La fin de l’été a un goût amer pour des candidats à l’alternance qui se retrouvent privés d'entreprise, avec un contrat d’apprentissage annulé à la dernière minute. La massification de la formule ne va pas sans son lot de couacs.

« Alternance annulée ». Sur LinkedIn, Clara Soulon a lancé sa bouteille à la mer, le 7 août dernier, accompagnée d'une émoticône « warning ». Juste avant la rentrée, cette étudiante inscrite en master 2 marketing digital et réseaux sociaux à Sup de Pub s'est retrouvée le bec dans l'eau. Et pourtant, elle avait passé toutes les étapes en bonne et due forme au printemps : réponse à une annonce, entretien, exercice in situ, et même signature de la promesse d’embauche pour son année d’apprentissage. Mais reculade in extremis de l’entreprise : « Cela ne va pas être possible, pour des raisons financières. L’été n’a pas connu les résultats escomptés. » Juliette Bauw commence, elle, son post par « stress et inquiétude ». Son domaine de prédilection ? La gestion de patrimoine. Même annulation inattendue. Et puis, il y a aussi les messages de Célian, Kaawtar, Zoé, Angèle, Imane, Alexis, Thanusiya…

Fixé par Emmanuel Macron au tout début de son premier mandat, l’objectif d’1 million d’apprentis en France est en passe d’être atteint :  980 000 contrats en cours, au 31 décembre 2022, dixit la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), soit des effectifs en hausse de 14 % en un an. Mais est-ce l’arbre qui cache une forêt… de dysfonctionnements ? « Au vu des messages diffusés sur les réseaux sociaux ces dernières semaines, je vois l’angoisse de nos jeunes monter à l’approche de leur formation, constate Yann Gabay, fondateur d’Oreegami, académie gratuite du marketing digital. Et si le taux de rupture d’un contrat en cours est connu, à savoir 28 % sur le plan national, on n’a aucune idée de ceux qui sont annulés au dernier moment. Mais nos partenariats solides avec Dentsu ou Publicis nous protègent de cette spirale. »

Dans le viseur, bien souvent, des jeunes délaissés comme des responsables de formation : les petites structures. « Avec l’explosion de l’apprentissage, mécaniquement, il y a plus d’entreprises qui découvrent sa pratique, sa complexité, commente Laurent Champaney, président de la Conférence des grandes écoles (CGE), et directeur général des Arts et Métiers. Un apprenti n’est pas un salarié lambda. La politique publique fait qu’il y a un attrait pour ces modalités, avec les aides mises en place, mais, pour l’entreprise, cet engagement est lourd. »

La charge à venir peut faire peur aux dirigeants des petites boîtes. Or d’après la Dares, 45 % des contrats débutés en 2022 sont signés dans des entreprises de moins de 10 salariés, contre 48 % en 2021. « On est un pays de petites et moyennes entreprises, aime à rappeler Eric Gras, senior management talent strategy chez Indeed, méta-moteur de recherche d’emplois. Et accueillir un apprenti demande plus d’engagement qu’un contrat à durée indéterminée (CDI).  Une équation pas facile à résoudre dans un contexte de flottement. Or la visibilité est essentielle. »

Aussi, la flambée de l’apprentissage ne satisfait-elle pas pleinement Aurélien Cadou, président de l’Association nationale des apprentis de France (Anaf). « Aucune politique d’accompagnement n’a été développée, déplore-t-il, en cette rentrée. D’ailleurs, les chiffres de rupture de contrat n’ont pas été actualisés depuis 2019. Alors, certes, on perçoit l’avancée quantitative, mais pas on ne voit pas d’avancée qualitative. »

Un dispositif coûteux

Six mille euros pour un alternant : le montant du soutien aux entreprises pour « booster » l’apprentissage est alléchant. En vigueur depuis le 1er janvier, ce dispositif devrait être pérenne jusqu’à la fin du quinquennat, en 2027. « Aussi, beaucoup d’entreprises se disent : pourquoi pas moi, commente Mathieu Guyot, dirigeant de MGA conseils et formations à Amiens. Elles pensent – à tort - que cette somme est en mesure de couvrir tous les frais, mais elle ne court que la première année de contrats qui en comptent souvent deux. C’est la mauvaise surprise découverte à l’envoi du contrat par le comptable. Un vrai travail de pédagogie est nécessaire. Dire que l’apprentissage ne coûte rien renforce les effets indésirables des annulations. » Cette aide doit être revotée, chaque année, dans la loi de Finances. Et le coup de rabot de 15 % de la prise en charge par France Compétences, l’organisme responsable de la gestion et de la ventilation des ressources de la formation et de l’alternance, des coûts totaux, pousse certaines écoles à demander un reste à charge aux entreprises partenaires. Et là, ça bloque.

Recours juridiques

« Avec la multiplication des annulations, les entreprises embrouillent les jeunes, note Françoise Farouz, responsable recrutement et relations entreprises chez Schola Nova, école sociale et solidaire. L’image de l’entreprise ainsi donnée n’est pas bonne. »  L’arsenal juridique peut venir en soutien du « quasi alternant » laissé pour compte. La parade ? Signer une promesse d’apprentissage avec la date de début du contrat, le salaire et le poste. Ou un mail récapitulatif. « À ces conditions, une promesse vaut contrat, note Diane Buisson, associée chez Redlink Avocats. Et le candidat lésé peut demander le paiement du salaire prévu pendant tout le contrat. » Mais le jeu en vaut-il la chandelle ? Une procédure au Conseil des prud’hommes peut nécessiter douze à dix-huit mois d'attente, trois ans à Nanterre. De quoi dissuader bon nombre de jeunes.

Trois questions à Sonia Capelli, professeure des universités à l’IAE Lyon, à la tête du M2 marketing connecté et communication digitale en alternance.

Des entreprises qui font faux bond à la dernière minute, ça laisse des traces ?

L’an dernier dans ma formation, une entreprise a annoncé une semaine avant le début du contrat qu’elle ne prendrait finalement pas l’étudiant. Une première dans ma formation ! Et l’entreprise était loin d’être une PME, c’était un mastodonte du secteur audiovisuel ! La raison : une restructuration. Le jeune n’osait même pas en parler à ses parents. Oui, c'est de nature à laisser des traces dans leur perception du monde du travail. L'inverse est vrai aussi. 

Les jeunes sont-ils eux aussi défaillants ?

On assiste à un effondrement du respect mutuel.Tous les acteurs ont perdu les codes. Habitués à la mécanique de Parcoursup, les jeunes renoncent aux entreprises s’ils trouvent mieux. Cela leur semble normal. Or l’alternance constitue un ilot au fonctionnement différent. C’est un peu David contre Goliath, avec une prise de parole sur LinkedIn quand le « gros » tape sur le petit. Quand c’est l’inverse, ce n’est pas grave ! Toutefois, notre rôle est d’accompagner nos étudiants dans leur projet.

Y a-t-il d’autres problèmes liés au développement de l’alternance ?

L’enseignement privé est l’activité la plus rentable, avec le luxe. Et ce système, avec les 6 000 euros d’aide, vient soutenir le modèle des business schools, quand l’État vient limiter la masse salariale (prestataires inclus) de l’université et donc le nombre de places en apprentissage. Les business schools, elles, grossissent. Elles ont plus de souplesse.