En amont des Rencontres Économiques d'Aix-en-Provence, programmées les 5 et 6 juillet et qui ont pour thématique cette année « Relier les mondes », Marion Joubert, directrice de la communication, de l’éditorial et des contenus du Cercle des Économistes et des Rencontres, invite notamment à repenser le rapport de force entre États et géants de la tech.
En quoi les Rencontres Économiques d'Aix-en-Provence constituent-elles « le plus grand forum économique d'Europe ouvert à tous » ?
MARION JOUBERT. Les Rencontres Économiques d’Aix-en-Provence sont organisées chaque année par le Cercle des économistes depuis 24 ans. Ce sont les chiffres qui nous permettent de revendiquer ce titre devant d’autres événements économiques reconnus, avec une jauge moyenne de 7 000 à 8 000 personnes sur trois jours et un programme de 70 tables rondes animées par 400 speakers de premier plan. On streame par ailleurs les sessions depuis une dizaine d’années et l’engouement pour ce format se confirme d’année en année puisque nous avons atteint un million de visiteurs uniques en 2023. Un record. Plus largement, les Rencontres sont devenues un véritable élément du soft power français avec une approche unique, qu’on ne peut en aucun cas comparer et surtout pas à Davos, puisque gratuit et ouvert à tous.
Pourquoi avoir choisi de maintenir l’événement en dépit des législatives anticipées ?
La question d’annuler ne s’est pas posée. Le contexte a forcément bouleversé le programme puisque nous avons dû annuler la venue de l’ensemble des invités politiques français, quelles que soient leurs opinions ou leurs inclinations. D’autre part, le choix a été fait de restreindre l’événement à deux jours – contre trois habituellement – afin de permettre au public, en grande partie parisien, d’être libéré le dimanche afin de pouvoir voter à Paris. Plus largement, concentrer l’événement sur le vendredi et le samedi doit permettre à tout le monde d’effectuer son devoir civique lors du second tour programmé dimanche 7 juillet. Annuler n’aurait pas eu de sens dans la mesure où nous sommes apolitiques et que nous avons pour habitude de donner la parole à des profils et des points de vue issus de tous les bords politiques, économiques et sociaux. Il s’agira donc du dernier grand forum avant le jour J. À ce titre, nous avons une responsabilité. Celle d’éclairer et de privilégier comme toujours le chemin du dialogue sans tomber dans l’hystérie politicienne du moment. Certes, il a fallu réaxer le déroulé en quelques jours mais nous sommes rompus à l’exercice. Ce n’est pas la première fois qu’un imprévu vient bouleverser le calendrier politique et indirectement l’événement, comme un remaniement ministériel, la crise covid...
Dernier élément à ne pas omettre : le financement de l’événement, qui repose en tant qu’association sur la contribution de 129 grandes entreprises et qui implique de nombreux acteurs locaux puisque nous assurons le logement, l’hébergement et parfois même le transport des près de 400 speakers et participants aux tables rondes, lesquels interviennent tous de manière bénévole. Annuler aurait été préjudiciable pour beaucoup et nous aurait privé d’un lieu de débat important dans cette période.
Quelle est la stratégie d’attractivité mise en œuvre pour faire des Rencontres un événement grandissant et pérenne ?
Elle n’a pas fondamentalement changé depuis le départ puisqu’il s’agit toujours de réunir des profils variés – économistes, universitaires, politiques, sociologues, chefs d’entreprise, jeunes… – avec l’intime conviction qu’il faut dialoguer et ouvrir l’économie à tous. Au fil du temps, avec le bouche-à-oreille et l’investissement de la Ville d’Aix-en-Provence, le rendez-vous est devenu incontournable, attirant des personnalités de premier plan. Cette année, ce sont encore plus de 380 personnalités de haut niveau issues de 44 nationalités qui seront présentes, parmi lesquelles Barry Eichengreen, professeur à Berkeley ; Mario Monti, sénateur ; Gabrielle Halpern, philosophe ; Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne ; Pierre Levy, ambassadeur de France en Russie ; Olha Stefanishyna, vice-première ministre d’Ukraine, Douglas Kennedy, écrivain, ou Jean Tirole, Prix Nobel d’Économie 2014.
Pour attirer le grand public, une croissance strictement organique a été privilégiée dans la mesure où nous n’avons pas recours, sauf exception, à des leviers tels que la publicité ou le paid media. C’est également dans cette optique que les Rencontres abordent des sujets grand public tels que le sport, la culture, les médias, l’alimentation ou la démocratie, toujours sous un angle économique. Autre élément : ne jamais avoir noué de partenariats exclusifs avec aucun média fait que l’événement ne s’est jamais enfermé. Enfin, on constate que la crise sanitaire due à la Covid-19 a fait grimper notre dispositif et notre audience en ligne.
Le thème est cette année « Relier les mondes… le temps de la réconciliation ». L'économie est-elle aujourd’hui aussi divisée que la société ?
Les économistes ne sont pas toujours d’accord et c’est normal. En réalité, il existe autant de théories économiques que d’économistes pertinents. C’est peut-être là le principal malentendu pour le grand public autour de l’économie depuis trente ans : les économistes ne sont pas devins ! Ils analysent, constatent et font des rapprochements afin de permettre à chacun de s’en saisir, de s’informer, et d’aiguiser son esprit critique.
Parmi les thèmes explorés figure le rapport de force entre États et IA. Peut-on parler d'opportunités – et de risques – sans précédent pour les États ?
Le thème retenu porte plus précisément sur les leviers existants pour inverser le rapport de force actuel, un intitulé qui correspond déjà à une forme de réponse à la question. Le pouvoir d’influence des acteurs majeurs de l’IA est déjà supérieur à certains États, ce qui ne devrait jamais être le cas. Aucune entreprise ne doit avoir pour objet final de disposer d’un pouvoir supérieur à l’État car ce qui en résulte peut devenir catastrophique pour les citoyens. La véritable question est : comment faire cohabiter États et géants de la tech sans forcément passer par la régulation ou le démantèlement tout en permettant aux institutions de conserver leurs pouvoirs régaliens ? Il y a des choix politiques essentiels à faire très vite sur le projet de société que nous voulons. Pour cela, il faut mettre sur la table toutes les possibilités qu’offrent les nouvelles technologies afin que la société puisse s’en saisir.
Dans la relation qui régit les rapports entre institutions et marques, peut-on considérer que les marques n’ont jamais été aussi fortes ?
Très certainement et ce n’est pas forcément l’idéal. C’est d’ailleurs typiquement ce à quoi sert et doit servir un État : garantir aux citoyens la protection de ses droits essentiels et faire en sorte d’assurer un accès équitable aux outils qui lui permettent de jouir de ses droits.