pas y avoir d’innovation RH sans un alignement avec la direction générale. Heureusement, les DRH sont de plus en plus force de proposition, avec un impact opérationnel. Le recrutement n’est pas le seul volet qui innove. » Tous les interlocuteurs pointent l’urgence. Il en va de la performance de l’entreprise. « Moins de 5 % des collaborateurs sont activement engagés », rappelle Philippe Pinault, fondateur de Talkspirit, qui mesure tout l’intérêt de la transparence.
On peut s’interroger toutefois sur la pérennité de ce mouvement : les perspectives de croissance revues à la baisse pourraient-elles freiner cet exercice de remue-méninges, l’étouffer ? « Ce serait un mauvais calcul d’arrêter de travailler le sujet, analyse Caroline Diard, professeur associé de TBS Education, même quand ça ne va pas, les collaborateurs doivent se sentir bien. Toutefois, le moment n’est pas forcément le bon pour plancher sur la baisse du temps de travail. Cela arrive à rebours, un peu comme les 35 heures. » Votée en 1998 lorsque la croissance était à 3,5 %, la fameuse loi Aubry était entrée en vigueur pour toutes les entreprises en 2002 dans un tout autre climat.
Mauvais moment ? Patron du LDLC, groupe français spécialisé dans le matériel high-tech et informatique, Laurent de la Clergerie a choisi le covid pour réfléchir et poser les bases de la semaine de quatre jours, avec 32 heures à la clé. Un peu plus de trois ans plus tard, le bilan est sans appel. Son audace RH a payé, estime-t-il. « Deux fois moins d’absentéisme, reprise du travail le lundi beaucoup plus rapide, recul des accidents du travail, détaille-t-il. Quand il y a une goutte de trop, cela n’explose plus. Avec deux ans sans croissance, le chiffre d’affaires est maintenu. On pourrait être à moins, mais l’entreprise est 10 % plus efficace qu’avant. C’est une des boîtes les plus rentables. Il y a un effet de reconnaissance. Et le coût initialement prévu de 5 % de la masse salariale ne s’est pas même pas produit. » Pas de recrutement supplémentaire. Une seule ombre au tableau : il faut savoir gérer un turnover en berne.
Le Code du travail, juge-arbitre
Peut-on aller plus loin ? Peut-on imaginer la semaine de trois jours et demi comme ces patrons américains de JP Morgan ou d’Amazon, optimistes sur l’IA ? Le Code du travail va être le juge-arbitre. Promoteur de la marque employeur en France, à la tête d’Henoch consulting, cabinet conseil, Didier Pitelet en pointe d’ailleurs l’épaisseur : « En 40 ans, le Code du travail a connu une augmentation hallucinante de sa pagination au point d’être un support contreproductif face aux évolutions du monde du travail et aux attendus des salariés eux-mêmes. » Analyse partagée par Diane Buisson, avocate en droit social, associée du cabinet Redlink : « Le droit du travail vient brider la créativité. On ne peut pas avoir des journées de plus de 10 heures consécutives. La semaine de quatre jours ? Plus de buzz que d’entreprises réellement concernées. »
« Toutes les innovations ne sont pas bonnes à prendre, commente Anissa Moumou, directrice des ressources humaines de Freelance.com, notamment technologiques. Trop d’outils, trop de logiciels déshumanisent les relations. On ne parlait pas d’innovation RH avant, mais d’automatisation. La question qui doit prévaloir : qu’est-ce que l’on peut proposer pour servir la stratégie de l’entreprise. » Et Mathieu Rostamkolaei de temporiser : « Ce genre de réflexion vaut pour des happy few, les plus précaires continuent de se faire charcuter sur le marché de l’emploi. »
Trois questions à Benoît Serre, vice-président délégué de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH)
Peut-on parler de course à l’échalote en matière d’innovation RH ?
Tout le monde sent bien confusément que le modèle classique dans lequel on est installé ne va pas tenir la route très longtemps. Tout le monde anticipe la démographie, le nombre en croissance des free-lances… Il y a une vraie prise de conscience. Mais, le terme de « course à l’échalote » a un caractère péjoratif.
Le contexte est donc propice à cette innovation ?
Depuis deux ou trois mois, on retrouve des réflexions sur le retour du chômage de masse. De quoi nous donner plus de temps pour innover. Une idée ne se déploie pas en 15 jours. Mais il y a un vrai sujet de changement de modèle du management. Avec le temps de travail, on a un sujet. On tâtonne. Ça va sortir. On évoque la directive contraignante de l’Union européenne. Mais les pays du Nord de l’Europe se sont très bien arrangés pour avoir des dispositifs plus souples. Le dialogue social est très inégal. Les syndicats sont un peu embêtés avec l’innovation managériale partagée. On y va prudemment. On change de monde.
Quel est le poids de la démographie ?
On en parle peu. Ne nous trompons pas : la compétence est essentielle, avec le questionnement sur l’adéquation de la formation initiale. Des entreprises ayant moins de collaborateurs potentiels se mettent à créer des centres de formation des apprentis. Et on parle de la suppression des aides visant le contrat de professionnalisation ? Ce serait une folie de faire ça. Car c’est un formidable passeport vers l’emploi.