La révolution ChatGPT est considérée comme une menace pour les emplois du marketing, des médias et de la communication par plus d’un professionnel sur deux, selon l’Ifop. Faut-il vraiment s’inquiéter ?
Commençons par une précision : aucune IA n’a été utilisée pour écrire cet article, au risque d’apparaître en contradiction avec le parti pris qui le sous tend, à savoir que l’utilisation de cette technologie est nécessaire pour défendre et adapter nos emplois à l’ère « générative ». Mais comme il s’agit de savoir si l’on peut faire confiance à l’IA pour sauver nos jobs, ou si elle va au contraire les détruire, difficile d’être juge et partie : c’est valable pour la machine comme pour les humains.
Toutefois, une chose est sûre : la révolution ChatGPT, Bard, Dall-e ou Midjourney inquiète le monde de la communication et des médias. Témoin, ce sondage Ifop que nous dévoilons en exclusivité (1), montre que les professionnels des médias, des agences et chez l’annonceur sont une majorité (53 %) à penser que l’IA générative est une menace pour leurs emplois. Est-ce justifié ? Faut-il suivre Goldman Sachs lorsqu’elle nous annonce que les deux tiers des emplois actuels aux États-Unis et en Europe, soit 300 millions de postes, seront affectés par l’autonomisation et qu’un quart pourrait disparaître ? Ou, par effet de loupe, ne faut-il pas se rassurer avec la même banque en songeant que l’IA pourrait créer 7 points de PIB mondial et en détaillant que les emplois liés aux arts, au design, au divertissement, aux sports et aux médias ne seront impactés qu’à hauteur de 3 % ?
Selon Goldman Sachs, si les cols blancs sont bien les plus exposés, ce sont les fonctions supports – dont les RH – les cadres et les professions qualifiées qui sont les plus concernés. Microsoft a déjà intégré ChatGPT à Teams et l’on imagine sans peine qu’un compte-rendu de réunion sera demain impensable sans le concours de l’IA générative. Anuragini Shirish, professeure associée en systèmes d’information à Mines-Télécom Business School, rappelle qu’une techno-insécurité engendre toujours un « stress » et que chacun est renvoyé à son niveau de ressources pour le supporter. « Certaines tâches peuvent être déléguées au robot, souligne-t-elle, mais si on considère celui-ci comme un partenaire, on va trouver le moyen de s’adapter. On va aller chercher d’autres compétences pour accompagner cette technologie qui sera elle-même dans un processus d’apprentissage avec les humains. L’IA ne va pas remplacer nos emplois mais elle va les impacter. »
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La chercheuse cite le cas des rédacteurs de contenus qui seront moins dans la création que dans l’édition pour vérifier les sources, chasser les imprécisions, éviter les biais de déformation, traquer les fausses informations… Une petite entreprise y verra le moyen de renforcer sa capacité de production. Mais si elle a une image de marque à défendre, elle ne pourra pas prendre le risque juridique et réputationnel de s’en remettre entièrement à l’IA. Peuvent survenir à tout moment des problématiques de plagiat, de respect du droit d’auteur ou de détournement d’informations personnelles (la Cnil a été saisie de deux plaintes en ce sens contre ChatGPT). D’autant que, comme le souligne Pierre-Emmanuel Dumouchel, CEO et cofondateur de la start-up Dessia, « les algorithmes sont toutes en open source mais la data et les modèles générés sont privés ».
De plus, l’IA se révèle très gourmande en données pour entraîner ses algorithmes, ce qui va mobiliser beaucoup de ressources en énergie et s’avérer coûteux pour l’environnement. Et que dire, sur le plan RSE, des petites mains à deux dollars de l’heure utilisées au Kenya par OpenAI pour exclure de ses modèles les contenus choquants ? « ChatGPT donne un moyen de renforcer notre puissance de création, martèle Anuragini Shirish, elle peut nous aider tel un partenaire dans notre travail mais elle ne va pas remplacer l’humain. »
Et s’il fallait éloigner l’IA générative du processus créatif pour mieux miser sur le propre de l’homme : sa capacité à faire rire, la dérision, l’humour, l’ironie… ? Guillaume Besson, manager de AI Builders, rappelle que c’est « le dernier bastion humain » et qu’il est très difficile à une machine de comprendre le second degré. Seulement, tout est question d’entrainement : « C’est contre-intuitif pour un système de lui expliquer qu’il doit comprendre l’inverse, mais c’est techniquement faisable », ajoute-t-il. La professeure de Mines-Télécom souligne d’ailleurs qu’OpenAI va dépenser beaucoup d’argent pour mettre de plus en plus d’humain dans ses systèmes. « L’IA impacte une partie de la création, reprend Guillaume Besson, elle va disrupter plusieurs métiers dans le marketing et la communication ne serait-ce qu’à travers la recherche et la génération d’images. Des images dans lesquelles on aura de moins en moins confiance. Le deep fake entrainera une période de flottement et de gros besoins de débunker. »
D’où le conseil, pour ces métiers, de se recentrer sur des tâches à valeur ajoutée en misant sur sa conviction et son intuition, sa créativité (l’IA générative reproduisant des éléments déjà vus) mais aussi la personnalisation (les systèmes de base de données génératives marchant moins bien sur l’hyperciblage que sur la communication de masse) et surtout, sur la capacité à formuler la demande. C’est notamment le travail du « prompt engineer » qui optimisera les réponses de l’IA par sa capacité à poser les bonnes questions et à éviter les « hallucinations » ou les « trous noirs génératifs » liés à un faux postulat. C’est ainsi la notion d’« IA de confiance » qu’il convient selon lui de travailler. Dans l’information, un journaliste sera confronté à des productions automatisées et des infox mais l’IA peut aussi valoriser son travail, si elle est bien orientée, et lui faire gagner du temps pour lui permettre de se concentrer sur l’investigation.
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Le CEO de Dessia estime que, de même que la machine a permis aux joueurs d’échec de relever leur niveau, l’IA générative va aider à la décision et améliorer les capacités des cols blancs. « On va faire confiance à une IA pour proposer les trois meilleurs cas face à un problème donné, on pourra discuter avec un collègue virtuel comme si on avait accès aux meilleurs experts mondiaux. » Le patron de cette start-up de « deep tech » parle de « marketing augmenté » avec un nouveau métier, celui de « dresseur d’IA ».
Soit, mais faut-il avoir peur pour son job ? British Telecom vient d’annoncer 55 000 suppressions d’emplois, dont 10 000 à cause de l’IA. Quid d’un télévendeur mais aussi d’un maquettiste, d’un documentaliste, d’un graphiste… ? « Après l’effet waouh, c’est l’effet ouh lala », sourit Dan Guez, cofondateur du cabinet de recrutement Opensourcing, mais il n’y a pas de raison d’avoir peur car ce sont des opportunités extraordinaires et les technologies sont là, quoi qu’il arrive ». Pour lui, la révolution ChatGPT va faire évoluer les métiers, mais aussi en créer de nouveaux : entraîneur ou développeur d’IA. Pour un recrutement, ce seront des offres d’emploi ou des fiches de poste plus pertinentes ainsi que de nouvelles façons de communiquer. « Un super premier jet de travail », résume-t-il. À condition qu’il y en ait un second !