Alors que le ministre de l’Économie souhaite baisser la durée d’indemnisation des seniors au chômage pour atteindre le plein-emploi, les plus de 55 ans souffrent d’a priori négatifs et d’une formation déficiente de la part des recruteurs. Une spécificité française.
Alors que la reforme des retraites est entrée en vigueur le 1er septembre 2023 et que le gouvernement s’est fixé un objectif de plein-emploi, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a déclaré en novembre être favorable à un abaissement de la durée d’indemnisation du chômage des plus de 55 ans pour l’aligner sur celles des autres chômeurs.
Le faible taux d’emploi des seniors est une problématique propre à la France. « En 2022, 56,9 % des personnes de 55 à 64 ans sont en emploi, contre 82,5 % des 25 à 49 ans. […] En 2022, le taux d’emploi des seniors reste inférieur en France à celui de la moyenne de l’Union européenne, qui est de 62,4 % », indique la Dares, du ministère du Travail, dans une note de septembre 2023. Il se place au 17e rang des pays européens, derrière la Suède (77,3 %), l’Allemagne (73,3 %) le Portugal (65,9 %) ou l’Espagne (57,7 %). La Dares précise toutefois que « ce taux continue d’augmenter pour atteindre son plus haut niveau depuis 1975 ».
Des stéréotypes profondément installés
Dans l’Hexagone, les seniors souffrent d’a priori négatifs de la part des recruteurs, estiment la plupart des acteurs. « Près de neuf cadres seniors sur dix estiment que leur âge les désavantage dans leur recherche d’emploi », indique l’étude « Les cadres seniors de 55 et plus demandeurs d’emploi » (Pôle emploi-Apec, janvier 2022). « L’âge renvoie notamment à un certain nombre de représentations négatives chez les recruteurs, qui présupposent souvent que les cadres seniors auront des prétentions salariales plus élevées, une moindre adaptabilité, et un horizon temporel limité par la proximité de la retraite », résume cette étude.
« Ces stéréotypes et ces préjugés sont anciens et profondément installés », regrette Anne-Marie Deblonde, directrice practice distribution & medias au sein du cabinet de RH Grant Alexander. « Les seniors sont considérés comme des salariés ayant du mal à s’adapter, moins malléables, moins dynamiques mais aussi réfractaires aux nouvelles technologies ou qui ont moins envie d’apprendre ». Un constat qui est encore plus vrai pour les femmes, dont l’image sociale est déjà fortement dégradée à partir de 45 ans, souligne-t-elle.
En octobre 2023, Grant Alexander a publié les résultats d’une étude menée par OpinionWay : « Le difficile maintien des seniors dans l’emploi : entre biais des RH et manque d’accompagnement ». Selon cette étude(1), 89 % des répondants reconnaissent que les seniors sont écartés lors des recrutements. Une décision prise en général par la direction générale sans considération de leurs compétences ou de leur expérience : « près d’un recruteur sur deux (45 %) reconnaît que sa direction lui a déjà donné comme consigne de privilégier des profils plutôt jeunes ». Une tendance encore plus forte chez les DRH : 74 % d’entre eux ont déjà eu la consigne de privilégier des profils jeunes et 68 % ont déjà écarté d’emblée les candidatures de profils seniors, constate l’étude.
Mais, heureusement, certaines entreprises dépassent ces a priori. La Macif, qui a lancé en octobre dernier une campagne de communication pour promouvoir la solidarité intergénérationnelle et l’inclusion numérique des seniors, enregistre 43 % de plus de 45 ans et 20 % de plus de 55 ans dans ses effectifs, se félicite son DRH, Nicolas Llorens. « En sortie de covid, nous avons décidé d’accompagner les populations les plus impactées, notamment les plus jeunes en créant par exemple un CFA », explique-t-il. Un centre de formation qui est ouvert à tous et dont profitent certains salariés de plus de 55 ans en reconversion.
« Produit périssable »
Les travers liés à l’emploi des seniors sont particulièrement marqués dans le secteur de la communication où règne une « forte culture de jeunisme », constate Anne-Marie Deblonde. Dans cet univers marqué par d’importantes évolutions technologiques, le salarié est un « produit périssable » pour l’entreprise, alerte-t-elle. Les collaborateurs doivent donc veiller, encore plus qu’ailleurs, à ne pas être touchés par l’« obsolescence programmée ». Ses conseils : élargir son périmètre d’action, se donner les moyens de se former tout au long de sa carrière sans attendre la fin de celle-ci, cultiver l’expertise qui sera rare… Or la formation des cadres seniors est déficiente en France, comme le souligne Nathalie Hanet, présidente de l’association Solidarités nouvelles face au chômage [lire Trois questions à...] : leur taux d’accès à la formation professionnelle chute brutalement (-14 points) après 55 ans à 35 %.
Autre point de vigilance, la définition même du terme senior. Si pour les organismes officiels, il s’agit de la tranche 55-64 ans, en réalité dans l’entreprise, le salarié est considéré comme senior à partir de 45 ans… « Il y a une forme de confusion entre séniorité au travail et seniors », regrette Guillaume Dupont, associé du cabinet Louis Dupont Transition. « Si, à partir de 50 ans, il devient difficile de retrouver un CDI, c’est le bon moment pour les cadres d’intervenir sur le management de transition », explique celui qui est associé dans un cabinet spécialisé sur ce créneau. Or un cadre senior sera plus apte à prendre en main rapidement une équipe, à intégrer des process ou à anticiper des situations complexes, plaide-t-il.
(1) 1589 managers « recruteurs » et 60 DRH ont été interrogés par téléphone en septembre 2023.
Trois questions à Nathalie Hanet, présidente de l’association Solidarités nouvelles contre le chômage
Les réformes récentes impactent-elles l’emploi des seniors ?
La réglementation a décalé de 62 à 64 ans la date du départ à la retraite, sans rien faire de concret pour les salariés des tranches d’âge concernées. En parallèle, les conditions d’accès au chômage et à l’indemnisation ont été durcies. Cela accroît non seulement le risque de chômage des seniors, mais aussi le risque de leur paupérisation. Aligner la durée d’indemnisation des seniors sur celle du reste de la population, c’est méconnaître les difficultés objectives des plus de 55 ans à retrouver un travail.
Le ministre de l’Économie propose d’abaisser la durée d’indemnisation des chômeurs de plus de 55 ans (27 mois). Qu’en pensez-vous ?
Nous sommes particulièrement réservés sur l’idée selon laquelle réduire l’indemnisation des chercheurs d’emploi va les inciter à retourner plus rapidement au travail. Il faut accompagner les personnes avant de les sanctionner. Cet a priori négatif est alimenté par une lecture erronée de la situation dans les secteurs en tension ; l’essentiel des besoins concerne une main-d’œuvre qualifiée que l’on ne forme pas en quelques semaines.
Que faut-il faire pour améliorer le taux d’emploi des seniors ?
Notre rapport 2023 formule six mesures pour sortir de la privation durable d’emploi stable. L’une d’elles est l’adoption de mesures en faveur des seniors. Tout d’abord, pour inciter à l’embauche de chômeurs de longue durée seniors, nous préconisons la création d’un contrat de travail spécifique, assorti d’une aide financière dégressive. Il est ensuite indispensable d’abonder le CPF pour les formations de reconversion à des métiers aux débouchés bien identifiés. Enfin, pour les seniors qui perdent leur emploi avant l’âge de la retraite, il faut maintenir les droits à une complémentaire santé jusqu’à la retraite, la charge en incombant à l’entreprise.