D’études en études, l’absentéisme paraît plus criant. Tous les secteurs sont touchés par ce mal qui frappe bien d’autres pays que la France. Mais le milieu de la communication paraît relativement épargné.
Un baromètre réalisé par l’Ifop pour le compte du groupe Diot-Siaci, leader du conseil et du courtage en assurance de biens et de personnes pour les entreprises, est éloquent. De 4,94% en 2021, le taux d’absentéisme est passé à 5,64% en 2022 au plan national. Le pourcentage de salariés absents au moins une fois dans l’année atteint un niveau historique, avec 45%… et progresse particulièrement chez les jeunes de moins de 35 ans. « Une tendance de fond qui doit nous alerter, synthétise Sabeiha Bouchakour, directrice prévention et qualité de vie au travail chez Diot-Siaci, même si l’absentéisme est moins élevé dans les bassins d’emploi dynamiques. »
Dans ce contexte, la communication et l’information font figure de bons élèves, avec un taux en 2022 de 2,72%, quand la santé affiche 8,68% ou le commerce 7,11%. Patron de DPS, Frédéric Clipet met peu de temps à retrouver le taux d’absentéisme de son agence: 1,21% en 2020, 0,92% en 2021 et 0,60% en 2022… « Quand vous êtes référencés chez de gros annonceurs, vous avez à fournir ces éléments, reprend le patron d'agence. Le secteur s’est pris en main. On essaie de mieux gérer le stress, la pire situation revenant aux chefs de projet, souvent les moins bien payés mais les plus exposés, parce qu’en bout de chaîne. »
La communication serait-elle épargnée par le fléau ? « Pas d’absentéisme chez nous, que des équipes au top. » La réponse de Murielle Piniac, cofondatrice de Ma boîte de com, a tout du cri du cœur. En décalage ? Par manque de clairvoyance ? « On n'observe pas une remontée des chiffres de la filière qui viendrait souligner une poussée de l’absentéisme, confirme Frédéric Cronenberger, président de l’agence Novembre, par ailleurs à la tête de l’Union des conseils en communication (UCC) Grand-Est. Avec 80% des agences qui comptent moins de 20 salariés, il y a une importance à être présent plutôt qu’absent. La relation évite l’absentéisme. »
Une nouvelle relation au bureau
Le covid et le télétravail sont toutefois passés par là et entraine, comme dans de nombreuses entreprises de services, une nouvelle relation au bureau. À la tête de l’agence rémoise Horizon bleu, et vice-président de l’UCC Grand-Est pour la Champagne-Ardenne, Didier Janot pointe du doigt « la progression des absences liées à des commodités personnelles (plombier, livraisons…). Pour lui, « il y a une acceptation générale, l’activité s’organise autour de la vie personnelle. Par ailleurs, les arrêts délivrés suite à une consultation médicale à distance me laissent dubitatif. Et joindre nos clients de manière impromptue devient aussi plus difficile. Cela nous demande de planifier davantage. Cet absentéisme est un fait sociétal, mais il y a une forme de déni. » Dans différents clubs d’affaires, le découragement guette. « Certains directeurs d’agences, note encore Didier Janot, sont vraiment au bord de la crise de nerfs. Sur le mode "dès que je peux vendre, je le fais. J’arrête". »
Pour autant, l’absentéisme n’est pas un phénomène nouveau. Denis Monneuse s’est intéressé au sujet en 2006. Il lui a consacré un livre, L’absentéisme au travail (éditions Eyrolles), qui s'est vendu à près de 4 000 exemplaires. « Les dirigeants d’entreprise veulent des solutions toutes faites, commente l’auteur, mais il faut tout analyser. Personne ne demanderait un traitement sans diagnostic. Tirer le fil expose à se rendre compte des défauts. C’est une porte d’entrée pour comprendre les dysfonctionnements en matière de ressources humaines. Aussi, préfère-t-on fermer les yeux ! » La France n’est pas le seul pays touché. Avant à Berlin, Londres, aujourd’hui à Amsterdam pour 72andSunny, Simon Usifo le constate partout. Ou presque. « On retrouve le phénomène dans chaque pays où les salariés se sentent protégés, et même à postes de leadership rank, peu concernés avant… »
« L'arrêt de travail est sanctifié »
Faut-il lier l'absentéisme au stress ou au burn-out, reparti en flèche ? « Les petits arrêts sont moins fréquents, constate Anne-Florence Quintin, secrétaire générale adjointe de la CFDT. On les endosse hors les murs de l’entreprise, dans la maisonnée. Mais l’accumulation de la charge pousse à la multiplication des arrêts longs. » La réaction à adopter face à ces absences à répétition – la durée moyenne est de 18,4 jours par an – n'est pas toujours simple. L’intérim ? « Le sujet est de plus en plus souvent évoqué par nos clients, souligne Jérôme Bard, directeur de la transformation digitale pour le groupe d’intérim Sovitrat, quand avant l’intérim répondait à un pic d’activité avec une saisonnalité forte. »
Les contre-visites médicales sont aussi une réponse souvent méconnue, et qui paraît toujours un peu délicate à manier. « L’arrêt de travail est sanctifié en France, constate Pascal Forzinetti, avocat en droit du travail. Justifié ou pas, on ne pourrait rien faire. » « Il y a la peur de froisser les syndicats, d'abimer le climat social ou que cela passe pour du flicage, complète Denis Monneuse. Il y a toujours des excuses pour ne pas avoir recours aux contre-visites médicales… »
Outre l’action des acteurs privés que sont Mediverif ou Securex, 770 000 contrôles ont été réalisés en 2022 par la Caisse nationale d’assurance maladie. Les sommes en jeu ? 15 milliards d’indemnités journalières en 2022. Et c’est sans compter la « double peine pour les entreprises, souligne Noémie Marciano, directrice actuariat health et benefits chez WTW. Avec un surcoût en matière de contrats de prévoyance. Coûts de l’engagement, du remplacement, du maintien du climat social… l’absentéisme devient de plus en plus un sujet de toute l’entreprise, et pas uniquement des RH. »
Trois questions à Franck Charpentier, directeur de Mediverif, société spécialisée dans la contre-visite médicale
La progression de l’absentéisme a-t-elle poussé les entreprises à vous demander d’effectuer davantage de contre-visites médicales ?
On ne peut pas parler d’explosion de la demande. Notre activité progresse régulièrement de 15% par an. Notre métier est méconnu. Face à l’absentéisme, la contre-visite constitue l’un des outils à la disposition des entreprises, un outil coercitif. La relation au travail change. On voit quand même des arrêts pour cause d’inaptitude au travail en entreprise, mais pas en télétravail.
Quels sont les secteurs qui ont recours à vos services ?
Maison de retraite, mairie, entreprise de logistique, dans la construction, l’énergie, un groupe pharmaceutique, mais aussi une boulangerie… tels sont mes clients actuels. Les dommages de l’absentéisme sont plus perceptibles sur les petites entreprises, mais les artisans ne nous connaissent pas. Aussi, assure-t-on une information auprès des organisations patronales qui relaient. Des clients suisses sont effarés de voir un absentéisme de leurs collaborateurs français trois fois plus élevé que celui des salariés helvétiques. Aurions-nous une souche plus sensible ?
L’absentéisme est plus développé en France ?
« Je vais me mettre en arrêt de travail » : il n’y a qu’ici que l’on entend ça ! Aux yeux de certains, c’est devenu un vrai droit. Avec notre réseau de 3 000 médecins, notre société a, en 2022, réalisé 17 000 contre-visites médicales. Ce n’est pas simple. Les Conseils de l’ordre ne les encouragent pas à le faire. C’est « un peu chaud ».