Du 14 au 17 décembre à Station F, le Comité Colbert organise Les De(ux)mains du Luxe, un événement pour valoriser les métiers techniques. La filière qui peine encore à recruter des jeunes veut mieux faire connaître ses perspectives de carrière.
Après une première édition en 2022 qui a attiré 4300 curieux en trois jours, l’opération Les De(ux)mains du Luxe recommence cette année avec une journée et dix entreprises supplémentaires. Du 14 au 17 décembre à Station F, dans le 13e arrondissement de Paris, 30 prestigieuses maisons, d’Hermès à LVMH, du 19M, les ateliers d’art de Chanel, au Ritz, présenteront leurs savoir-faire à un public de scolaires et de familles. Les visiteurs (inscription obligatoire sur Lesdemainsduluxe.com) pourront s’initier à la broderie, à la plumasserie, à la dorure, à la joaillerie, au dressage d’une table de restaurant… L’objectif est de faire découvrir dès le collège ces métiers manuels méconnus et de pallier les pénuries de recrutements.
« On estime les besoins à 20 000 emplois mais il est très difficile d’avoir une vision d’ensemble sur un marché qui regroupe des grandes entreprises, leurs fournisseurs et des artisans indépendants, décrypte Bénédicte Epinay, déléguée générale du Comité Colbert, association regroupant une centaine de maisons, à l’origine du salon. Non seulement ces métiers sont peu visibles, mais la voie professionnelle est dévalorisée. Lorsqu’un enfant veut devenir joaillier, c’est souvent vécu comme un échec par sa famille. Alors qu’il vaut mieux s’orienter en CAP qu’être malheureux en filière générale. »
Pour Frédérique Gérardin, déléguée générale du Comité stratégique de filière mode et luxe, qui participe à l’événement, « la filière représente 600 000 emplois directs et un million d’emplois indirects, 80 métiers et 250 formations, dans des savoir-faire traditionnels ou nouveaux liés au numérique ou au développement durable. Il y a des besoins en modélistes et coupeurs dans la mode, en polisseurs et en conception 3D dans la bijouterie, en conducteurs d’équipements industriels… Rien que dans l’habillement, on estime qu’un quart des effectifs partiront en retraite dans les dix prochaines années. »
À la mauvaise image des métiers techniques s’ajoute le rapport au travail des nouvelles générations, qui sont moins enclines à s’engager dans un métier pour la vie. « Les temps de formation sont longs avec peu d’évolution les premières années, souligne Frédérique Gérardin. J’ai l’exemple d’un apprenti qui a refusé un CDI chez un grand fabricant de chaussures car il avait la perspective de devenir gérant chez McDonald’s. Il faut travailler sur la lisibilité des parcours et les possibilités de mobilité interne. » Et aussi sur les salaires, même si la filière jure avoir fait des efforts.
Malgré le pouvoir d’attraction des marques de luxe, les métiers de l’ombre ne font pas rêver. Styliste ou designer de bijoux, oui, couturier ou sertisseur, beaucoup moins. « Autant les maisons n’ont pas de mal à recruter des adultes en reconversion qui ont envie de pratiquer un métier manuel, autant la nouvelle génération zappeuse a du mal à se projeter sur des métiers qui demandent jusqu’à dix ans pour devenir expert, confirme Bénédicte Epinay. Les jeunes sont abreuvés de produits de luxe sur les réseaux sociaux, mais ils ne savent pas ce qu’est un maroquinier. »
Raconter sa vocation
Pour changer son image, la filière investit la plateforme préférée des adolescents : TikTok. Le Comité Colbert y a ouvert un compte qui totalise plus de 20 000 abonnés et organise un concours ouvert aux jeunes artisans et apprentis. Ils sont invités à tourner une vidéo d’une minute pour raconter leur vocation, à l’instar de Maëlle, plisseuse chez Maison Lognon, résidente du 19M, ou Adrien, joaillier chez Cartier. Le ou la gagnant(e) recevra une dotation de 5 000 euros. TikTok est d’ailleurs partenaire des quatre jours à Station F.
De son côté, le Comité stratégique de filière mode et luxe y présentera sa campagne « Savoir pour faire » (savoirpourfaire.fr), qu’il mène depuis quatre ans pour informer sur les métiers et les formations. Ces dernières années, les marques de luxe ont également créé des événements pour faire connaître leurs coulisses et susciter des vocations : Show Me de LVMH, De mains en mains par Van Cleef & Arpels, Manufacto d’Hermès… Les entreprises n’hésitent pas à rappeler des retraités pour développer le mentorat, et à ouvrir leurs propres écoles de formation, comme la Maison des Métiers d’Excellence de LVMH attendue pour fin 2025 dans le 8e arrondissement de Paris.
Trois questions à Xavier Long, directeur délégué de l’Inma (Institut national des métiers d’art)
Quelles sont les voies de formation aux métiers d’art ?
On distingue trois grands profils : la formation professionnelle après la 3e, hélas souvent choisie par défaut mais qui permet d’acquérir une vraie expérience dès 20 ans ; la réorientation en CAP ou en diplôme des métiers d’art après un bac général ; et enfin la reconversion professionnelle.
Quelle est la part de l’apprentissage ?
On a du mal à obtenir des chiffres de l’Éducation nationale qui représente le gros des troupes aux côtés des chambres de métiers-CFA et du compagnonnage. Mais une étude menée en Nouvelle-Aquitaine a montré que seulement 15 % des entreprises de métiers d’art accueillaient des apprentis. En effet, ce sont souvent de toutes petites structures avec peu de moyens mais cela nuit à la transmission des savoirs. Une large part des entreprises du patrimoine sont composées de personnes de plus de 55 ans qui détiennent un savoir-faire clé, avec un risque de rupture de transmission.
Quelles mesures prenez-vous pour enrayer ce phénomène ?
Le ministère de la Culture, qui fait partie de notre conseil d’administration, a créé le dispositif Maîtres d’art-Élèves qui distingue tous les trois ans un professionnel ayant transmis son savoir. Un des critères du label Entreprise du Patrimoine Vivant que nous pilotons porte aussi sur la formation et la transmission. Dans le manque d’attrait des métiers d’art, les torts sont partagés : les jeunes ont certes un rapport particulier au travail mais beaucoup de chefs d’entreprise doivent aussi se remettre en question, au niveau des salaires et du partage de la gouvernance.