La loi de programmation militaire prévoit de doubler les effectifs de la réserve opérationnelle de l’armée. Le nombre de salariés concernés et les impacts sur les RH vont donc se multiplier. L’idée est d’offrir un cadre sécurisé à ces collaborateurs-réservistes.
La loi de programmation militaire 2024-2030, votée le 7 juin à l’Assemblée, prévoit de doubler les effectifs de la réserve opérationnelle, bref à former davantage de militaires à temps partiel (à ne pas confondre avec la réserve citoyenne). De 77 000 aujourd’hui, le nombre de réservistes devrait atteindre 165 000 à l’horizon 2030. Si l’enjeu concerne surtout les ministères des Armées et de l’Intérieur, il devra aussi mieux être pris en compte par les DRH qui vont, mécaniquement, voir se multiplier les demandes d’absences pour les périodes de réserve.
Certains réservistes sont connus. C’est le cas de Pierre Servent, journaliste et colonel de réserve d’état-major, ou François Sureau, écrivain, avocat et colonel de la réserve de Légion étrangère. Mais pour les actifs, comment gère-t-on sa vie professionnelle quand on a signé un Contrat d’engagement à servir dans la réserve (CESR) ? Les motivations sont souvent patriotiques. « Je fais partie de la génération qui n’a pas connu le service militaire, mais je voulais rendre à mon pays une partie de ce qu’il m’a donné, le fait de pouvoir grandir en sécurité », explique Benoît (1), chargé de la sécurisation de la supply chain chez Decathlon, dans la réserve opérationnelle depuis 2018. « Par ailleurs, j’ai des compétences assez rares dans le domaine de la cybersécurité, je voulais donc en faire profiter à la collectivité », complète-t-il.
Engagement sociétal
Pour Muriel Réus, ex-directrice générale de TPS, ex-CEO d’Euro RSCG Partners ou de Publicis Events, « c’est d’abord un engagement sociétal ». Cette colonelle de réserve dans la gendarmerie est aussi conseillère de la référente nationale de la gendarmerie pour les violences intrafamiliales et violences sexuelles. « Dans un monde où les défis sociaux vont grandissant, après de nombreuses années d’engagement associatif c’était une évidence pour moi de m’engager au service de la nation », poursuit-elle.
Le choix de l’engagement impose des contraintes, ne serait-ce que de servir l’armée - ou la police depuis peu - pour une durée allant de 5 à 30 jours par an (mais pouvant aller jusqu’à 210 jours en cas de « nécessité opérationnelle »). Il vaut donc mieux informer de son statut de réserviste. « Il est important d’être honnête avec son employeur. Il faut dire les choses, surtout ne pas être un réserviste clandestin », estime Philippe Ribatto, consultant en stratégie, lieutenant-colonel de réserve et président de l’Union nationale des officiers de réserve (Unor).
Salaire maintenu
« Toutefois, lors d’un processus de recrutement, il est logique d’amener les choses au fur et à mesure, de pouvoir bien les expliquer », admet-il. Chez Decathlon, Benoît a misé sur la transparence. Il assure la fonction de référent réserve opérationnelle et a signé en février un contrat de partenariat avec la Garde nationale. « Notre employeur reconnaît ainsi notre engagement dans la réserve et les contraintes associées », se réjouit-il. Et l’enseigne sportive octroie ainsi 17 jours de « mission d’intérêt général » (au lieu des huit prévus, lire encadré) pendant lesquels le salaire est intégralement maintenu. « Sur le plan financier, le maintien de la rémunération est considéré comme du mécénat, ouvrant droit à des déductions d’impôt, rappelle le général Louis-Mathieu Gaspari, secrétaire général de la Garde nationale (lire ci-dessous). De plus, soutenir la réserve est considéré comme un critère de RSE, notamment pour les entreprises soumises à une Déclaration de performance extra-financière. »
L’engagement en tant que réserviste peut-il poser problème au quotidien ? « À titre personnel, je n’ai jamais eu aucun problème lorsque j’étais salarié. J’ai toujours expliqué que je ne désertais pas l’entreprise, que je pouvais consulter mes mails, notamment ceux notés "urgent" », raconte Philippe Ribatto. « Bien entendu, je faisais attention à ne pas multiplier les périodes d’absence quand je savais que la charge de travail allait augmenter. »
Quel bénéfice les entreprises peuvent-elles trouver à avoir des collaborateurs qui sont aussi réservistes ? « Le partenariat entre Decathlon et la Garde nationale s’appuie sur des valeurs partagées : l’engagement, le partage, le sens de l’effort, y compris physique », revendique Benoît. « Ceux qui servent dans la réserve développent de nombreux savoir-être utiles pour l’entreprise : l’engagement, un certain charisme, une méthode de travail, de la rigueur, vante Philippe Ribatto. De plus, les réservistes ont souvent un deuxième métier au sein de l’armée, les entreprises doivent en profiter. »
- Réserve militaire : ce que dit la loi
Depuis 2016 et la création de la Garde nationale, le Code du travail a intégré des dispositions visant à faciliter la participation à la réserve. Tous les réservistes bénéficient d’une autorisation d’absence de leur entreprise d’une durée de huit jours par année civile (qui peut être réduite par l’employeur à cinq jours pour les entreprises de moins de 250 salariés). Il s’agit d’un congé spécifique, non rémunéré par l’entreprise ; le contrat de travail est suspendu pendant cette période. Le réserviste doit en informer son employeur par écrit au moins un mois avant la période prévue. Un refus doit être motivé auprès de l’autorité militaire. Le salarié doit retrouver son emploi après une période en tant que réserviste.
Trois questions au Général Louis-Mathieu Gaspari, secrétaire général de la Garde nationale
Comment les entreprises peuvent-elles participer à la réserve ?
La Garde nationale établit des partenariats facilitant la participation des Français à la réserve opérationnelle avec les entreprises mais aussi avec les collectivités territoriales et les établissements d’enseignement supérieur. La convention de partenariat sécurise la situation juridique du salarié. Elle permet notamment d’augmenter le nombre de jours de réserve que le salarié peut effectuer sans utiliser ses congés. Les entreprises peuvent aussi maintenir tout ou partie du salaire en plus de la solde.
Quels sont les bénéfices pour les entreprises ?
Le partenariat est un dispositif gagnant-gagnant. Le citoyen réserviste développe des savoir-être chers aux armées - rigueur, ponctualité, esprit d’équipe, gestion du stress… - que les employeurs sont heureux de pouvoir utiliser. Alors que les plus jeunes sont en quête de sens, les entreprises qui ont signé une convention avec nous disent que c’est un véritable facteur d’attractivité.
Quels sont vos moyens de communication ?
Notre priorité est de toucher les jeunes. Notre stratégie de communication se déploie donc essentiellement en digital sur les réseaux sociaux. Nous organisons aussi de grands événements comme Les Journées nationales des réservistes et participons à des salons d’emploi comme « Your Future ». Et, cette année, la réserve sera particulièrement visible lors du défilé du 14 juillet avec deux « carrés » de réservistes, dont un exclusivement composé d’agents de la SNCF.